L’exposition Aerodream au Centre Pompidou Metz donnerait (presque) envie de se reconvertir au plastique,
cette matière aujourd’hui honnie

Gonflé !

d'Lëtzebuerger Land vom 02.07.2021

Aujourd’hui, le mot d’ordre est de recycler au maximum et à raison. Mais il fut un temps, au milieu du siècle dernier, où le plastique a fait rêver les architectes, les designers et les artistes à un monde aérien et léger. L’exposition Aerodream est magistralement orchestrée par étapes thématiques. Frédéric Migayrou, commissaire de l’exposition qui connaît le sujet sur le bout des doigts, présente au Centre Pompidou Metz un maximum de la collection du Centre de création industrielle du Musée d’art moderne où il a puisé des trésors.

Chercher à exploiter le souffle qui libère l’être humain de la pesanteur ne date pas d’hier. C’est au 18e siècle que les frères Montgolfier se sont envolés en ballon au-dessus de Versailles. Mais dès 1937, avec le dirigeable Le Hindenburg qui prit feu (il devait assurer la navette ente l’Europe et les États-Unis), le rêve des transports en communs aériens gonflés à l’hélium se termina tragiquement. Monsieur et Madame Tout le monde s’enthousiasmèrent avec le Bibendum de Michelin pour les roues en caoutchouc, promesse d’évasion lors des congés payés, puis il y a eu les fauteuils et les matelas gonflables des années pop. Une pin-up pose dans un fauteuil non pas en rotin, mais en plastique aux formes on ne peut plus suggestives, Marcello Mastroianni (teint en blond), séduit Ursula Andress dans un film de science-fiction où tout est en plastique. Dans la vraie vie, il y eut la traversée de l’Atlantique du biologiste Alain Bombard dans son canoë Zodiac et des municipalités qui équipèrent piscines et courts de tennis de couvertures gonflables pour démocratiser le sport. Un succès jusqu’à la fin des années 1970, quand le coût du pétrole s’est envolé et que les structures en plastique désertent la tendance.

Aerodream montre un passionnant et savant paysage d’architectures qui ont repoussé les murs, où la légèreté est à entendre comme une formidable libération structurelle. Frank Lloyd Wright, excusez du peu, à un âge avancé mais toujours pionnier au plan social, imagina en 1956 l’Airhouse, accessible et économique et une Baloon Arena pour des concerts. Richard Buckminster Fuller, autre icône au Panthéon des architectes, fut le créateur du premier dôme géodésique en 1952. Parmi les précurseurs, on retiendra bien sûr l’allemand Frei Otto et la couverture du stade olympique de Munich de 1972 (elle n’est pas exposée ici). Mais de l’époque contemporaine, on verra l’Allianz Arena, le stade de football à Munich de 2005 des suisses Herzog & Demeuron et, du hollandais Rem Koolhaas, le pavillon de la Serpentine Gallery à Londres de 2006 (avec l’ingénieur britannique Cecil Balmond). Voilà pour les « poids lourds » de l’architecture légère.

Aerodream dresse un panorama complet d’actions artistiques (sculptures animées, happenings, effets sensoriels). Le visiteur est accueilli à la Galerie 2 du Centre Pompidou Metz par le Grande oggetto pneumatico (1960) des italiens Gruppo T, sorte de gigantesques doigts en polyéthylène transparent, animés par une soufflerie réglée sur une minuterie. Otto Piene, fondateur du groupe ZERO, lance dans le ciel urbain en 1969, le Sky Art, installation gonflable colorée et flottante, Iain Baxter se réapproprie une œuvre de Rothko et crée Pneumatic Judd en 1964, détournant le minimalisme pour créer une œuvre kitsch pop en boudins bleus et or. Marcel Duchamp ne fut pas en reste avec Air de Paris, un Ready-made en forme de boule de Noël contenant de l’air de la capitale…

On peut aussi physiquement habiter une bulle : les français Jean-Louis Loiron et Pernette Perriand-Barsac inventent la Caravane Fleur en 1967 et le Grosser Raum de l’autrichien Walter Pichler est présenté la même année à la Documenta 4 de Kassel. Cette bulle habitable est l’inverse de l’empaquetage de Christo Cubic Feet Package (1966), lequel connaîtra le succès que l’on sait avec ses emballages de monuments de par le monde. Leurs actions sont moins connues, comme leurs réalisations architecturales, mais les autrichiens Haus-Rucker-Co accrochaient un espace gonflable iconique à la façade du musée Fridericianum à la Documenta 5 de Cassel en 1972 et Coop Himmelb(l)au faisaient rouler une boule en plastique dans les rues en avançant dedans. Même Hans Hollein, devenu par la suite un pape du post-modernisme, proclamait en 1967 que « tout est architecture » et projetait le Mobile Büro, gonflable et transportable.

L’Exposition Universelle d’Osaka en 1970 a été un sommet de l’exploration des architectures gonflables avec de nombreux pavillons aux structures aériennes : comme celle en vinyle et PVC en forme de champignons du japonais Taneo Oki, chaque Mushroom pouvant s’ouvrir et se fermer comme un parapluie. Osaka, c’est une démonstration débridée à l’époque de la Guerre Froide et des débuts de la conquête de l’espace. Un peu son chant du coq aussi. Même si les anglais du groupe Archigram s’approprient le vocabulaire de la société de consommation et que la mobilité est au cœur de leurs projets (Peter Cook, Airship « Zeppelin » Model, 1969). Le Fun Palace de l’ingénieur britannique Cedric Price et de la directrice de théâtre Joan Littlewood est un espace culturel équipé de salles gonflables, la structure métallique portante est beaucoup plus présente.

On regrette personnellement ces décennies que l’on se refuse, comme Frédéric Migayrou, d’appeler des utopies. Car dans la vraie vie, elles seront à l’origine des concepteurs hight-tech anglo-saxons, dont l’ingénieur Peter Rice, qui a conçu la structure… du Centre Pompidou à Paris avec Renzo Piano et Richard Rogers. Une « concrétisation » de liberté d’usage inégalée, comme au « temps du plastique », où le milanais Franco Mazzucchelli provoquait une bataille de rue joyeuse et débridée avec ses polochons gonflables géants A.to A (Art to Abandon) entre les ouvriers devant les grilles de l’usine Alfa Romeo. Les lettres A R T, qui flottent sous forme de ballons rouges devant le panorama messin, c’est plus convenu... Mais d’aucuns y travaillent toujours. Les Japonais sont les champions du « monde flottant » depuis si longtemps. Ainsi, Kengo Kuma et son installation poétique Fu An (2007). Un voile d’organza dessine un espace intime, soutenu pour un ballon gonflé à l’hélium.

Marianne Brausch
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