Le ministère s'appelle ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur, de la Coopération, de l'Action humanitaire et de la Défense. Cela ne s'invente pas. Aussi bien au niveau des faits que du vocabulaire. Au fil du temps, le ministère de la Guerre a mué, en passant par différentes appellations répondant aux sensibilités collectives telles que ministère des Forces armées, de la Force publique ou autres, vers un ministère de la Défense à vocation humanitaire, voire humaniste. Si les guerres étaient volontairement agressives il y a quelque temps, elles se doivent être humanitaires aujourd'hui pour pouvoir jouir de l'acceptation sociale. Or, les finalités et les conséquences de cette politique sont autres que prétend le vocabulaire délibérément symbolique. La défense n'est plus celle du territoire, mais, aussi celle de la veuve et de l'orphelin loin de nos contrées : Nos valeurs de démocratie sont dorénavant défendues universellement. Aussi pour éviter que les moins privilégiés ne viennent partager nos valeurs, en sus de la richesse qu'ils n'ont pas, en nos latitudes.
L'accord de coalition du gouvernement actuel explique le rattachement de la politique de défense « et par conséquent de l'armée luxembourgeoise (...) au ministère des Affaires étrangères » par la nécessité d'adaptation de la politique de sécurité et de défense à l'environnement international profondément modifiés et « les nouvelles missions qui s'intègrent dans des opérations multinationales de gestion de crise et de maintien de la paix. » Le but ultime étant d'être fin prêt pour participer au « développement d'une véritable politique de sécurité et de défense européenne dans le cadre de l'Alliance atlantique ». Si le papier de l'accord distingue, en lui consacrant un sous-chapitre propre intitulé « Une politique active de sécurité », le département de l'armée dans le nouveau ministère à cinq ressorts et deux ministres, la déclaration gouvernementale du 12 août fait déjà l'amalgame entre les différents départements - volontairement, en mettant l'accent sur leurs interférences stratégiques entre, arbitrairement choisi, l'élargissement de l'UE, le rôle du Luxembourg sur le plan international, les relations économiques en découlant, la politique de coopération, la solidarité avec les pays pauvres, la sécurité internationale et donc nationale...
La véritable voie à suivre, le Premier ministre l'a tracée lors de sa déclaration sur l'état de la Nation. En partant de l'invasion allemande de 1940, il a mentionné le plan Schuman pour arriver à la question de l'élargissement de l'UE et immédiatement nouer le lien avec la défense (du territoire) et le maintien de la paix. L'accent a été mis, sémiologie oblige, sur le maintien de la paix en jouant volontairement sur une redondance : « Dat weisen och di ambitiös europäesch Pläng a Saache Verdeedegung, Friddenssëcherung a Friddenserhalung. » Les dangers sont clairement déterminés : terrorisme, extermination (à nouveau avec une redondance : « Massevernichtung a Massemord »), retour des réflexes nationaux, fanatisme incontrôlé, fondamentalistes de tout poil. Mais le terrain d'action est trop vaste pour le laisser aux seuls militaires : « Paix, sécurité, liberté et stabilité ne doivent pas être définies de manière exclusivement militaire. (...) Un pays qui investit un pour cent de sa richesse nationale dans l'aide au développement, investit dans la paix et la stabilité. » De même que le gouvernement projette depuis des années de consacrer un pour cent de son PIB dans l'aide au développement, il annonce vouloir augmenter à terme la part concernant « la défense et la sécurité » de 0,9 pour cent actuellement à plus de 1,2 pour cent.
Les concepts politiques des différents départements du ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur, de la Coopération, de l'Action humanitaire et de la Défense sont ainsi étroitement liés. Bien que poursuivant a priori différents buts, les différents départements deviennent complémentaires quant à leur finalité absolue. Car même si le département du commerce extérieur n'est nulle part mentionné de façon directe, il est une évident que la participation du Luxembourg à des missions humanitaires respectivement les investissements dans l'aide au développement ou la coopération portent aussi leurs fruits sur le plan économique.
Le Luxembourg ne peut certes pas effectuer une politique de développement centrée sur l'économie nationale, à l'image par exemple de la France qui excelle en la matière, mais les retombées ne sont cependant pas négligeables et assurent au moins la présence luxembourgeoise dans les pays visés. Les projets de développement sont un marché porteur pour certaines entreprises locales, la reconstruction des zones sinistrées aussi. Ainsi, le Luxembourg compte concentrer son aide sur la région des Balkans qui est représentative de la nouvelle conception de l'interventionnisme à l'échelle internationale.
L'humanitaire, à l'image de la guerre du Kosovo, semble ainsi fonctionner en cercle fermé. D'abord, les négociations diplomatiques qui, si elles sont vouées à l'échec, peuvent amener une intervention militaire. Celle-ci, déclarée intervention humanitaire, bien qu'étant un acte de guerre, fera place ensuite à une opération de « maintien de la paix » qui à son tour sera doublée par des projets de reconstruction (pour réparer les dommages de guerre), de développement et de coopération. Cette dernière étape résulte dans une prise d'influence déterminante sur les plans économique et politique - à moins que, comme c'est le cas en Serbie, l'intervention militaire n'aura pas réussi à renverser le pouvoir en place.
Cette vision peut certes paraître simpliste et, pour un pays tel que le Luxembourg dont l'influence est limitée au sein des différentes entités internationales (UE, Otan, Onu etc.), exagérée. Néanmoins, du point de vue de l'approche politique, l'équation prend tout son sens lorsque l'on considère un autre raté de cette chaîne humanitaire : la gestion des réfugiés de guerre. Alors qu'on intervient militairement dans un pays pour y rétablir l'État de droit, on a quelques problèmes à assumer la présence dans son propre pays des réfugiés, a priori politiques, de ces contrées. Le fait est que l'ensemble du concept politique ainsi élaboré se tourne exclusivement vers l'extérieur.
La politique volontaire devient de la sorte aussi une défense du territoire - dans ce cas précis, en respectant l'hiérarchie implicite, national, européen, le premier monde - contre les autres. De même, la défense des valeurs de la démocratie en d'autres territoires résulte en finalité à imposer le système de valeurs propre à nos sociétés et les intégrer de la sorte, rendus « compatibles », dans la structure socio-économique dominante - ouvrant de la sorte de nouvelles opportunités de marché.
Si l'on peut ainsi considérer l'humanitaire comme un prolongement de l'action militaire respectivement d'un colonialisme moderne, la symbolique des valeurs défendues comme la démocratie ou les droits de l'Homme ne permet pas de condamner en bloc le véhicule politique choisi. De même, l'évolution symbolique des forces armées - qui trouvent là une nouvelle raison d'être - d'une entité de combat vers une institution protectrice de valeurs universellement reconnues est a priori louable. Le maniement de l'arme et le droit de tuer, métiers de base du soldat, deviennent secondaires par rapport à l'envergure de la mission lui confiée. Le projet du gouvernement de créer un corps civil volontaire pour participer davantage aux missions dans des zones de crise ou d'instabilité politique souligne cette nouvelle vision de l'armée, appelée à être l'acteur principal en ce qui concerne les relations internationales.
Il reste cependant un arrière-goût amer au constat que, en fin de compte, les finalités poursuivies cherchent d'abord à protéger les acquis obtenus en canalisant de façon raffinée un interventionnisme à caractère humanitaire. Ensuite, la fusion des différents niveaux d'intervention - diplomatie, économie, militaire, humanitaire -, bien que nécessaire car répondant à la politique déterminée par les organismes supranationales, donne aux gouvernants l'occasion de procéder avec une certaine hypocrisie. L'échec sur toute la ligne de l'application de cette politique concernant la crise en Ex-Yougoslavie en est un exemple.