Un grand « non » ou plutôt, un long « nonnnn », comme si on tombait d’une falaise – voilà le sentiment qui nous anime à l’issue de cet Elektrik, se jouant du « k » pour finir par ressembler à un cas à part dans le parcours de la chorégraphe star Blanca Li. Jamais un spectacle des Théâtres de la Ville de Luxembourg ne nous avait déçus à ce point. C’est l’exception qui confirme la règle, paraît-il. Elektrik a néanmoins su convaincre le public du Grand Théâtre, en témoignent les nombreux pouffées de rire, interjections d’étonnement et applaudissements entrecoupant les différents tableaux. Mais, même si « ça bouge et ça décoiffe » – parole entendue dans le foyer du théâtre – c’est en fait terriblement fade. Il y a pire, certes, mais l’indulgence du public est attristante face à ce défilé de fausses bonnes idées que nous sert Blanca Li sur un plateau qui a vu passer tant de belles choses.
Blanca Li a pourtant reçu depuis bien longtemps les plus grands honneurs et prix, encensée côté critique comme public, la chorégraphe court les plateaux de télévision, pour son travail de scène pléthorique, comme ses projets en tant que cinéaste, cumulant des programmes pour Arte, quelques courts-métrages, deux longs-métrages, un documentaire et des publicités avec les grandes marques du luxe. C’est le paradoxe de l’artiste, aussi somptueux soit-il, de ne pas plaire à tout le monde. Voilà la règle d’or de l’art : un chef d’œuvre ne l’est que par majorité absolue et non unanimité absolue. Et Elektrik, malgré son pedigree, n’a pas l’éclat de son héritage.
Tout part d’un premier spectacle baptisé Elektro Kif, initié en 2009 à Suresnes, avec une bande de jeunes surexcités, suite au vif intérêt de la chorégraphe espagnole pour la danse électro, phénomène chez la jeune génération des années 2000, plus communément appelé tektonik. De cette passion, Li tire un film, Elektro Mathematrix, sorti en 2015, qui fera revivre d’une étincelle le mouvement. C’était sûrement le moment d’arrêter, de laisser là, une idée vieille de quinze ans, en bout de course, essoufflée.
Ce dernier opus – d’une série qu’on espère scellée en trilogie – arrive en 2018, après tout ça, poursuivant la passion de Blanca Li pour cette danse urbaine d’envergure surannée. Le langage s’est étoffé depuis les premiers roulements de bras balancés dans les rues des grandes villes il y a vingt ans, la puissance et l’énergie sont encore palpables, mais la recette pue la poussière. Et même si l’on avait attaché un intérêt au sensationnel des possibilités de contorsion des corps que passe en revue ce spectacle, ça n’aurait pas suffi. C’est déjà fait, déjà vu, YouTube en regorge, et les freak shows ont fermé leurs portes depuis bientôt un siècle. Il n’y a pas à insister.
Dans les faits, si les deux premiers tableaux déroutent et fonctionnent d’ailleurs plutôt bien dans leurs détournements – mêlant musique classique et le puissant titre électro Slashr de NGLS JMbeats –, la suite n’est qu’un vaste ressac de « finals », montés en feux d’artifice, comme pour cacher le manque de profondeur de cette pièce. Dans cet interminable crescendo de démonstrations plus ou moins appliquées, traînant parfois une teneur amateure, malgré tout, on comprend bien l’objet de vouloir se jouer du has-been, mixer les danses urbaines, les influences culturelles de la danse, pour insuffler du cool à cette danse contemporaine là. Malheureusement, le old-school n’a pas toujours bon goût, et puis, comme à chaque fois dans les pièces qui n’ont que peu à dire, les danseurs se retrouvent à moitié nus, le package habituel d’images stéréotypées de ces danses-là.
Enfin, Elektrik est un spectacle qui divise et c’est déjà ça. Un exposé de prouesses corporelles, exécutées par de bons danseurs, mais, au risque de jouer les rabat-joies, l’ensemble manque de saveur et pousse à un sentiment amer de déception. Elektrik est un joli petit spectacle, familial et enjoué, mais un mauvais blockbuster qu’on aura vite oublié – un peu comme la tektonik –. Et c’est difficile à dire tant Blanca Li a su convaincre à bien des égards, en d’autres lieux, dans d’autres circonstances, en plus, du volontarisme et de la forte sincérité des interprètes sur scène. C’est d’ailleurs l’atout-maître de ce spectacle toutefois, en 2019, sourire ne suffit plus. La prouesse physique est devenue d’un banal absolu, visible en un clic, et l’ennui gagne aujourd’hui les esprits aussi vite que tournent les bras de ces huit danseurs.