31 août – 19 septembre : Préparatifs à Tunis
« Avant d’embarquer sur le bateau, le Johny M (une vedette, ndlr), j’ai passé plus de deux semaines à Tunis. Nous avons suivi des formations sur la non-violence, la gestion du stress, les médias, le cadre de notre mission, mais également sur le soutien juridique qui nous sera fourni à partir de l’interception (par l’armée israélienne, ndlr). On a également fait une simulation d’interception. Ce qui nous a permis de voir comment nous gérons le stress et comment on peut potentiellement soutenir une personne qui gère mal la situation. Ensuite, il y a eu pas mal de défis organisationnels, malheureusement. Deux fois plus de candidats qu’attendu et des navires qui rencontrent des problèmes techniques. Il a donc fallu énormément réduire le nombre de participants. Puis il y a eu deux attaques de drones dans les eaux tunisiennes. Une fois sur le Family Boat, qui est un des lead boats (de la flotte alors d’une cinquantaine de navires, ndlr), et la deuxième sur l’Alma, un autre lead boat. Cela a encore retardé le départ. Il a fallu rester très, très patient avant de savoir si on pouvait embarquer ou pas. Et il y a quand même eu de la place pour moi. Pendant tout ce temps, j’ai été bien accompagnée par une personne proche. J’ai donc pu couper de temps en temps. Mais ce qui aide au quotidien, c’est de se concentrer sur les raisons de sa participation au mouvement, de garder la vue sur ce qui se passe en Palestine, sur le génocide en cours. On est là pour les bonnes raisons.
20 septembre : départ
On a essentiellement préparé le bateau. Nous avons fait connaissance (douze personnes à bord, ndlr). Après douze heures de navigation, tout d’un coup, un moteur s’éteint. En pleine mer. On décide de faire demi-tour et en naviguant vers notre port de départ, le deuxième moteur coupe également. Nous voilà en détresse. Nous avons joint l’équipe à terre qui nous a redirigés vers le Centre de sauvetage en mer à Malte car nous étions dans leur zone. Malheureusement, et comme j’en ai l’habitude d’ailleurs avec mon travail de cheffe de mission de sauvetage en mer, les autorités maltaises ne nous ont pas vraiment aidés. Ils nous ont seulement transmis les numéros de téléphone d’entreprises de remorquage.
21 septembre : feuille morte
On a flotté en pleine mer, dans les eaux internationales et dans la zone de sauvetage maltaise. Ce pendant 36 heures et l’attente d’un navire de remorquage. Nous sommes restés très calmes. Nous avons eu de la chance avec la météo et la mer. On en a profité pour créer des liens et se reposer. Enfin ceux qui n’étaient pas malades. Pas mal d’entre eux n’avaient jamais navigué.
22 septembre : redémarrage
Le remorqueur est arrivé vers midi. Les mécaniciens à son bord ont pu redémarrer un premier moteur après cinq ou six heures de travail. Le deuxième a également fini par repartir. Bonne nouvelle. On a fait le plein et on a continué notre navigation. J’ai aussi pu soutenir le capitaine grâce à mon expérience en mer. J’ai donc commencé à prendre un quart, de 3 à 7 heures du matin. J’aide à la coordination, la navigation et à la sécurité.
23 septembre : formations à bord
On a formé les personnes à bord aux situations d’urgence. On a envisagé la situation où des drones nous survoleraient, comment réagir, et ceci sur base de protocoles que j’ai établis. On a également travaillé à des situations d’incendie et d’abandon du navire. Mais aussi l’interception… sans encore rentrer dans le détail. Je ressens de plus en plus la fatigue. Je peine à récupérer le sommeil perdu lors de mon quart la nuit.
24 septembre : lendemain d’attaque
Certains bateaux ont subi de nouvelles attaques de drones pendant la nuit au sud de la Crète. Cela nous a fait réfléchir sur les intentions des Israéliens. C’est nouveau que les drones attaquent aussi loin de Gaza. Et Israël a prévenu qu’ils allaient frapper encore plus fort. On s’est posé la question de ce que cela signifiait d’être attaqué par des criminels de guerre. Ils disent que nous sommes des terroristes soutenus par le Hamas. Israël va tout faire pour nous effrayer, nous tester et nous dissuader. C’est aussi un test pour nos gouvernements. Ils savent depuis avant la mission que des ressortissants sont à bord et ils ne se prononcent pas ouvertement sur leur protection. Mis à part l’Italie, qui, après que le peuple se soit levé, a envoyé un navire. Pareil pour l’Espagne. Mais où sont les autres ? Les Israéliens nous proposent aussi de déposer l’aide humanitaire à Ashkelon et prétendent qu’ils l’achemineront ensuite. Nous ne pouvons pas faire confiance à un État génocidaire qui affame les Palestiniens. Nous restons déterminés. L’objectif est de briser le blocus et de créer un corridor pour que l’aide entre à Gaza.
25 septembre : sur le radar
Nous avons fait escale en Crète pour faire le plein et se ravitailler en eau et nourriture… quelques fruits et légumes frais. Nous avons travaillé sur la manière de rejoindre la flottille. Des gardes côtes nous attendaient sur le port. Ils ont vérifié nos passeports et posé pas mal de questions, d’où l’on venait et quelles étaient nos intentions. Ils semblaient bien savoir que, bien que notre bateau soit isolé, nous faisions partie de la flottille. D’ailleurs, lorsque nous sommes tombés en panne, les Maltais avaient identifié le Johny M comme faisant partie de la flottille Global Sumud. Nous n’avons pas pu passer sous le radar aussi longtemps qu’on le voulait.
26 septembre : jonction
Vers 6h00 ce matin, seule à la navigation, j’ai enfin vu les lumières des différents bateaux de la flotte. J’ai réveillé le capitaine et le coordinateur. C’était un moment bourré d’émotion : Voir enfin nos camarades. On n’est plus seul en mer. Je n’oublierai jamais ce moment de solidarité. Là nous sommes au mouillage. Un des principaux navires, le Family Boat, a une avarie moteur. Son équipage, composé de nombreuses personnalités, est réparti. Nous attendons la fin de la répartition. Certains ne repartiront pas. Nous sommes unis ici avec une quarantaine de bateaux.
28 septembre : transfert
L’alarme du générateur a sonné à 3h30 du matin. Je n’étais pas de garde. Je me suis réveillée et suis montée sur la passerelle. Le capitaine m’a dit : « Encore le générateur ». On a envoyé une personne dans la salle des moteurs. Mais cette dernière nous a prévenus qu’on prenait l’eau. Pas mal d’appareils électriques ont coupé. Notamment notre Starlink. On a lancé un message de détresse. Heureusement qu’on a agi rapidement. Une ou deux minutes après avoir passé les coordonnées à nos camarades, la radio a coupé. On n’avait plus aucun moyen de communiquer. Le zodiac de secours est intervenu. On a été transférés sur le lead boat, Alma. Là on a attendu pas mal de temps. Tout le monde n’a pas pu continuer. Je suis montée à bord d’un des deux bateaux arrivés à la rescousse.
29 septembre : flotte militaire
Sur le Miamia, c’est une équipe de gens de mer (dix personnes, ndlr). Ils soutiennent énormément les non-marins. On a vu des bateaux militaires, espagnol et turc.
30 septembre : encore un drone
La nuit a été calme. Même si un drone a suivi la flottille. Les navires militaires ont disparu. Sont-ils loin ? Nous suivent-ils encore ? De toute façon ils ne vont pas aller jusqu’à Gaza. On pense tout le temps aux gens en Palestine. On continue cette route même si nous savons qu’à partir de ce soir nous risquons un engagement hostile de la part des Israéliens. Nous sommes préparés. Mais jamais une telle flottille ne s’est autant rapprochée de Gaza. Nous devons être prêts à tout. Il y a une énorme solidarité entre les divers bateaux. Nous savons pourquoi nous sommes là. Nous voyons déjà à quel point cette flottille a mis la pression sur les gouvernements qui jusqu’ici n’avaient pas réagi, avaient été complices du génocide. Peu importe ce qui va se passer à partir de cette nuit. Ou même peut être demain. Il ne faut pas lâcher. Il faut renvoyer des flottilles jusqu’à ce que le génocide stoppe. Je pense principalement aux Palestiniens. Je pense très fort à mes proches, à ma famille. Je sais qu’ils souffrent énormément à cause de mon engagement. Mais je reste très déterminée à ne pas accepter ce qui se passe à Gaza ou en Palestine. S’il y a interception ou pas. S’il y a emprisonnement ou pas. Ça ne va rien changer à ma détermination. J’invite tout le monde à veiller sur Gaza et la Palestine.
1er octobre : coup de pression
Cette nuit, un peu avant de commencer mon quart, on a reçu l’instruction de se préparer à l’interception conformément au protocole. On a mis notre gilet de sauvetage et on s’est réunis dans le cockpit. On a attendu un petit peu. Puis la radio a annoncé qu’un premier bateau était encerclé par un navire militaire. Le même navire militaire a effectué des manœuvres similaires autour d’un deuxième bateau de la flotte, très très proche. Puis il est parti. Avant cela on avait remarqué de nombreux drones au-dessus de nous. Mais nous sommes restés calmes. Cette nuit a été très éprouvante. On a tout de suite décidé de continuer. Mais on a évidemment compris que c’était stratégique, une tactique pour nous fatiguer. Pour qu’une intervention future soit facilitée à cause de notre fatigue. On me demande beaucoup si j’ai peur. Je n’ai toujours pas peur. J’attends les prochaines heures avec sang-froid.
On est à cent miles nautiques de Gaza. On entre dans une zone où on risque pas mal d’intervention, kidnapping, attaque… Je ne cèderai pas à la violence. Je vais accepter ce qui m’attend. Nous nous rappelons pourquoi nous sommes ici. Nous chantons des chansons palestiniennes, arabes. Nous sommes forts ensemble et ça se ressent. Cela devient de plus en plus émouvant de faire partie de cette flottille. Meloni dit que ce n’est pas responsable de continuer. On n’est pas ici parce qu’on a envie de risquer notre vie, mais parce que nos dirigeants ne font pas leur travail. J’invite tout le monde à se réunir pour alerter sur ce génocide, pour l’arrêter. L’histoire nous montre que les mouvements populaires ont un impact. Peu importe ce qui nous attend aujourd’hui ou ce soir, je veux garder en tête ce que cette résistance représente. Il est absolument nécessaire de continuer. »
Juriste engagée
Nora Fellens Huberty, Luxembourgeoise de 36 ans, est juriste de formation. Elle a été inscrite au barreau de Luxembourg entre 2016 et 2022, mais a orienté son activité vers le droit humanitaire. Elle travaille notamment depuis plus d’un an pour Sea-Watch en tant que cheffe de mission sur des bateaux de sauvetage en Méditerranée. « J’ai gagné de l’expérience en situations d’urgence en mer, de détresse en mer, dans la gestion de stress », explique-t-elle au Land. Nora Fellens exerçait avant cela aux frontières de l’UE, à Thessalonique en Grèce ou à Calais en France. « J’ai accompagné les personnes demandant l’asile, les personnes victimes de violences policières et les personnes en errance tout court, victimes de discrimination et d’oppression », détaille-t-elle.