L’avenir du journal papier

Que seront les kiosquiers devenus ?

d'Lëtzebuerger Land vom 22.03.2013

Ils sont exactement 338. Ils tiennent les kiosques à Paris, ces avatars de pavillons de jardin dont le premier s’est installé en 1857 sur les grands boulevards. Et ces kiosquiers, vendeurs de journaux, à l’origine, rien d’autre, pas de raisons de les envier, même si l’un d’eux, Jean Rouaud, y a trouvé le temps d’écrire les Champs d’honneur, son premier roman publié en 1990 et immédiatement reconnu par le prix Goncourt. En moyenne, dès 5.30 heures le matin, ils travaillent douze heures par jour, six jours sur sept. Et c’est justement pour pouvoir continuer de la sorte qu’ils ont manifesté, une bonne cinquantaine d’entre eux, place Colette, à Paris, dans le premier arrondissement, à la mi-février, pour alerter sur la dégradation croissante de leurs conditions de travail.

C’est ce qu’on appelle une filière sinistrée, avec un revenu moyen annuel brut de quelque 21 000 euros, pas plus. Et c’est le signe le plus apparent d’une crise plus générale, crise de la presse écrite, du journal papier, qui a bien du mal à se défendre. On a beau augmenter les prix, rien n’y fait. Impossible d’enrayer la baisse des ventes, face aux quotidiens gratuits (des fois eux-mêmes en perte de vitesse, et si leurs chiffres d’affaires, en France toujours, ont plutôt tendance à progresser, ils restent déficitaires), face à la presse en ligne (et si Google doit verser 60 millions d’euros à un fonds de soutien à la presse française, cette somme financera avant tout la transition numérique des quotidiens et magazines d’information).

Cela n’aidera en rien les kiosquiers. Il est vrai que ces jours-ci, fin mars, la mairie de Paris fera un geste, tous partis du conseil confondus, une aide de 200 000 euros devrait être votée. Autrement, ils ne se tireront plus d’affaire qu’en vendant des cartes postales aux touristes, voire de petites tours Eiffel. Pas de doute, l’âge d’or de la presse (écrite) est passé, loin derrière nous, période faste qui nous ramène au milieu du siècle dernier.

Il fut alors un journal populaire, à ne pas confondre toutefois, côté qualité, ni avec les tabloïds anglais ni avec Bild en Allemagne, qui dépassait dans ses ventes le million. Et France Soir, à l’époque, était talonné par le Parisien libéré, à quelque 750 000 exemplaires. France Soir n’existe plus, dans son Histoire de la presse française, Patrick Eveno note que les classes urbaines (françaises) ont été « abandonnées par les journaux et confiées à la seule télévision ». On pourrait dire aussi, inversement, que ce sont ces mêmes classes urbaines qui ont délaissé les journaux et précipité le déclin de la presse, d’un certain modèle de cette dernière qui avait prévalu jusque-là.

Et il n’y va pas seulement de la mort de kiosquiers, inimaginable quand même la disparition de leurs pavillons (aux différentes architectures) dans le paysage urbain parisien. L’information qui s’en va de plus en plus vers le numérique, risque fort de faire d’autres dégâts, d’autres victimes, dans d’autres effectifs. Une rédaction d’un grand quotidien coûte environ 50 millions d’euros par an, rien par rapport à une équipe de football, soit dit en passant, le budget de tels sites, parmi les plus relevés, ne monte guère à plus de deux millions d’euros. Des hommes d’affaires, au Monde, à Libération, interviennent à fortes sommes d’argent, et ailleurs c’est l’État qui aide ; il faut espérer que les interventions se limitent à cela, une information indépendante serait menacée autrement.

L’information, justement, sa collecte, son traitement, coûtent cher. Et il n’est pas sûr que le client, le lecteur, pardon, soit prêt à payer le prix juste dont pourtant on ne cesse de répéter qu’il est plus bas qu’une banale consommation. Pas sûr non plus que le même homme, la même femme ne se contentent pas du journal télévisé, voire des quelques lignes avalées à la hâte au sortir du bus ou du train dans un journal gratuit. On insistera que l’avenir du journal papier (quotidien ou hebdomadaire) ne pourra être que dans l’article de fond, dans la distance et dans la réflexion qu’il peut induire. Ce qui ramène encore à la question du prix, et l’on n’a jamais payé (du temps de la publicité foisonnante, c’était évident) ce que coûtait vraiment ce que l’on tenait entre les mains. Une amélioration, face à la concurrence, inévitablement plus rapide, de la qualité rédactionnelle, avec enquêtes, reportages, quoi d’autre encore, on ne l’aura pas non plus au rabais.

Lucien Kayser
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