Film de clôture du British & Irish Film Festival, le 21 septembre dernier, Re-Creation a largement mérité l’accueil dithyrambique qu’il a reçu. Coproduction luxembourgeoise (Fabrizio Maltese, Joli Rideau Media) avec l’Irlande, ce film est un docudrame fictionnel – antinomie volontaire – d’une grande force émotionnelle signé Jim Sheridan et David Merriman.
Au départ se trouve un cirque judicaire encrassé de témoignages qui ne tiennent pas debout. Entre le documentaire criminel et le huis clos théâtral, douze citoyens ordinaires ont pour tâche de décider si Ian Bailey, un journaliste irlandais, est le coupable derrière la mort violente de Sophie Toscan du Plantier, productrice française. L’épouse du producteur Daniel Toscan du Plantier a été tuée le 23 décembre 1996, devant sa maison de campagne du comté de Cork, au cœur d’un paysage irlandais de carte postale. Au démarrage, tout est vrai et sent un peu le vieux film noir. La suite, ne l’est pas. C’est est un scénario imaginé par Jim Sheridan et David Merriman pour explorer un groupe d’individus face à des débats moraux, et la tension induite entre perception et faits. Le film reconstruit les délibérations d’un jury passant en revue les preuves, l’incohérences, et surtout la manière dont l’enquête a été menée.
Dans la salle des délibérations, dernière phase d’un procès qui n’a jamais eu lieu, les réalisateurs jettent leurs douze jurés aux lions – les spectateurs – dans une arène où ils doivent rejouer le meurtre, non-élucidé jusqu’alors. Tout est basé sur des faits, des preuves, des souvenirs, choisis dans les rapports de police et autres témoignages de l’enquête. Transpire le début d’une douce paranoïa que le 8e juré – Vicky Krieps – vient pointer du doigt. En un clin d’œil évident à Douze hommes en colère, elle est la seule à voter « non coupable », parce qu’elle n’est pas sûre. Le poids de la morale la pousse à vouloir débattre encore quand les autres montrent leur épuisement. Mais l’enjeu est de taille, et le symbole a une portée éminemment sociétale : La vie de quelqu’un dépend de ce vote. Cette vie, c’est celle de Ian Bailey, condamné in absentia par la France mais qui n’a jamais été jugé en Irlande. Non coupable et non innocent, jusqu’à preuve du contraire, personne ne sait et Re-Creation s’infiltre dans cette confusion qui nous pousse à douter tout du long sans que jamais l’une ou l’autre conclusion ne soit évidente.
Présenté en avant-première internationale au Festival du film de Tribeca début juin dernier, puis le mois suivant, en film d’ouverture au 37e Galway Film Fleadh, Re-Creation fait figure d’événement dans le paysage cinématographique indépendant. Il part conquérir le monde entier tant il réussit là où de nombreuses réalisations du genre se plantent. Film labellisé « true crime », Re-Creation pose des questions qui dépassent le cas traité, et provoquent un doute général. Le spectateur prêt à s’enfoncer dans l’ambiguïté, et à amorcer une véritable réflexion de fond sur la justice et la vérité telle qu’on nous les sert sera ravi. Quant aux autres, cherchant le factuel et une révélation finale, devront passer leur chemin. Re-Creation est un film exigeant psychologiquement et à ne pas à placer devant tous les yeux. En mettant en scène le bouleversement que provoquent les débats de jurés confrontés à une décision fatidique, eux-mêmes aux prises avec leur intimité, le film impose aux spectateurs un questionnement du mécanisme justice qui déraille un peu trop souvent, à en croire le cinéma, justement.
L’icône du cinéma irlandais Jim Sheridan écrit, réalise et joue au premier rang de ce film au casting d’un rare engagement. En quatuor de tête à cette distribution sans accro, les stars Vicky Krieps incarnant la dissidente juré #8, Colm Meaney (Star Trek : Deep Space Nine, Layer Cake…) en condamné Ian Bailey, Aidan Gillen (Game of Thrones, The Dark Knight Rises…) dans le rôle de Hamilton Barnes, et Jim Sheridan lui-même en 1er juré, comme un symbole. Mais c’est aussi autour d’eux que la performance d’acteur est époustouflante, porté par John Connors, accompagné des autres jurés interprétés par Helen Norton, Brendan Conroy, Zahara Moufid, Tristan Heanue, Brian Doherty, et les grands-ducaux Elena Spautz, Gilbert K. Johnston, Maja Juric, Claire Johnston-Cauldwell et Konstantin Rommelfangen. D’ailleurs de nombreux luxembourgeois font partie de l’équipe technique du film, tels que Carlo Thiel à l’image, Carlo Thoss pour le son, Christina Schaffer aux décors, Magdalena Labuz aux costumes, et Jasmine Schmit au maquillage. Et c’est important de les nommer tous et toutes car la force du film, si elle n’est pas dans sa sordide affaire de meurtre sans résolution, est dans ce groupe de personnes, réunis pour décider du destin d’un homme.
Re-Creation se présente comme un coldcase passionnant que l’immense Jim Sheridan et son binôme le documentariste David Merriman remettent au jour, recréant ce qu’il se serait passé si Ian Bailey avait été jugé. Car réside là un autre mystère, pourquoi l’auteur présumé du meurtre n’a-t-il pas été extradé et pourquoi n’est-il pas comparu dans son pays ? La thématique principale du film est cette quête de vérité et comment elle est malmenée par la perception collective, médiatique ou judiciaire. Et pour remuer la problématique, Jim Sheridan et David Merriman utilisent ce procès fictif comme prétexte pour se demander si l’on peut réellement déceler la vérité dans une affaire criminelle ou si nous ne sommes pas face à une construction narrative préfabriquée. Le huis clos prend alors une substance métaphorique de représenter le reflet de notre société qui juge souvent sans se poser de questions, sur base de certitudes infondées.
Le concept du procès fictif est une brillante idée quand on aborde un sujet documentaire aussi mystérieux. Le format laisse libre court à l’imagination des cinéastes et ouvre le spectateur à un regard, voire une opinion, plus libre sur les faits. Et si l’on se perd parfois entre la fiction et la réalité c’est pour mieux retomber dans le dialogue qu’on nous propose au lieu que de s’engouffrer dans cette étrange tendance à « romantiser » le meurtre. Alors, il semble que David Merriman et Jim Sheridan poursuivent leur collaboration autour d’un script baptisé Kerry Babies, traitant d’une autre enquête autour du meurtre d'un nouveau-né et le meurtre présumé d'un autre bébé, dans le comté de Kerry, en Irlande, toujours. Et si ce prochain film est du même niveau que Re-Creation, on gage de son succès et notre fidélité à l’écran.