Le député-maire Laurent Zeimet (CSV) est tiraillé entre ses obligations
de « soldat de parti » et la tentation d’assumer un rôle de franc-tireur.
Portrait du président de la commission spéciale « Caritas »

« Conforme. Uniforme. Chloroforme. »

Laurent Zeimet,  ce mardi à Bettembourg
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 08.11.2024

À cinquante ans, Laurent Zeimet garde un air espiègle, presque juvénile. L’ancien scout se réfère toujours aux classiques de la doctrine sociale chrétienne. Se sent-il encore à sa place dans un CSV dominé par Luc Frieden ? Le député-maire prend le temps de réfléchir. Il serait « relativement surpris » par la vitesse avec laquelle « les vieux réflexes de l’ère Juncker » seraient revenus. « Je comprends qu’à un moment, il faut prendre des décisions. Mais des décisions sans discussions, je trouve que c’est un peu délicat… » Un parti devrait se projeter au-delà des cinq années d’une mandature. Le CSV ferait donc bien de s’interroger sur son identité : « Fir wat sti mir nach ? »

Au Krautmaart, Laurent Zeimet est assis à côté de Paul Galles. Leurs CV politiques présentent plusieurs similitudes. Ils sont nés à 17 mois d’écart, se définissent comme catholiques et sont comptés dans l’aile sociale du CSV. Autre point commun : Les deux ont fait les frais de décisions prises au palais épiscopal. Galles et Zeimet ont été des victimes collatérales du désengagement sociétal de l’Église luxembourgeoise. Le premier a refusé de rejoindre HUT, le Sozialkonzern qui a repris les activités d’une Caritas abandonnée par le cardinal. Le second a été licencié en 2020 par Mediahuis, la société flamande qui venait de racheter Saint-Paul à l’archevêché.

Cet épisode, Laurent Zeimet dit l’avoir vécu comme « un divorce ». Lorsqu’en 2004, on lui propose un CDI comme rédacteur politique, c’est un rêve de jeunesse qui se réalise. Zeimet arrête son stage d’avocat chez Schiltz & Schiltz et rejoint la rédaction à Gasperich. Zeimet n’a toujours pas digéré son licenciement. Il explique avoir remplacé le Wort par le Tageblatt pour sa lecture matinale. Le Wort n’aurait « plus de ligne éditoriale », se plaint-il. Ce serait devenu « un journal sans âme » : « C’est comme si Le Figaro devenait demain socialiste, ou le Land un journal catholique. Je n’arrive pas à comprendre comment l’Église a pu simplement abandonner ce journal qui lui donnait un réel ancrage dans la vraie vie. »Zeimet a été congédié par Mediahuis alors qu’il était couvert par le congé politique, dont il bénéficie depuis sa nomination comme maire de Bettembourg en 2011. L’archevêché a gardé un silence pudique sur ce licenciement, tout comme sur les 70 autres qui ont suivi le rachat par Mediahuis.

Laurent Zeimet vient d’être nommé président de la commission spéciale « Caritas », chargée de faire la lumière sur l’effondrement de cet autre pilier du catholicisme luxembourgeois. L’occasion d’en découdre avec le cardinal Hollerich ? Zeimet assure ne pas avoir gardé de rancunes. De toute manière, le but de la commission spéciale ne serait pas de déterminer « wat de Kardinol falsch gemaach huet ». Or, il concède que la résolution qui a institué la commission spéciale serait formulée de manière « plutôt schwammeg ». (Elle charge la commission de « dresser un bilan » et d’en « tirer des conclusions », afin d’être mieux préparé à « des urgences futures similaires ».) Zeimet explique qu’il s’agira de retracer la chronique de l’été 2024, et de répondre à la question : « Y a-t-il eu d’autres options ? Ont-elles été discutées ? »

Taina Bofferding (LSAP) vient d’être nommée rapportrice de la commission. Elle veut démêler les interactions entre le conseil d’administration de Caritas, l’archevêché, le comité de crise, PWC et le Premier ministre : « Ween huet ween kalgestallt ? » Titulaire d’un master en « non-profit management and governance », Djuna Bernard (Déi Gréng) paraît bien outillée comme vice-présidente de la commission spéciale (à côté de Carole Hartmann, la cheffe officieuse de la fraction libérale). Bernard veut savoir quels étaient les scénarios envisagés, avant d’en arriver à « cette HUT artificielle ». Le député Marc Baum (Déi Lénk) met, lui, « la responsabilité du Premier » au centre de son questionnement : « Quels intérêts a-t-il défendu à quel moment ? »

En 2013, les réunions de la commission d’enquête sur le Service de renseignement avaient été retransmises en direct. Le « deep state » défilait, des barbouzes et des guerriers froids, ainsi que deux Premiers ministres et un procureur général. Cette fois-ci, pas de caméras. La majorité estime que cette privacy incitera les invités à parler plus librement. (Ceux-ci ne peuvent être assermentés, contrairement aux personnes convoquées par une commission d’enquête.) La deadline a été fixée au 10 avril 2025. Un calendrier qui s’annonce très serré, étant donné la floppée d’acteurs invités.

Laurent Zeimet confie qu’il n’était pas demandeur de la présidence de cette commission spéciale. Il bénéfice pourtant d’un crédit de confiance auprès de l’opposition. Fin avril, il avait défié la discipline de coalition en s’abstenant sur une motion de l’ADR. Celle-ci appelait le gouvernement « d’Eestëmmegkeet a Steierfroen am EU-Ministerrot op kee Fall a Fro ze stellen ». Le CSV et le DP franchirent le cordon sanitaire pour prêter un serment de fidélité à « eis Finanzplaz ». Zeimet refusa. Il dit avoir dû prendre sa décision en quelques secondes. Son abstention fut peu appréciée et lui valut un appel du président de fraction, Marc Spautz. En tant que président du CSJ (2002 à 2004), Zeimet s’était déjà positionné contre Luc Frieden, dont il avait attaqué la « Lex Greenpeace » : « Das Recht auf Eigentum kann nicht unverhältnismäßig auf Kosten der freien Meinungsäußerung und der Versammlungsfreiheit geschützt werden », écrivait-il alors. L’actuel Premier ministre en aura sans doute gardé mémoire.

Laurent Zeimet est un miraculé de la politique. La chronique de sa carrière est une liste d’occasions manquées, une suite de revers et de comebacks. Aux législatives de 1999, un jeune Zeimet finit 15e sur la liste Sud du CSV. En 2004, il se retrouve coincé à la même place, en situation de premier remplaçant pour un siège au Krautmaart. Seulement voilà : aucun des anciens ne bouge pour lui céder la place. En 2009, Zeimet ne se représente plus aux élections, préférant la couvrir comme rédacteur politique au Wort. Manque de bol, note Zeimet aujourd’hui, c’est l’année où le CSV fait « son meilleur résultat ever ».

La carrière politique de Zeimet semblait avoir buté sur un cul-de-sac, comme celle de ses prédécesseurs au CSJ, Charel Schmit et Pierre Lorang. Or, Zeimet fera un improbable retour par la porte communale. En 2011, il réussit un exploit auquel lui-même dit ne pas avoir cru : Chasser les socialistes de leur fief de Bettembourg, en formant une coalition à trois. Cette constellation (alors novatrice) avait été rendue possible par l’hybris d’un LSAP, grisé par sa majorité absolue. Zeimet se rappelle un échange avec un échevin socialiste qui lui aurait lancé : « Mäi Bouf, hei zu Beetebuerg si souguer d’Kuebe rout ! » Cette attitude soudait le trio noir-bleu-vert composé de Laurent Zeimet, Gusty Graas et Josée Lorsché.

Sa nomination comme maire assure à Zeimet une base électorale et quarante heures de congé politique. Il décide de se relancer dans l’arène nationale. En 2012, il postule pour le poste de secrétaire général du CSV, et l’emporte face à Serge Wilmes. C’était en fait le pire moment de se retrouver en charge de la logistique du CSV. « Dunn ass alles de Schäissbierg agaangen », se rémémore Zeimet. Luc Frieden trébuche sur l’affaire Bommeleeër, Jean-Claude Juncker tombe sur l’affaire Srel. L’hégémonie du CSV s’effrite. Dans ce contexte qu’il décrit comme « chaotique », Zeimet doit improviser une campagne pour les élections anticipées. Son expérience récente à Bettembourg lui fait pressentir la débâcle à venir.

Lorsqu’en 2014, Zeimet fait enfin son entrée au Parlement, c’est en remplacement de Juncker himself, parti vers Bruxelles. Zeimet aurait pu apparaître comme une incarnation crédible du renouveau. Un chrétien-social smart et moderne. Dès 1994, il avait appelé, avec son alter ego Pierre Lorang, à réformer le parti et à y faire rentrer de la « frësch Loft », mettant en garde contre une « lähmende Selbstgefälligkeit ». Il avait également flatté, dès 2004, l’idée d’une coalition entre CSV et Déi Gréng. Or, le député Zeimet fera finalement pâle figure au Krautmaart. L’ancien rénovateur se retrouvait à défendre, en 2017, les intérêts matériels de l’Église face à la coalition libérale. Défendant l’enseignement religieux dans les lycées, il assurait un combat d’arrière-garde.

Ce manque de profil durant son premier mandat, Zeimet l’explique par sa fonction de secrétaire général. Il aurait eu un job à remplir, un devoir à assurer : Tenir le parti rassemblé, « ce qui n’était pas simple ». En 2018, Laurent Zeimet loupe sa réélection de 173 voix. Une nouvelle défaite, une nouvelle frustration. En avril 2022, il entre au Conseil d’État où son parti, reconnaissant, lui a sauvegardé un siège. Quelques mois plus tard, il retourne chez Schiltz & Schiltz, dont le site se targue du fait que « several current and former lawyers of the firm have served as Cabinet ministers, members of parliament, regulators and civil servants with the Luxembourg Government ». (Zeimet prépare actuellement ses examens d’avoué.)

Laurent Zeimet dit s’être plu au Conseil d’État : « C’est un travail politico-juridique sans tout le cirque politique… dans le bon sens du terme ». Et pourtant, une année et demie plus tard, il se porte candidat pour les législatives. « Je n’étais pas obligé… Mais quelque part je reste quand même un peu un soldat de parti », dit-il. Malgré une « campagne en service réduit », il est élu au Parlement. Directement, cette fois-ci. Il lui aura fallu cinq élections

Laurent Zeimet a grandi dans la pâtisserie-confiserie que ses parents avaient reprise en 1965, face à l’église de Bettembourg. Son père, Arthur Zeimet, a construit petit à petit un réseau qui finira par englober dix magasins et 120 salariés. À Bettembourg, une ville qui ne s’identifie ni au Minett ni à la capitale, il comptait comme un notable, présidant l’Union commerciale et artisanale locale. Arthur Zeimet était également engagé au CSV, tout comme le seront deux de ses fils. (Georges Zeimet, le frère de Laurent, est conseiller communal à Steinfort.) Son père et sa mère auraient beaucoup travaillé, se rappelle Laurent Zeimet, y inclus les dimanches matins, avec des pics en amont de Noël. En fin de compte, aucun des fils ne reprendra l’entreprise familiale. (Les patrons de la chaîne de boulangerie « Jos & Jean-Marie » sont des cousins du côté maternel.) « Je ne peux toujours pas manger de bûche », dit Laurent Zeimet, avouant son dégoût pour la Bottercrème.

Depuis tout petit, il dévore tout ce qu’il trouve sur les frères Kennedy. Les biographies sur JFK et de RFK rempliraient la moitié de son salon ; probablement une centaine de livres, estime-t-il. Il précise ne pas s’intéresser spécialement à l’assassinat du président américain. Il n’aurait « pas de théories » à ce sujet. En fait, c’est surtout le personnage de Bobby Kennedy qui l’intriguerait, notamment son passage d’un « catholicisme strict » à une vision « plus progressiste ».

Laurent Zeimet a adhéré au CSJ à seulement quinze ans. Son idole, c’est Heiner Geißler. L’ancien secrétaire général du CDU s’était gauchisé avec l’âge, jusqu’à rejoindre le mouvement altermondialiste Attac. Zeimet le cite fréquemment dans ses interviews et interventions. Le livre Zugluft – Politik in stürmischer Zeit, que Geißler avait publié en 1990, « huet mech richteg eragezunn » et livra l’inspiration pour le papier du CSJ « Frësch Loft » publié en 1994. En 2011, dans un éditorial du Wort, le journaliste Zeimet se référait de nouveau à Geißler. Il citait le secrétaire général qui avait lancé à ses camarades du CDU : « Konform. Uniform. Chloroform ». Et Zeimet de conclure : « Gönnen wir den Parteien also echte Querdenker. Schaden kann es auf Dauer nicht. »

Bernard Thomas
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