Génération Frieden

Metty Steinmetz, ce mardi au Café Interview
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 05.04.2024

Metty Steinmetz, le nouveau président de la CSJ, est un jeune homme sérieux et prudent. Lorsqu’on lui demande de citer un point de désaccord avec le parti mère, il hésite pendant cinq à six secondes. Il serait « actuellement d’accord » avec la politique menée… La question serait « encore prématurée ». Quel est le politicien ou la politicienne CSV qui l’a le plus marqué ? « Cela dépend toujours du sujet… » Lors du référendum de 2015, a-t-il voté « oui » ou « non » à l’ouverture du droit de vote aux étrangers ? « Je pense avoir voté oui… », avance-t-il. Puis de confirmer : « Si, si, j’ai voté oui ». Le cumul des mandats de Frieden, chef du gouvernement et du parti, risque-t-il de dégrader le CSV en « Kanzlerwahlverein » ? Non, ce risque, il ne le verrait pas. Luc Frieden chercherait toujours « le dialogue avec les jeunes ». Âgé de trente ans, Metty Steinmetz a déjà tout du politicien téflon. Il a été élu à la présidence de la Jeunesse chrétienne-sociale (CSJ) début mars – avec un score de 98 pour cent, sans contre-candidature. C’est sa première interview de presse, et ses réponses restent très lisses.

Le nouveau président de la CSJ (tout comme celui du CSV) est issu de la Chambre de commerce. Entre janvier 2022 et mars 2023, Metty Steinmetz a d’ailleurs travaillé pour Luc Frieden à Bruxelles, en tant que « junior public affairs and communication advisor ». L’éphémère Grand-Duc du patronat luxembourgeois, en quête permanente de postes plus ou moins prestigieux, avait pris la présidence d’Eurochambres, la fédération européenne des chambres de commerce. (Le vrai travail de lobbying est assuré par BusinessEurope, disposant d’une toute autre puissance de feu.)

Metty Steinmetz dit ne pas avoir connu personnellement Luc Frieden avant de commencer à travailler pour lui. Cela aurait été un pur fruit du « hasard ». Lorsqu’il postulait à l’offre (publiée par la Chambre de commerce) pour un poste à Bruxelles, il n’aurait pas été au courant que Frieden allait devenir président d’Eurochambres. Il préparait les briefings, « en échange régulier » avec Frieden, qu’il a accompagné à « une ou deux réunions externes » et qu’il décrit comme « très ouvert » et « accueillant » : « Net sou wéi dat wat soss iwwert hie gesot ginn ass ».

Steinmetz a pris sa carte fin 2014. Il avait fait son entrée au CSV via des stages d’été à la fraction parlementaire. Étudiant en sciences politiques à Vienne, il aurait voulu voir « comment fonctionne la machinerie ». Le CSV se trouvait alors au bout du rouleau : Juncker s’apprêtait à prendre la sortie bruxelloise, Frieden s’était expatrié à Londres. Steinmetz se rappelle, lui, une « spannend Zäit ».

Metty (« Mathias » sur le passeport) Steinmetz est né en 1993, et a grandi dans le village de Rosport. (Depuis son retour de Bruxelles, il y a huit mois, il y vit de nouveau, chez ses parents.) Il se décrit comme « petit dernier » d’une fratrie de quatre ; ses frères et sa sœur ont onze, douze et treize ans de plus que lui. Ses parents auraient eu « une légère affinité » pour le CSV, dit-il. Sa mère était femme au foyer, son père fonctionnaire dans la carrière inférieure. Les dernières années avant sa retraite, il s’occupait notamment des jardins entourant l’Orangerie d’Echternach.

Steinmetz a fréquenté le Lycée classique d’Echternach, dont fait partie le bâtiment de l’Orangerie. Il s’y distinguait des autres élèves par son style vestimentaire. « Il s’habillait comme un adulte », se rappelle Ricardo Marques, politicien CSV d’Echternach et d’un an l’aîné de Steimetz. Ce dernier aurait toujours donné l’impression de savoir « wou hien drun ass ». Steinmetz se rappelle avoir été « extrêmement impressionné » par l’ancienne abbaye, sa salle des glaces, ses jardins, son réfectoire, qui héberge le lycée. Ricardo Marques, par ailleurs psychologue au ministère de l’Éducation, estime que cet environnement aurait un impact sur ses occupants : « Dat schweesst d’Leit zesummen ». La preuve : Le Kolléisch d’Echternach serait le lycée « avec le moins de vandalisme ». Steinmetz s’est peu investi dans la vie associative locale. Mélomane, il n’a pas opté pour un instrument de fanfare, mais pour le violon. Jeune lycéen, il chante au Kannerchouer Consdorf, étudiant, il rejoint le Wiener Domchor, de retour au pays, il adhère au Chœur de chambre de Luxembourg, un des meilleurs ensembles du pays.

Metty Steinmetz n’est pas issu d’une famille de notables. Cela constitue un désavantage électoral, surtout dans une circonscription qui reste dominée par des « fils et filles de ». Le père de Léon Gloden (CSV) était notaire, celui de Carole Hartmann (DP) conseiller communal, celui de Lex Delles (DP) bourgmestre, celui d’Alexandra Schoos (ADR) président de parti, celui de Paulette Lenert (LSAP) secrétaire du CSV « Bezierk Osten ». L’oncle de Stéphanie Weydert (CSV) était maire, celui de Chantal Gary (Déi Gréng) ministre. Quant à Octavie Modert (CSV), elle est la fille d’une politicienne CSV.

Metty Steinmetz a soigné un profil de technocrate, alignant les stages dans la bulle bruxelloise, cimentant son CV par un master au Collège d’Europe à Bruges, usine à cadres et lieu de réseautage pour les futurs technocrates européens. « Il vise la politique européenne depuis tout petit », dit Ricardo Marques. « C’était toujours son dada », confirme Stéphanie Weydert, députée-maire de Rosport-Mompach. Fin 2020, Metty Steinmetz se fait désigner « secrétaire international » de la CSJ, et commence à courir les réunions du Yepp (acronyme anglais des Jeunes du Parti populaire européen.) Son « adjoint » était Philippe Frieden, fils de l’actuel Premier, qui ne figure plus au nouveau comité national de la CSJ, trop pris par ses activités d’avocat spécialisé en fusions-acquisitions à Paris.

Il y a quatre semaines, au congrès national du CSV, Steinmetz se faisait introduire par le maître des cérémonies Félix Eischen : « Ech hu mir soe gelooss, du häss ee relativ strammt… gutt vernetzt… euh… Netzwierk. » Le candidat aux européennes était visiblement content de cette introduction : « Jo, dat hues de richteg gesinn ». Au cours des réunions des Jeunes du Parti populaire européen, il aurait « tissé son réseau » : « Wat ganz interessant ass ». Aux délégués du congrès, il se recommandait par sa spécialisation académique dans « la lutte contre le terrorisme, la sécurité d’État et la déradicalisation ». Son mémoire, soutenu en 2020 au Collège d’Europe, porte sur les « réformes du secteur de sécurité » en Tunisie depuis le printemps arabe. Steinmetz y met l’accent sur l’aspect économique : « The lack of economic perspectives plays into the hands of terrorist groups, as people risk becoming radicalized and are therefore easy to recruit by diverse jihadist groups ». La stabilité économique créerait donc une situation « win-win » : « The population is probably more likely to support certain more unpopular reforms in the country. »

Steinmetz travaille dans la communication à la Chambre de commerce, une institution de droit public. Au congrès du CSV, il se présentait comme quelqu’un venant du « terrain », connaissant les réalités du privé. Il faudrait réduire « les obstacles administratifs » qui entraveraient les créateurs de richesses, disait-il, s’appropriant ainsi le leitmotiv friedenien. Luc Frieden s’aligne, lui, sur son jumeau allemand, Friedrich Merz. Que ce soit sur Israël, la recherche nucléaire ou le « modèle Rwanda », le CSV suit le lead de la CDU. Les conservateurs allemands viennent de pondre un nouveau Grundsatzprogramm, censé aiguiser leur profil. La recette de Merz ressemble singulièrement à celle employée par Frieden. Mélangez une « attraktive Unternehmenssteuer », avec la promesse de « weniger Regulierung » et de « schnellere Planungsverfahren ». Ajoutez une prise de sécuritaire (« Unsere Sicherheitsstrategie heißt : Null Toleranz ! »). Beurrez le plat avec des incitatifs fiscaux pour les « Leistungsträger » (lisez : « talents »). Mélangez avec du populisme anti-écolo jusqu’à épaississement, et servez.

Sur deux points, la nouvelle ligne de la CDU marque une rupture programmatique avec les années Merkel. Cela commence par le nucléaire : « Dem Klimawandel begegnen wir technologieoffen. […] Wir können derzeit nicht auf die Option Kernkraft verzichten ». Cela continue avec les migrations : La CDU revendique l’outsourcing des procédures d’asile vers des « pays-tiers sûrs », une externalisation que prônent également les Tories (via le Rwanda) et les Fratelli d’Italia (via l’Albanie). Or, c’est justement sur ces deux questions, la recherche nucléaire et les procédures d’asile, que Luc Frieden tente de déplacer le curseur du débat, revendiquant une approche « moins idéologique » pour la première, « plus nuancée » pour la seconde.

De simples malentendus, selon Metty Steinmetz, le Premier ministre aurait été mal compris, voire mal cité. Il aurait simplement expliqué que le Luxembourg « ne bloquerait pas » les investissements d’autres pays dans la recherche nucléaire. Quant au modèle Rwanda, le CSV y aurait été opposé « depuis le début », rappelle Steinmetz. Il ne verrait pas le parti sous Luc Frieden prendre cette direction. Et quid des déclarations sur Victor Orbán dont Frieden disait vouloir « mieux comprendre les positions » ? Le Premier ministre serait « tout nouveau à son poste », il aurait donc exprimé le souhait « légitime » d’apprendre à mieux connaître ses homologues.

La CSJ est une salle d’attente du pouvoir. En amont des transitions, les jeunes ambitieux s’impatientent, et osent bousculer les patriarches vieillissants. En 1979, le président de la CSJ, Jean-Claude Juncker, présente la Jeunesse chrétienne-sociale comme « levain dans la pâte du CSV », et se démarque des milieux cléricaux. En 1994, le duo dirigeant Laurent Zeimet et Pierre Lorang revendique de la « frësch Loft », et s’offusque de la « lähmende Selbstgefälligkeit » qui aurait « enrouillé » la machinerie du parti. Après la bérézina de 2013, Serge Wilmes pousse au « renouveau », puis plaide pour le « oui » au droit de vote des étrangers, deux ans plus tard.

Ces dix dernières années, l’attente s’était faite longue à la CSJ. Les moins de 34 ans (âge limite pour y avoir un mandat) voyaient leurs plans de carrière buter sur un nouveau bloc des gauches. La « sous-organisation » du CSV était passée dans le camp de perdants. « Ce n’était pas forcément le club le plus cool », se rappelait Elisabeth Margue, lors du dernier congrès de la CSJ. L’implosion électorale des Verts a ouvert les portes du purgatoire en 2023. Elisabeth Margue et Serge Wilmes sont entrés au gouvernement, Alex Donnersbach, Charel Weiler, Stéphanie Weydert et Françoise Kemp ont pris place à la Chambre des députés ; Martine Kemp s’est vue propulsée au Parlement européen. Quant à Christophe Hansen, le poste de commissaire européen lui est promis, même si la candidature de Nicolas Schmit compliquera l’équation. Les jeunes ambitieux ont été bien servis. Ils savent se montrer reconnaissants, et se conforment à la nouvelle hégémonie friedenienne.

Bernard Thomas
© 2024 d’Lëtzebuerger Land