André Jung

André Jung et l’odeur des planches

d'Lëtzebuerger Land vom 17.09.2009

Très loin devant les concurrents, avec seize voix contre cinq seulement au second, les Münchner Kammerspiele sont sortis en tête pour la saison écoulée de l’enquête du magazine Theater heute auprès des critiques de langue allemande. Au même palmarès, à deux reprises, en 1981 et en 2002, André Jung avait été choisi comme acteur de l’année. À vingt ans d’intervalle, cela fait un bout de temps à attendre. Il est d’autres lauriers à récolter : André Jung figure dans les trois nominations, avec les Autrichiens Bernd Jeschek et Peter Simonischek, pour le prix Nestroy qui sera attribué le 12 octobre prochain à Vienne (il est nommé pour son Krapp dans Beckett au dernier festival de Salzbourg).

C’est dire le parcours plein de succès, de gloire, d’André Jung, né en 1953, depuis ses études d’art dramatique à Stuttgart, ses premiers engagements. Et les bienfaisants ravages du virus du théâtre qui lui a été inoculé par Tun Deutsch, à Junglinster d’abord, où le père de Jung avait accompagné les premiers pas de son fils. Un virus qui se transmet tout naturellement, qui passe d’une génération à l’autre. De l’émotion, de la fierté aussi, quand André Jung évoque les débuts de sa fille, à Bâle, dans Ionesco, La Cantatrice chauve, avec Werner Düggelin, le metteur en scène qui avait été assistant de Roger Blin, et avec qui lui-même avait fait son premier Beckett.

Tun Deutsch, d’autres noms seront prononcés pour la même passion (communicative) du théâtre : Eugène Heinen, Georges Ourth. Et combien cette passion vous prend, une anecdote le montre avec force : André Jung, revenant après de longues années au Grand Théâtre, au Limpertsberg, pris de suie par une odeur toute particulière, du linoléum tout banalement, des planches moins prosaïquement. Expérience toute proustienne, qui vous saisit un homme.

À ses débuts, André Jung a joué à Heidelberg, à Bruxelles (dans Offen­bach, sous Wernicke), à Stras­bourg. En français comme en allemand. S’il s’est décidé pour des engagements dans des pays de langue allemande, à Bâle d’abord (de 1988 à 1993) à Hambourg ensuite (de 1993 à 2000), puis à Zurich (de 2000 à 2004), avant Munich maintenant, cela tient en premier à l’organisation de la vie théâtrale dans ces pays. Avec les troupes, les répertoires. Les metteurs en scène aussi, dont André Jung dit en plaisantant que presque tous, il aime à les retrouver (s’il sont toujours en vie).La chose est vraie au plus haut point, ces dernières années, pour Jossi Wieler, pour Johan Simons. C’est que ces deux-là laissent de la liberté aux acteurs, ne viennent pas aux répétitions avec un concept tout fait, une idée fixe. Un processus est engagé, et l’apport est fort de toutes parts. Il est vrai qu’il appartient aux acteurs, une fois la première passée, de maintenir en vie le spectacle. Et l’on soupçonne André Jung de ne pas être acteur à figer un rôle ; au contraire, il lui plaît de le renouveler sans cesse. Façon de faire (re)vivre un personnage tous les soirs. Et d’atteindre le public. Prenons l’un des personnages qu’il incarne en ce moment : le Juif Mendel Singer, dans Hiob, d’après Joseph Roth. Cet homme est a priori très éloigné de nous, « doch Jung rückt (die Figur) wieder ganz nahe an uns heran » (Mathias Heine, dans Die Welt), et le critique d’ajouter : « wer davon nicht berührt wird, dessen Herz müsste taub sein ».

Dans un autre journal, Willibald Spatz souligne l’émotion, le plaisir esthétique, « dem Gesicht beim Verfallen zuzusehen ».

Houellebecq, Coetzee, Fallada, Roth… que de romanciers dont on joue des adaptations. Faute de pièces ? André Jung ne veut pas le croire. Question de liberté toujours. Pour lui, les limites (des genres) n’existent plus, et la scène apporte à chaque fois une nouvelle grille de  lecture. Quitte à changer radicalement l’éclairage, comme cela a été fait pour Les Particules élémentaires, Elementarteilchen, il en résulte un véritable plaidoyer pour l’homme.

S’il fallait caractériser le plus brièvement possible l’acteur André Jung, ne serait-ce pas justement le côté humain, humaniste, qu’on retiendrait et mettrait en avant. C’est un homme en chair et en os, mon lecteur, mon frère, a dit Baudelaire, qu’on voit sur la scène. Ce qui explique aussi, cette présence charnelle, cette communion entre acteurs, cette communication avec le public, sa prédilection pour le théâtre (ou l’opéra des fois), contre le cinéma, a fortiori contre la télévision. Et pourtant les films et les séries de télévision existent, et font foi du même talent, comment ne pas se rappeler en l’occurrence ses récits d’accidents du travail, doigt ou jambe arrachés, dans le Club des chômeurs, d’Andy Bausch (avec le regretté Thierry van Werveke).

P.S. Dans un passé récent, le Grand Théâtre accueillait les Münchner Kammerspiele ; ce n’est malheureusement plus le cas. André Jung, le public luxembourgeois aura quand même l’occasion de l’écouter jeudi et vendredi prochains, à la Philharmonie,  dans le concert de l’OPL, où il sera le récitant dans Ein Sommernachtstraum op. 61, de Felix Mendelssohn Bartholdy.

Lucien Kayser
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