D’un côté, les gouvernements européens adoptent des plans climat plus ou moins ambitieux. De l’autre, les publicités pour des produits et services fortement émetteurs de gaz à effet de serre s’étalent dans nos journaux et sur nos écrans. Elles nous incitent à acheter une voiture neuve ou à nous évader en avion pour un week-end. C’est pourtant simple : il est urgent de bannir ces pubs, ou à tout le moins les plus pernicieuses d’entre elles. Utopie ? Non, il ne s’agit que de cohérence.
Décarboner l’économie, c’est, entre autres, se détourner des SUV et prendre moins souvent l’avion. Comment peut-on espérer atteindre les objectifs de réduction d’émission affichés pour 2030 ou 2050 si des trésors d’ingéniosité publicitaire peuvent simultanément être déployés à longueur d’année pour nous convaincre d’agir en sens contraire ?
Si l’on compare ce qui se passe aujourd’hui pour la crise climatique avec ce qui s’est passé il y a quelques décennies pour le tabac, nous sommes bel et bien à un moment-charnière. Il avait alors fallu démasquer l’obstruction pratiquée par les cigarettiers, qui semaient activement le doute sur le lien entre inhalation de la fumée de leurs produits et cancer du poumon, pour que la publicité pour ces produits soit enfin interdite un peu partout. Aujourd’hui, comme le montre de manière éclatante le procès en cours à New York contre Exxon, nous assistons à un basculement comparable dans la prise de conscience du rôle des entreprises de combustibles fossiles et de celles dont le modèle d’affaires repose sur la combustion de leurs produits. Utilisant les mêmes techniques, le complexe thermo-industriel a lui aussi activement entretenu depuis les années 1970 le doute sur le lien entre CO2 et réchauffement, comme l’ont démontré Naomi Oreskes et Erik Conway dans Merchants of Doubt.
L’argument en faveur d’une interdiction de la pub pour le tabac était sanitaire. Dans le cas des combustibles fossiles, ce sont notre santé et même notre survie qui sont en jeu. Mais il y a une autre justification de poids dans le cas des énergies fossiles, qui touche au rôle des médias dans la formation de l’opinion. Selon The Shift Project, qui a planché sur l’idée d’interdire en France la publicité pour les voitures (en envisageant de se concentrer par exemple sur celles dépassant une certaine cylindrée ou une consommation supérieure à cinq litres aux cent), le secteur automobile dépenserait de l’ordre de 1 500 euros de publicité pour chaque voiture vendue. Ce qui donnerait un montant annuel de l’ordre de trois milliards d’euros, dont une bonne partie irait aux médias pour de l’achat d’espace. Les moyens de communication dépendent donc, pour payer les salaires de leurs journalistes, des considérables revenus publicitaires liés aux voitures et aux voyages aériens. Peut-on sérieusement attendre, dans ces conditions, qu’ils traitent objectivement la crise climatique ?