Le manque de logements, les prix élevés des habitations constituent un désavantage manifeste pour le développement économique du pays et une source d’appauvrissement pour la majorité de la population.
La relation étroite entre le coût de la construction et le loyer a pour effet de faire grimper les loyers à des niveaux inabordables. En période de pénurie de logements, les propriétaires déloyaux et les spéculateurs augmentent massivement les loyers à chaque changement, sans pour autant investir un centime supplémentaire.
En matière de loyers, nous rangeons au deuxième rang derrière la Suisse (indice 100) Luxembourg 79, Allemagne 74, France 71, Italie 61, Angleterre 60, Autriche 47 etc. (source : Eurostat/Office Fédéral (suisse) de la statistique, chiffres adaptés au pouvoir d’achat).
D’après cette même source suisse les locataires consacrent en moyenne 26 pour cent de leurs revenus au paiement de leur loyer. C’est la charge la plus lourde du budget des ménages. Des loyers abusifs réduisent le pouvoir d’achat, freinent donc la consommation, ce qui est négatif pour l’emploi. L’augmentation des aides sociales pèse pour sa part sur la fiscalité.
Quelles mesures doivent être prises pour ralentir cette flambée de prix? Geler les loyers? Introduire des mesures coercitives contre les propriétaires de logements ou de places à bâtir? Les partis politiques devraient au-delà des slogans stériles prendre clairement position à l’égard de ce problème aussi grave, sinon plus grave que celui du chômage.
Les dispositions de la loi du 30 juin 2002 déterminant différentes mesures fiscales destinées à encourager la mise sur le marché et l’acquisition de terrains à bâtir et d’immeubles d’habitation ont eu quelques effets chiffrables en matière de T.V.A. et de droits d’enregistrement (voir rapport AED 2003 : www.aed.public.lu).
Aucune donnée chiffrée n’est actuellement disponible quant aux effets de ces mesures en matière d’impôt direct. L’activité de construction est assez soutenue mais deux objectifs n’ont pas été atteints : créer à court terme suffisamment de surfaces à bâtir pour faire face à une offre toujours déficitaire et stimuler l’offre pour stabiliser voir réduire les prix des terrains.
Sans vouloir éterniser une discussion sur le bien-fondé de ces mesures, je constate que les pertes fiscales sont considérables; que la demande globale en matière immobilière résidentielle ne réagit que peu au prix, ceci d’autant plus que l’équilibre du marché est loin d’être atteint. Le logement est un bien de première nécessité auquel on ne peut se soustraire. Aussi, y a-t-il lieu de relever la progression fulgurante de la population qui, renforcée par le changement de la structure familiale et du niveau salarial, a contribué à stimuler la demande.
Il y a donc lieu de réfléchir à d’autres mesures pour maîtriser une situation unique, jamais vue dans notre pays. Une question pertinente a été posée à propos des résidents qui, dépassés par la montée des prix, ne pourront jamais accéder à la propriété. Deux questions supplémentaires doivent cependant la compléter pour cerner le problème:
1) L’État peut-il aller au-delà des subventions actuelles à l’acquisition d’ habitations ? Est-ce le dernier objectif économique que d’accéder à la propriété, à n’importe quelle condition, à n’importe quel prix, même au risque de créer des inégalités criantes en matière d’aide sociale ?
2) L’État peut-il se permettre de verser des millions d’aides au profit de personnes désireuses (et capables financièrement) d’acquérir la propriété d’un logement, alors qu’une autre catégorie de résidents- les locataires - sort les mains vides?
L’aide au logement locatif devra être envisagée sous le double aspect de l’égalité des chances quant aux subventions et du droit à un logement décent, qu’il soit privatif ou locatif.
Une statistique sur les aides allouées est d’ailleurs assez facile à réaliser, notamment en matière de T.V.A. et de droit d’enregistrement alors qu’il s’agit dans les deux cas d’un crédit d’impôt par appartement dans le premier cas, par personne pour ce qui est du droit d’enregistrement.
Le problème de la cherté des logements (due notamment au prix de la place à bâtir) touche aussi bien l’acquisition et la location, même s’il semble que ce dernier marché soit plus proche de l’équilibre. Rappelons aussi que des milliers de logements sont en attente d’autorisation auprès des instances. L’État doit aussi veiller à une utilisation rationnelle du sol et imposer des contraintes en ce qui concerne la création de logement par une densification de la construction.
La propriété privée et rien d’autre?
Face au constat que l’État et certaines communes ne possèdent pas les immeubles nécessaires pour exercer une influence modératrice quelconque sur les prix, il n’y a qu’une solution : créer immédiatement des mécanismes pour permettre aux autorités publiques d’intervenir dans le marché des lotissements et celui de la construction.
Les autorités publiques n’interviendront que pour une période limitée et seulement pour suppléer à la carence du marché privé. Elles veilleront à ce que l’argent public, c.-à-d. les subventions et aides de l’État, atteindront réellement leur destinatairet. Comment acquérir ? La propriété privée devra être respectée, quelque soit la pression exercée sur le marché respectivement sur les autorités publiques.
Quant aux acquisitions de gré à gré , les autorités publiques arrivent rarement à persuader les propriétaires à leur céder des immeubles. Il est donc d’usage de demander toujours un prix très fort aux collectivités publiques. Cela paraît normal, puisque les prix énoncés dans les actes d’acquisition entre propriétaires de terrain et promoteurs ne reflètent (presque) jamais le prix réellement payé. Il n’est, à ma connaissance, pas prévu que l’État disposera prochainement de fonds "noirs" pour encourager les propriétaires à céder leurs terrains. Le problème devient visible. À long terme, la politique d’acquisition même de terrains chers sera néanmoins intéressante, à condition que soit "soustraite" à la propriété individuelle privée une certaine masse de terrains au profit de la communauté nationale.
Une évolution du marché et des mentalités vers d’autres formes de la possession est urgente et nécessaire pour éviter qu’à moyen terme la propriété privée ne soit l’apanage d’une certaine catégorie de la population, sinon le fossé entre les propriétaires et les non-propriétaires ne pourra plus être comblé.
Le droit civil et administratif offre deux possibilités d’accès à la propriété de la construction et à la quasi-propriété du terrain : le droit de superficie et le bail emphytéotique (loi de 1824). Il pourra également être fait usage du droit de préemption. Normalement utilisé dans les relations contractuelles entre vendeurs (p.ex. Fonds de logement, Habitation à bon marché, communes) et acquéreurs privés, ce droit ne semble pas trop choquer l’extrême sensibilité des Luxembourgeois en matière de propriété, reliquat latin beaucoup plus que celtique et germanique.
On a évoqué la possibilité pour l’État de faire valoir ce droit de préemption à l’égard des transactions conclues entre particuliers. À vrai dire, l’intérêt du propriétaire est entièrement sauvegardé, s’il est disposé à céder son terrain (donc pas d’expropriation) et s’il reçoit le prix convenu : l’autorité publique ne faisant rien d’autre que de se substituer à l’acquéreur initial.
Cet acquéreur est évidemment lésé comme opérateur économique : il a besoin de terrains pour exercer son activité. L’État, se substituant simplement à cet acquéreur, porte dans une certaine mesure préjudice à ses intérêts économiques , préjudice minimisé cependant du fait que ces terrains seront rétrocédés en vue de la construction.
À défaut de satisfaire un promoteur individuel, le modèle proposé pourra cependant remédier à une situation globale. Il faut constater que les terrains disponibles sont systématiquement acquis par un nombre restreint de promoteurs alors que d’autres candidats à l’acquisition, qui n’ont pas les mêmes capacités financières, seront de toute façon éliminés.
D’une façon imperceptible se développera un oligopole de propriétaires qui se seront substitués aux cultivateurs et autres propriétaires terriens. Ce mouvement vers le marché des valeurs immobilières qu’on estime plus lucratif que les valeurs mobilières est accéléré et renforcé par le fait que beaucoup de gens ont apparemment des problèmes pour dépenser les fortunes accumulées…Une politique d’acquisition volontariste nécessite évidemment des fonds considérables dont la collectivité ne dispose pas forcément. Il y a dès lors lieu d’innover en cette matière.
En ayant recours à des fonds d’investissement publics avec rendement garanti, on pourrait mobiliser notamment la masse de la petite épargne. Le rendement de ces fonds serait garanti en appliquant le principe de la garantie de loyer. Cette même formule pourrait d’ailleurs s’appliquer aux acteurs privés souhaitant constituer des fonds d’investissement garantissant de la sorte le maintien de la pression de la concurrence sur l’acteur public. Ceci présuppose évidemment que des critères de qualité de logement soient clairement définis. Les investissements en ces fonds doivent évidemment profiter des mêmes avantages fiscaux (notamment l’amortissement) que les investissements actuels. Ces fonds investiraient principalement dans le logement locatif et la location-vente.
Je plaide donc pour une politique d’acquisition bien résolue et dynamique des autorités publiques : acquéreurs aux ventes de gré à gré, acquisitions de terrains agricoles notamment par des adjudications publiques et l’introduction d’un droit de préemption qu’il s’agira de déterminer et de délimiter.
Voilà donc, admettons-le, les collectivités publiques enfin propriétaires de terrains. Psychologiquement, il s’agira de préparer l’opinion publique à l’idée que ce n’est ni la Commune, ni le Gouvernement qui en sont propriétaires mais la Communauté Nationale. Cette communauté devient active pour résoudre ses problèmes de logement : l’État, les constructeurs, les financiers et les demandeurs de logements oeuvrant ensemble.
Il faudra se défaire également de l’idée que l’État, par définition, ne sait rien faire, ne doit rien faire, ne doit surtout pas s’immiscer dans le marché, puisque de toute façon, il ne réussira jamais comme l’entrepreneur privé. Des projets bien élaborés, des fonctionnaires compétents et honnêtes, une approche sociale bien réfléchie pourront combler avantageusement les lacunes et les défauts de notre marché immobilier actuel, que ce soit par le Fonds de Logement ou un Groupement d’intérêt économique ad hoc.
Combiner les mesures sociales avec l’intérêt économique!
La deuxième étape consiste dans la cession des terrains par les autorités publiques. Cette cession portera sur la possession, jamais sur la propriété. Elle se concrétise dans le droit de superficie ou le bail emphytéotique. L’investissement des autorités publiques devra évidemment être rentabilisé, au moins à long terme. Cette transaction ne consiste pas seulement dans un acte de bail emphytéotique, elle contiendra également les stipulations relatives à la construction de logements à financer par l’investisseur privé.
Compte tenu de l’attractivité du secteur du bâtiment, une action parallèle pour le rassemblement de capitaux privés en vue de la construction semble envisageable, alors que les rendements sont garantis par l’État. Le financement de la construction des logements et de leur exploitation se fera par des fonds privés appropriés. Une autre façon d’empêcher la fuite des capitaux à l’étranger !
Les autorités publiques, moyennant un appel d’offre avec un cahier de charges, feront appel aux promoteurs pour construire des logements aux conditions déterminées, parmi lesquels le paiement d’un pourcentage déterminé (p.ex. 1 pour cent du prix du terrain à titre de loyer du bail emphytéotique). Reste ouverte la question du préfinancement des infrastructures par l’État ou les communes et la question de l’inclusion ou non de ces frais dans l’assiette du loyer du bail emphytéotique.
Compte tenu du fait qu’il s’agit en l’occurrence d’un appel d’offre public, les promoteurs désireux de construire pourront s’adonner à cœur joie à la construction des immeubles selon les standards préconisés par l’État. L’intervention des collectivités publiques ne s’arrête cependant pas à ce stade puisque celles–ci se porteront locataires. Cette location ne sera pas systématique pour tous les immeubles construits, le pourcentage entre location et vente sera arrêté, compte tenu des circonstances ou de la demande. Les logements pour lesquels il n’y a pas de demande « sociale » seront loués au prix du marché. Dans l’hypothèse d’une location par l’État, il sera possible également de donner en sous-location au prix du marché au cas où la demande pour des logements sociaux serait trop faible.
Dans le cas de location, les collectivités locales paieront aux investisseurs-propriétaires un loyer légèrement en dessous du rendement habituel, compte tenu du fait qu’elles garantiront son paiement. Des faveurs spéciales pourront en outre être consenties au niveau de l’impôt sur le revenu en cas de location « sociale ». Pourraient évidemment être prévues des formules location-vente. En effet cele-ci pourrait permettre aux locataires de longue durée de s’acquitter sur une longue période du prix d’achat par une majoration du loyer à payer. Cette location-vente peut se concevoir parfaitement pour toutes les formes de mise à disposition de terrains. Les collectivités publiques donneront ces habitations en sous-location aux demandeurs de logements et fixeront un loyer approprié, compte tenu de leurs possibilités financières, loyer forcement inférieur au loyer à verser par l’État au propriétaire. Cette différence constitue la prime au logement locatif. Un modèle analogue pourrait être appliqué pour la rénovation des anciens logements avec location subséquente aux collectivités publiques.
En résumé
- Grâce à ces mesures, les collectivités publiques deviendrontt propriétaires de terrains destinés à la construction. Une vaste concertation devra être engagée pour dénicher les futurs lotissements là où ils font défaut. Les prix réels devront être soumis à un contrôle très sévère par les administrations fiscales.
- Il ne sera pas fait usage de l’expropriation. Du fait du financement des terrains par les collectivités publiques et leur maintien dans le patrimoine national, le facteur du coût du terrain est pratiquement neutralisé, alors que le loyer demandé pour le bail emphytéotique constitue néanmoins une certaine rémunération à long terme. D’autres sources pourront être dégagées.
- Il est évident que l’État ne pourrait pas se permettre d’investir massivement dans la construction de logements. Des capitaux privés devraient donc être disponibles, avec une garantie de rendement convenable. Pour augmenter l’attractivité de cet investissement dans le logement social, des règles d’amortissement spéciales pourraient être envisagées. Justification : les loyers perçus par les propriétaires sont déclarés intégralement au fisc sans aucune possibilité de fraude…Le loyer sera garanti par l’État, il n’y a donc aucun risque pour le propriétaire qui devrait, en contrepartie, renoncer à obtenir un montant maximal de loyer.
- Les Services du Logement alloueront les logements et détermineront les loyers à payer par les (sous-)locataires; la possibilité de la location-vente au profit du sous-locataire n’est pas exclue alors que l’État ne se portera acquéreur qu’exceptionnellement.
- Sur tous les grands chantiers, Fonds Belval, Kirchberg etc, ce nouveau modèle devra être mis en route dès maintenant en ce qui concerne la cession par bail emphytéotique, puisqu’il n’y a nul besoin de législation. Pour la réalisation du modèle complet (droit de préemption, location par l’État et sous-location) l’intervention du législateur est indispensable.
- Le présent modèle n’exclut pas la mise en œuvre de mesures plus coercitives en ce qui concerne la taxation progressive des terrains à bâtir. Cette mesure, envisagée par un parti politique, rencontrera cependant d’énormes difficultés d’application pratique : À déconseiller !
- Il y aurait lieu de réfléchir plutôt à un nouveau modèle d’impôt foncier qui d’abord serait augmenté de façon substantielle et ensuite comprendrait dans les composants de son taux une relation terrain/surface d’habitation, façon de différencier fortement la taxation de villas, maisons unifamiliales et appartements par rapport à leur occupation du sol. Un tel impôt inciterait sans doute à une meilleure occupation du terrain et constituerait un revenu appréciable et surtout durable pour les Communes, revenu d’autant plus bienvenu qu’il aidera à financer les infrastructures dont la lourde charge incombe à la Commune. En outre, cette mesure incitera les Communes à accepter une occupation du sol plus dense.
- Les allégements fiscaux prévus en matière d’impôt direct par la loi de 2002 devraient être revus et corrigés, compte tenu des bénéfices exorbitants résultant des augmentations démesurées des prix des terrains. L’abolition de l’impôt sur la fortune constituerait un pas fatal dans la mauvaise direction : À déconseiller !
- Les honoraires des notaires, liés tarifairement aux prix des immeubles, devraient être revus à la baisse puisqu’aucune charge ou plus value, aucun travail supplémentaire du notariat ne correspondent à cette augmentation automatique : À conseiller !
L’auteur est directeur de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines. Il s’exprime ici à titre personnel.
anne heniqui
Kategorien: Parlamentswahlen 2004, Wohnungsbau
Ausgabe: 04.03.2004