Poker bancaire
« Kein Grund zur Klage - oder doch ? », titre le Wort ce jeudi au sujet de la présentation du rapport annuel du lobby des banques, l’ABBL. Un titre interrogatif (forme normalement bannie dans les écoles de journalisme) face au chaud et au froid soufflés en même temps par le président Guy Hoffmann et le nouveau directeur Jerry Grbic (photo : sb). Les profits des banques ont augmenté de trente pour cent en 2021, de trois à quatre milliards d’euros. Difficile pour l’ABBL de le contester puisque ces données ont été publiées par la Commission de surveillance du secteur financier au début du mois (d’Land, 8.4.2022). L’association des banquiers précise, comme l’a fait le régulateur, que cette hausse exceptionnelle tient à des reprises de provisions. Elles s’étaient élevées à 922 millions d’euros en 2020 pour chuter à 254 l’année d’après. Un demi milliard de revenus nets exceptionnels de plus (1,9 milliard contre 1,4) participe aussi à l’augmentation des bénéfices. Mais l’ABBL communique surtout sur les « banques pas rentables », l’angle repris principalement dans les médias. « Près de vingt pour cent des banques ne sont pas rentables, un constat alarmant pour l’économie luxembourgeoise », alerte le lobby qui négocie la convention collective. Les banques menacées emploieraient quelque 3 000 personnes selon l’ABBL qui informe, comme tous les ans depuis la disparition du secret bancaire, d’une consolidation du secteur (qui compte 26 000 employés). Le nombre d’établissements a chuté de 141 en 2016 à 124 fin 2021. Mais, souligne le lobby, le « secteur financier » (et non plus simplement les banques) apporte 36 pour cent des recettes fiscales nationales et contribue pour plus de trente pour cent au PIB.
Le nouveau directeur de l’ABBL, Jerry Grbic, débarque justement de l’une de ces banques en perdition face au coût croissant du personnel (notamment lié aux exigences de conformité) : Fortuna. Dans ses comptes publiés à la fin du mois de mars, la banque coopérative informe avoir décidé de « se rapprocher d’un acteur local » (après des échecs de reprise par Bank of Beirut et le hedge fund Chenavari) pour ne pas « mettre en péril la banque et ses employés », au nombre de 26. La banque a vendu ses locaux du boulevard de la Pétrusse l’an passé et transféré la plus-value (quinze millions d’euros) dans les fonds propres (notamment pour éponger les deux millions de pertes accumulées ces dernières années). L’auditeur PWC relève, lui, « l’incertitude significative relative à la continuité d’exploitation » face à l’ambition de la banque de « céder la majeure partie de ses actifs et de sa clientèle » (celle-ci parle de vendre « son fonds de commerce ») dans l’année. Contacté pour connaître l’identité du repreneur et l’avenir envisagé à la banque coopérative, son président André Poorters ne répond pas. pso
Cargolux la milliardaire
La compagnie nationale de fret aérien, Cargolux, a annoncé mercredi avoir pulvérisé son record en termes de bénéfice, avec 1,3 milliard d’euros de profits après impôts, soit une augmentation de 68 pour cent par rapport à l’exercice 2020 (769 millions d’euros). Au passage, Cargolux comptabilise presque 400 millions euros d’impôts sur les bénéfices, principalement au Luxembourg et en Italie. Grâce aux défaillances dans les chaînes d’approvisionnement internationales (par les mers notamment), la compagnie de fret bénéficie d’un réservoir de cash significatif : 2,1 milliards de dollars à la fin 2021. De quoi envisager sereinement le remplacement de la partie vieillissante de sa flotte d’avions (trente unités). La compagnie de fret ne se prononce en revanche pas sur le modèle choisi, la production du Boeing 747-8F étant arrêtée. « Nous évaluons la nouvelle génération de cargo en développement », informe Cargolux. La société se dit en outre « consciente » de son impact sur le changement climatique et travaille pour le réduire, en investissant par exemple cent millions de dollars « sur les prochaines années » dans le développement de fuel durable. pso
Quand l’ACD conseillait la fraude
Le procès Luxleaks avait révélé les accords fiscaux imprimés chez PWC sur du papier à en-tête de l’Administration fiscale pour que le préposé du bureau d’imposition n’ait plus qu’à tamponner. Le procès qui s’est ouvert mercredi pour escroqueries, fraudes et faux contre le patron de Fidufrance, un avocat et un expert-comptable revient sur les mécanismes de l’offshore luxembourgeois ainsi que sur les conseils prodigués par un préposé de l’administration des contributions directes pour frauder… l’administration des contributions directes. L’histoire s’est passée au tournant des années 2000. Fidufrance créait des coquilles vides, des autochtones et des exotiques, pour permettre à des jet setters français de se soustraire au fisc ou à des escrocs de faire disparaître leur argent (comme le prouve la commission rogatoire internationale qui a mené la police dans les locaux de Fidufrance). Entre 1997 et 2005, la petite entreprise a prospéré au 61 avenue de la Gare. « C’était un peu le wild west au Luxembourg. Vous n’avez pas été le seul à en profiter », avance le président du tribunal mercredi pour mettre le principal accusé en confiance. Mais un changement de loi en 2001 pour professionnaliser la domiciliation de sociétés a poussé le fondateur de Fidufrance, José Jumeaux (à présumer innocent), à s’associer de manière assez chaotique avec des comptables ou des avocats qui étaient alors devenus seuls autorisés à domicilier et gérer les sociétés. « Mon avocat Me L. m’a obtenu un rendez-vous à la Commission de surveillance du secteur financier. J’ai demandé comment me mettre en ordre. La CSSF m’a réclamé un tas de choses que je ne pouvais pas avoir à titre personnel. On a trouvé une solution avec M. W. qui est avocat »… et inculpé pour ce procès fleuve où quatre personnes sont accusées, dont trois pour avoir jouer les prêtes-noms (sans honorer leurs obligations professionnelles).
Telle est l’impression retenue par l’inspecteur en chef lors de son audition comme témoin cette semaine. Le représentant de la police judiciaire détaille comment la fiduciaire s’enrichissait en hébergeant et en gérant des sociétés qui n’avaient d’autre utilité que de cacher le bénéficiaire effectif et la destination de l’argent. Jeudi, l’inspecteur a par exemple évoqué ces « sociétés taxi » auxquelles le client de la fiduciaire demandait une facture bidon pour opérer un paiement et ainsi sortir de l’argent de France avec une prétendue justification. Puis il fallait réduire le bénéfice imposable. L’enquêteur raconte ainsi qu’un fonctionnaire de l’ACD conseillait de « maquiller » le chiffres d’affaires et de ne pas en déclarer 80 pour cent, parce que « personne ne contrôlait ». L’agent en question, Paul D., a été condamné pour corruption en février 2011 à quatre ans de prison dont trois avec sursis et 10 000 euros d’amende. L’intéressé exerçait une activité de conseil fiscal à côté de son emploi de fonctionnaire. « Le travail accessoire n’est et n’était pas compatible ni avec le statut de fonctionnaire ni a fortiori avec les obligations imposées aux fonctionnaires » en vertu de la loi générale des impôts », explique le directeur de l’époque Guy Heintz au Land.Il avait pris la direction de l’ACD en 2006 et entrepris un nettoyage (d’Land, 23.11.2007). « Car le contrôle du respect desdites règles n’était pas systématique et il y avait même une certaine tolérance qui a débordé jusqu’à la corruption de l’affaire D. », continue celui qui est aujourd’hui à la retraite.
En 2011, José Jumeaux avait écopé de trois ans avec sursis et de 10 000 euros d’amende dans l’affaire de corruption d’agent public. Il comparait seize ans après les derniers faits retenus à sa charge pour solder le fond de l’histoire pour laquelle des millions ont été saisis auprès de banques luxembourgeoises. L’accusé a quitté le Grand-Duché en 2006 après avoir été détenu pendant trois semaines à Schrassig, en préventive. « Ma vie a été brisée. Je n’ai jamais pu rebondir. Je suis blacklisté dans toutes les banques du monde. Vous tapez mon nom sur internet : je suis fiché comme criminel financier », se plaint José Jumeaux. Le réquisitoire du parquet et le début des plaidoiries sont prévus ce vendredi. pso
Croissance et pénurie
Même si la hantise des faillites accompagnait les PME durant la pandémie, les chiffres parlent un autre langage : En 2021, l’artisanat compte plus de 8 450 entreprises, soit une progression de cinq pour cent par rapport à 2020. L’emploi a augmenté de quatre pour cent. Sur un marché où la pénurie de main-d’œuvre est chronique, l’artisanat emploie plus de 102 500 personnes, dont 1 750 apprentis. Alors que certains secteurs ont constaté une hausse de l’emploi (génie civil, communication, installations techniques), d’autres ont subi une baisse, comme les soins à la personne et l’alimentation. L’horeca a été particulièrement impacté par les fermetures administratives, la diminution des capacités d’accueil et la peur des potentiels clients d’attraper le virus. La Chambre des métiers souligne que l’inflation fragilise l’artisanat et cite le Statec selon lequel la hausse des prix des combustibles liquides s’est établie à 81 pour cent sur la dernière année. Les tranches indiciaires provoqueraient une spirale prix-salaires, craignent les représentants patronaux. Une peur que l’économiste allemand Marcel Fratzscher (DIW-Berlin) réfute cependant : Dans un contexte où aucun pronostic ne prévoit une stagnation de la demande, une telle spirale semble improbable. La peur reste néanmoins compréhensible après deux années de pandémie au bout desquelles les réserves financières des PME sont souvent épuisées. La Chambre des métiers a également réalisé une enquête sur la transition énergétique au sein des entreprises artisanales. Ces données ont malheureusement pris un coup de vieux avec le début de la guerre. Reste à constater que les entreprises artisanales utilisent encore à 74 pour cent des énergies fossiles dans leur production. Les entreprises qui utilisent des énergies renouvelables misent à presque cinquante pour cent sur l’énergie solaire. sm
Money for nothing
Patrick Dury, le président du syndicat chrétien LCGB, a fait l’apologie du modèle offshore ce mercredi sur les ondes de Radio 100,7 : « La politique des niches se réduit, elle a même disparu, la TVA sur le commerce électronique, le tourisme à pompe, c’est nous qui le fermons, le secret bancaire a disparu, les rulings ont disparu. Toutes ces manières intelligentes que nous avions au pays pour générer des recettes se ferment. » Qualifier le secret bancaire et les rulings d’« intelligents », même l’ABBL n’oserait plus. bt
Mauvaise impression
Mediahuis, la maison d’édition du Wort, a annoncé par l’intermédiaire de sa publication phare cesser l’activité d’imprimerie au Luxembourg. Le premier quotidien payant du pays et l’hebdomadaire en portugais Contacto seront imprimés chez Coldset printing partners, filiale de Mediahuis basée à Hasselt en Flandre. Les quelque 51 000 exemplaires produits quotidiennement parcourront toutes les nuits les 220 kilomètres qui séparent Luxembourg de la plus grande imprimerie de Belgique. « Ces capacités ne sont ni présentes au Luxembourg, ni dans la Grande Région », explique le directeur général de Mediahuis Luxembourg au Wort. Au Land, Paul Peckels confirme avoir prospecté auprès d’Editpress qui dispose aussi, à Esch, d’une rotative.
L’imprimerie Mediahuis emploie actuellement 26 personnes. La direction ne prévoit pas de plan social, mais des départs négociés pour ces employés recrutés sous Saint-Paul et licenciés par l’éditeur flamand qui a racheté le groupe de presse à l’archevêché en 2020. La même année, 70 salariés de l’éditeur avaient déjà été licenciés.
Les locaux de Gasperich, où la rotative est restée quand les journalistes ont rejoints Howald en 2021, devront être vidés au premier trimestre 2024, date de la fin du bail souscrit par Mediahuis à Lafayette, société immobilière de l’archevêché. Son président, Pit Hentgen, indique au Land ne pas savoir quel projet immobilier sera développé à terme sur ce terrain qui jouxte le Ban de Gasperich, développé par Flavio Becca. « Tous les propriétaires de terrains dans ce zoning vont devoir se mettre d’accord avec la Ville de Luxembourg sur un master plan, mais il n’y a rien de concret. La question de savoir si cette zone artisanale ne sera pas convertie à terme en quartier résidentiel est posée », informe l’administrateur des bien de l’Église.
Dans les colonnes du Wort, Paul Peckels explique que la décision de fermer tient à la baisse des activités d’impression, notamment à venir. Infomail, joint venture de Mediahuis et Post, compte arrêter son service i-mail de livraison de dépliants publicitaires puisqu’une directive européenne prévoit d’interdire la distribution d’imprimés publicitaires commerciaux indésirables dans les boites aux lettres. L’offre d’impression en Belgique sera proposée aux clients externes de l’imprimerie de Gasperich, informe par ailleurs le Wort. Le Land en fait partie. pso
Première
La prospective stratégique gouvernementale prend forme à l’initiative du ministère de l’Économie. Se sont réunis vendredi passé à l’hôtel Saint Augustin une vingtaine de hauts fonctionnaires de tous horizons ministériels à l’invitation du ministre socialiste Franz Fayot. Ce comité interministériel doit se réunir deux fois par an pour piloter la scénarisation du futur de l’économie luxembourgeoise, à horizon trente ans, et l’adaptation des stratégies gouvernementales à ces perspectives. Cela passe par la mise sur pied d’un groupe technique composé de représentants des ministères, des observatoires nationaux (de l’Habitat, de la Compétitivité, etc.), des partenaires sociaux et des communes. Ces personnes sont chargées de la production technique des scénarios (qui prennent en compte les méga tendances comme le réchauffement climatique ou la raréfaction des ressources). Elles se réuniront lors de séminaires d’une journée au cours de l’année (le 2 juin, le 7 juillet et le 29 septembre). L’état d’avancement des travaux de scénarisation économique sera présenté lors de la deuxième conférence annuelle publique de Luxembourg Stratégie, les 17 et 18 octobre prochain. « Les ministères présents ont assuré le ministère de l’Économie de leur soutien dans la démarche visant à développer une économie qui soit en même temps plus compétitive et plus résiliente », informe un communiqué de presse signé Pascale Junker. La haut-fonctionnaire, dans l’entourage direct de Franz Fayot au Forum Royal, pilote Luxembourg Stratégie. Dans d’autres ministères, notamment à l’Environnement, dirigé par les écologistes qui ont, eux aussi, leur initiative de prospective citoyenne (constituée par un comité de résidents) avec Luxembourg in Transition, on voit en l’initiative la volonté du ministre socialiste de l’Économie de reprendre la main sur des domaines de compétence perdus lors du remaniement de 2018, notamment l’Énergie et les Classes moyennes, mais aussi sur des thématiques électorales qui lui sont chères. À défaut d’avoir validé ses ambitions de justice fiscale depuis son arrivée à l’Économie en 2020, Franz Fayot pourrait se prévaloir d’avoir ouvert des fronts sur les problématiques environnementales et énergétiques. Le comité interministériel devrait présenter ses scénarios au printemps 2023, année électorale. pso