Les poupées russes
L’écho de l’agression russe en Ukraine a résonné mardi après-midi au tribunal administratif dans le cadre d’un recours de l’ancienne dirigeante de la banque East West United (photo : sb) contre une sanction prononcée à son encontre par la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). L’avocat de Svetlana Fedotova a reproché les « méthodes » utilisées par cette banque appartenant à Vladimir Yevtushenkov, patron du conglomérat Sistema, qui a viré sa cliente en 2015. Maître Hervé Hansen a même qualifié le milliardaire russe, non sanctionné par l’Union européenne, de « cleptocrate ». Sont ciblées par l’avocat les connivences à la tête de l’établissement. Celui-ci était présidé par l’ancien ministre de l’Économie, Jeannot Krecké, jusqu’au 4 mars dernier. Le socialiste avait rejoint le conseil d’administration de l’établissement bancaire en 2013, un an après son départ du gouvernement, puis accédé à sa présidence en mai 2015. En septembre, quelques mois après sa prise de pouvoir sur la Villa Foch, prestigieuse bâtisse en bordure du parc du centre-ville où siège la banque, Jeannot Krecké avait licencié l’administratrice déléguée. A suivi en mars 2016, l’éviction pour faute grave du responsable en crédit structuré. Il leur était reproché d’avoir mis en péril la stabilité d’Ewub en fragilisant les garanties d’un prêt de cent millions d’euros accordé à un industriel géorgien, Loyal Capital Group de Roman Pipia (d’Land, 6.12.2019).
Pour justifier la mise à pied de son responsable crédit, Ewub a fait valoir un rapport produit par PwC entre décembre 2015 et janvier 2016. Ce document, qui a couté 300 000 euros à la banque, accuse Svetlana Fedotova et son collègue. Selon l’avocat Hervé Hansen (qui a représenté PwC, partie civile au procès Luxleaks en 2016), ce rapport a alimenté le dossier de la CSSF qui a retiré en 2020 à sa cliente son honorabilité, l’empêchant ainsi d’exercer sur la place financière. Le mandataire de la banquière russe s’offusque de ne pas avoir eu accès au document pour défendre son dossier. Or, ce rapport PwC, dont un juge du tribunal du travail avait douté de l’existence, ne serait selon Me Hansen pas signé et l’avocat douterait de sa pertinence. Fait notable. Dider Mouget, associé de PwC jusqu’en juin 2016 (en chef jusqu’en 2015), a été administrateur indépendant de East West United entre juillet 2016 et mai 2021. Vladimir Yevtushenkov a été nommé consul honoraire du Grand-Duché en 2009 alors que Jeannot Krecké était ministre. Les deux hommes sont devenus amis. Le socialiste a quitté la présidence de l’établissement à contrecœur après l’agression russe en Ukraine fin février. pso
Les accords de l’espace
« Luxembourg forges space cooperation deal with Russia », titre Luxtimes le 15 février 2018. Sur la photo officielle, le ministre de l’Économie de l’époque, Etienne Schneider (LSAP), pose avec ses homologues belge Didier Reynders et russe Dmitry Rogozin (photo : Meco). Les services du vice-Premier ministre promeuvent la signature le 14 février à Moscou d’un accord visant à la création d’un Conseil de coopération scientifique et technique pour traiter de la recherche dans les écotechnologies, les technologies minières dans des conditions extrêmes et les technologies de l’espace. « Lors de leur réunion, Etienne Schneider et Dmitry Rogozin se sont mis d’accord sur une coopération scientifique dans le domaine de l’espace, y compris les aspects liés à l’extraction et l’utilisation des ressources naturelles des corps célestes qui s’inscrivent dans l’initiative SpaceResources.lu », lit-on sur le site du gouvernement. Luxtimes rappelle en outre dans son article l’accord de coopération dans le domaine spatial signé quelques mois plus tôt avec la Chine.
On n’y prêtait moins d’attention alors : Dimitry Rogozin figurait depuis quatre ans sur les listes des personnes sanctionnées par l’Union européenne. Le 21 mars 2014, l’ancien vice-Premier ministre de la Fédération de Russie était visé pour avoir publiquement appelé à l’annexion de la Crimée. Le Belge Didier Reynders est aujourd’hui le Commissaire en charge de la task force européenne « freeze and seize » coordonnant la mise en œuvre des sanctions sur le Vieux Continent.
Qu’en est-il de cet accord signé avec la Russie ? La Luxembourg Space Agency (LSA) parle « de discussions initiées avant la pandémie qui n’ont jamais été finalisées, ni avec le gouvernement, ni avec l’agence ». Rien de vraiment problématique pour la LSA. La cessation de la coopération avec la Russie suite à son attaquez en Ukraine nécessite en revanche une réorganisation des lancements prévus par l’agence spatiale européenne avec le lanceur Soyouz. Concernant l’accord signé avec l’agence spatiale chinoise, il serait « très général et n’a rien de contraignant ». Quant à l’ambition chinoise de créer un centre de recherche spatiale au Luxembourg, elle est restée à l’état de projet. pso
Une institution rentable
Le parquet européen a publié ce jeudi son premier rapport annuel, sept mois après son installation officielle au Kirchberg. L’institution judiciaire poursuivant les atteintes au budget européen dans les 22 États membres participant a pris en charge une seule enquête concernant le Luxembourg. Elle porte sur un montant d’un demi-million d’euros et la production de faux documents pour bénéficier d’une subvention. En tout, l’Eppo (pour European Public Prosecutor Office) a ouvert 567 investigations. Elles ont potentiellement causé 5,4 milliards d’euros de dommages. 147,3 millions d’euros ont été saisis, trois fois le budget de l’institution dirigée par Laura Kovesi (photo : sb). pso
Une brique dans le ventre
Plus de quarante pour cent des appartements en construction ont été achetés par des investisseurs immobiliers entre 2015 et 2021. À cette lumière, les projets comme le Ban de Gasperich apparaissent comme des gigantesques machines à placer de l’argent. Sur le marché immobilier, les jeunes ménages qui veulent acquérir un logement se retrouvent donc en concurrence avec des multipropriétaires cherchant une opportunité d’investissement. Publiés en janvier en réponse à une question parlementaire des députés socialistes Mars Di Bartolomeo et Yves Cruchten, ces chiffres (et d’autres) ont fait l’objet d’une discussion ce lundi lors d’une réunion des commissions du Logement et des Finances. À l’issue de la réunion, le député libéral André Bauler a tenté de relativiser (face à L’Essentiel) le poids des investisseurs : « Ce n’est pas forcément mal, car cela permet à des personnes de se loger. » Les services du ministre du Logement avaient tenté de décrypter l’évolution de la part des investisseurs. Celle-ci se serait « nettement réduite » en 2021, passant de 40,7 à 36,6 pour cent, lit-on dans la réponse à la QP, qui avance différents facteurs explicatifs : les nouvelles contraintes d’emprunt s’appliquant aux investisseurs (vingt pour cent de fonds propres), la baisse du rendement locatif ou encore la décélération de l’amortissement accéléré (un incitant fiscal réservé aux seuls investisseurs). On peut néanmoins rester dubitatifs. Les taux d’intérêt très bas (qui amorcent leur montée) et la crise de l’immobilier de bureaux suite au Covid-19 ont encore plus cimenté le statut de l’immobilier résidentiel comme valeur refuge. (Selon les chiffres publiés ce jeudi par le Statec, les prix ont progressé de douze pour cent entre la fin 2020 et la fin 2021.) L’appétit des investisseurs déborde d’ailleurs de plus en plus la capitale pour se fixer sur « des zones où les rendements locatifs bruts sont supérieurs ». bt
Freeze
C’est une des mesures sociales annoncées à l’issue de la Tripartite (lire page 2) : Le gel des loyers jusqu’à la fin 2022. À première vue, elle semble largement symbolique. Car depuis 2018, les loyers des nouveaux baux ont progressé beaucoup moins vite que les prix de vente. Ainsi, la hausse des loyers n’a pas dépassé 2,2 pour cent entre le troisième trimestre 2020 et le troisième trimestre 2021, un niveau très proche de l’inflation donc. Face à la folie des prix, le taux de rendement locatif semble donc avoir heurté un plafond, sans que cela ait coupé l’appétit des investisseurs, rassurés par les incitants fiscaux et les perspectives de plus-values. Or, pour de nombreux ménages le gel donnera un minimum de « prévisibilité » (terme chéri de la place financière). Le « taux d’effort » (part des revenus accaparée par les loyers) du premier quintile des locataires (c’est-à-dire des vingt pour cent les plus pauvres) est ainsi passé de quarante à cinquante pour cent, et ceci en seulement trois ans. bt