Ticker du 15 avril 2022

d'Lëtzebuerger Land du 15.04.2022

Shitstorm is in the air

Syndicat, ministre ou encore le patron de Luxair ont réagi (souvent avec irritation) cette semaine à l’information diffusée vendredi soir dernier par la Radio 100,7 selon laquelle la BIL souhaiterait vendre les 13,14 pour cent du capital de la compagnie aérienne que la banque détient (depuis 1948). « Je suis surpris par cette annonce. D’autant plus que Marcel Leyers (le directeur général de la BIL, ndlr) est très impliqué dans notre conseil d’administration », a réagi lundi le CEO de Luxair Gilles Feith à une sollicitation du Land. Mercredi, l’organisation syndicale des travailleurs OGBL s’est dit « étonnée » et « indignée ». Le même jour, sur les ondes de la radio socioculturelle, le ministre de tutelle François Bausch (Déi Gréng) a lui jugé qu’il était trop tôt pour se prononcer. Ses services nous précisent que le gouvernement attend d’avoir une « proposition noir sur blanc ». Pour l’heure, la BIL n’a pas officiellement notifié son intention de vendre.

Or, la BIL souhaitait vendre sa participation dès 2015 quand Lufthansa cédait les siennes à Luxottica. En 2020, Luc Frieden justifiait au Land que « l’actif n’est pas autant stratégique pour la BIL qu’il ne l’est pour le pays » (d’Land, 29.05.2020). Aujourd’hui celui-ci est noyé dans les comptes de l’établissement, on comprend, pour ne pas préjuger de sa valeur. Le transport aérien de passagers ne fait pas vraiment rêver les investisseurs en période de pandémie. « Une vente est envisagée, mais aucune décision n’est prise. Une telle vente ne pourrait avoir lieu que si un partenaire fiable et solide était trouvé, en accord et en alignement avec les autres actionnaires », communiquait l’établissement lundi pour calmer la flambée médiatique.

La sortie de Luc Frieden irrite en haut-lieu et rappelle le contre-pied de la cession des 35 pour cent de Cargolux à Qatar Airways qu’il avait orchestrée en 2011 et qui avait fini en eau de boudin avec le départ (pour le prix d’acquisition) de l’actionnaire du Golfe dès 2012 (qui avait entretemps récupéré des slots au Findel). La fenêtre d’opportunité serait-elle ouverte ? En coulisse, on chuchote que Cargolux, qui profite de la difficulté pour les compagnies passagers de transporter du fret, constituerait un candidat potentiel à la reprise des parts de la BIL. Luxair est le premier actionnaire de la compagnie de fret avec 35,1 pour cent du capital et bénéficie à ce titre du ruissellement de la richesse accumulée par Cargolux qui enchaîne les records de bénéfices, 637 millions d’euros en 2020 (avec trente millions de dividende pour Luxair) et plus d’un milliard en 2021 selon les informations du Land… et donc un dividende qui pourrait doubler. Les deux sociétés sont majoritairement (quoique) indirectement capitalisées par l’État. pso 

Un Rahil peut en cacher un autre

SWR a révélé en fin de semaine passée les doutes qui pesaient sur le réel propriétaire du yacht de 48 mètres Rahil immatriculé au Luxembourg (photo: Didairbus). Homonyme d’un autre navire de luxe mesurant lui 65 mètres et propriété d’Arkady Rotenberg, copain de judo et d’affaires de Vladimir Poutine visé par les sanctions européennes depuis 2014. Au Land à la fin mars, le Commissariat aux affaires maritimes assurait avoir vérifié qui se cachait derrière le pavillon au lion rouge (d’Land, 25.3.2022). Le commissaire Robert Biwer disait avoir conduit des recherches sur les deux registres, commercial (document public) et de plaisance (réservé aux résidents et confidentiel) et n’avoir trouvé aucun signe de présence de personnes sanctionnées. « On ne joue pas dans la même ligue », avait complété le haut-fonctionnaire en référence à la différence de standing des deux yachts affublés du même sobriquet. 

Or, les journalistes allemands sont entretemps tombés sur un jugement du tribunal civil de Malte, eldorado de l’enregistrement de yachts en Union européenne, rendu le 11 mars dernier. Les avocats qui gèrent la société qui détient le Rahil de 48 mètres contestaient une amende de 800 euros. Celle-ci a été prononcée par le Conseil de surveillance des sanctions maltais. Dans un courrier daté du 29 septembre 2020, celui-ci reprochait à la société Aegis Corporate Services Limited d’avoir enregistré le yacht Rahil à Malte alors qu’il appartient à Arkady Rotenberg, personne affectée par les sanctions de l’UE. La société d’avocats actionnaire d’Aegis a nié les accusations et indiqué que le yacht était la propriété d’un certain Aleksander Kozlov via sa société Medexlite. Pour le Conseil de surveillance des sanctions, cette société cache Arkady Rotenberg et il a donc maintenu son amende. Les avocats ont payé pour ne pas s’exposer à une astreinte. Ils ont aussi changé le yacht de juridiction et ont choisi le Luxembourg (il est de ce fait devenu le plus grand sur le registre de plaisance). La société civile particulière Medexlite a été créée le 16 décembre 2020 dans cet objectif. Seuls les résidents, personnes physiques ou morales, bénéficient de la possibilité de s’enregistrer sur le registre de plaisance luxembourgeois. Aleksander Kozlov, un Russe né en URSS en 1969 et résident finlandais, possède l’entière propriété de Medexlite. Cette société a été constituée et est gérée par Michail Pessis, un Russe natif d’Ukraine, qui investit dans l’automobile avec… Boris Rotenberg, frère d’Arkady et lui aussi proche de Vladimir Poutine. Le frérot n’est en revanche pas sanctionnée par Bruxelles (il l’est à Washington), « probablement grâce à sa nationalité finlandaise », comprend Le Monde. 

Au Land, Robert Biwer explique que dans ce contexte et face à ces informations paradoxales, le Commissariat aux affaires maritimes a radié le yacht, notamment « pour des doutes sur le bénéficiaire effectif » du navire et d’éventuels mensonges à son enregistrement. Sans pavillon, le Rahil ne devrait en principe pas circuler. Il est amarré à Marseille depuis le 24 mars selon vesselfinder.com. « Nous avons transmis le jugement, ainsi que toutes les informations dont nous disposons sur l’immatriculation du navire sous pavillon luxembourgeois, aux autorités luxembourgeoises et étrangères compétentes ainsi qu’aux instances judiciaires le 24 mars 2022, afin de poursuivre l’enquête et de prendre les mesures qui s’imposent », communique le commissaire au Land. pso

Un autre consul honoraire sanctionné

Le Royaume-Uni a placé mercredi sur sa liste des personnes sanctionnées en représailles de l’agression russe en Ukraine le plus célèbre des consuls honoraires du Luxembourg en Russie : Vladimir Yevtushenkov, patron et fondateur du conglomérat Sistema, dont la fortune est estimée à 2,5 milliards de livres par le Foreign Secretary. L’intéressé a de nombreux intérêts aux Grand-Duché, dont East West United Bank (Ewub) logée dans la villa Foch en bordure de parc dans le centre-ville. Mais le consul honoraire du Luxembourg sur les régions de Sverdlosk et de Khabarovsk n’apparait plus officiellement dans le registre des bénéficiaires de ses entités luxembourgeoises qui, comme SCP Group, détiennent des centaines de millions d’euros d’actifs. Marjorie Brabet-Friel y remplace depuis début mars dans la chaîne de détention les sociétés Ovo Capital, détenue par le fils Yevtushenkov, Feliks. La femme d’affaires française a quitté le conseil d’administration d’Ewub le même jour que l’ancien ministre socialiste Jeannot Krecké (qui le présidait). Natalia Evtushenkova, l’épouse du grand patron, y figure toujours. 

Consécutivement à la mesure britannique et pour ne pas mettre en péril le fonctionnement de son groupe, Vladimir Yevtushenkov a réduit sa participation en dessous du seuil du contrôle formel en cédant ce jeudi dix pour cent des actions de Sistema à son fils, pour atteindre 49,2 pour cent du capital tandis que Feliks en détient dorénavant 15,2 pour cent. Alexeï Mordashov, consul honoraire du Luxembourg en Russie (province de Tcherepovets), a lui été sanctionné le 28 février et privé de ses honneurs luxembourgeois. pso

Le premier SOS dépannage vélo

Est lancée ce lundi une entreprise qui plaira à la communauté cycliste locale : le premier service mobile de réparations de vélos du Grand-Duché, un concept développé à l’étranger (par cyclonic en France par exemple). The happy cyclist promet d’intervenir en urgence ou sur rendez-vous « n’importe où (au Luxembourg) et à moindre coût ». La formule fonctionne par abonnement, à partir de 9,9 euros par mois. Elle s’adresse aux particuliers et aux entreprises. Emmanuel Plattard (photo), à l’origine de l’initiative, précise que The Happy Cyclist est une société d’impact sociétal qui vise à la « promotion de modes de transport respectueux de l’environnement ». pso

L’espoir d’une mise en faillite

La filiale liégeoise de Liberty Steel a été mise en liquidation ce mercredi par le tribunal belge. Un soulagement pour les syndicats qui espèrent enfin se défaire de leur propriétaire Sanjeev Gupta pour trouver un repreneur plus fiable. Au Luxembourg, ce nouveau développement judiciaire devrait accélérer une mise en faillite, et avec elle la perspective d’une reprise de l’usine à Dudelange, qui dépend de celle de Liège pour son approvisionnement et ses liquidités. Étant donné que les bobines livrées à Dudelange (pour y être galvanisées au zinc et à l’aluminium) doivent satisfaire à des critères métallurgiques précis, le nombre de candidats est limité. Il y aurait encore deux « repreneurs [potentiels] sérieux avec un vrai plan industriel », confirmait le ministre de l’Économie, Franz Fayot (LSAP), vis-à-vis de RTL-Télé cette semaine. Une troisième option aurait été évoquée précédemment, ajoutait-il, sans pouvoir dire plus « pour des raisons de confidentialité ». Arcelor-Mittal a en tout cas déjà fait savoir qu’il n’était pas intéressé à racheter l’usine, que le sidérurgiste luxembourgeois avait dû vendre en 2018 afin de se mettre en conformité avec le droit de concurrence européen. Un désistement qui en dit long sur l’attachement au Standuert industriel historique d’Arcelor-Mittal, qui ne se prive pas pour autant des opérations immobilières juteuses sur le foncier de ses friches. Le moment venu, le LCGB s’attend à une négociation ferme entre l’État, les syndicats et le repreneur potentiel : « Un repreneur viendra avec ses conditions, faut pas rêver », prévient Robert Fornieri, secrétaire général adjoint du LCGB. Les syndicats demanderont des assurances tant pour l’emploi que pour les investissements. Ce sera enfin l’occasion pour Franz Fayot de démontrer qu’il est capable de concrétiser ses visions d’économie durable et décarbonée. En attendant, les machines sont complètement à l’arrêt depuis le début du mois. Alors que la demande de chômage partiel a été refusée par le Comité de conjoncture fin mars, les salariés continuent à venir quelques jours par semaine sur le site de Dudelange. Une situation cocasse alors que le volume de production de l’usine est de exactement zéro. Les ouvriers y passent leur temps à suivre des formations et à assurer des travaux d’entretien. D’autres jours, ils bénéficient de dispenses de travail à salaire complet. (S’ils étaient prévus dans le planning dans l’équipe de nuit, ils sont payés comme s’ils avaient travaillé de nuit.) La prochaine échéance tombera le 30 avril, dernier jour où les salaires du mois devront être payés. Si Liberty Steel ne réussit pas à trouver les liquidités nécessaires d’ici là, la procédure pour mise en faillite pourra être lancée. bt

Bernard Thomas, Pierre Sorlut
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