Chroniques de la Cour

Mauvais pilote

d'Lëtzebuerger Land du 29.04.2022

Un tout petit pas. Après des années de refus, la Cour de justice européenne accepte enfin cette semaine de filmer en streaming des audiences des parties. Mais demeurent des restrictions qui paraissent à certains incompréhensibles. Le streaming ne concerne que les affaires qu’elle a jugées importantes en les confiant à sa grande chambre, une formation de quinze juges sur les 27 qui la composent. Et il se fera en différé. Si l’audience a lieu le matin, le streaming pourra être visualisé l’après-midi. Les audiences de l’après-midi, le lendemain. Le public devra se rendre disponible aux heures indiquées car une fois l’audience finie, la cour efface tout. Pas d’archives parce qu’elle veut, dit-elle, mettre l’internaute à égalité avec la personne qui assiste physiquement à l’audience à Luxembourg et à qui toute possibilité d’enregistrement est interdite. Son disclaimer légal sur internet, très précis sur ce point, est assorti d’un avertissement selon lequel la retransmission en différé, par la Cour, d’une audience sur Internet « ne constitue en aucun cas un enregistrement authentique de l’audience ». Dont Acte.

Une décision frileuse. La Cour suprême des États-Unis, à laquelle la Cour de justice européenne aime à se comparer, met en ligne le jour d’une audience sa version audio mp3 avec la transcription verbatim pour ceux qui le désirent. Des archives sont conservées sur son site depuis 2010. La Cour européenne des droits de l’homme met à la disposition du public toutes ses audiences filmées et archivées sur son site depuis 2007 grâce au support de l’Irlande, tient-elle à préciser.

Le streaming des audiences est une ancienne revendication du Conseil des barreaux européens, le CCBE (qui a conservé son ancien acronyme), lequel est composé des barreaux de 45 pays, de l’UE, de l’Espace économique européen et de l’Europe élargie. Déjà en 2015, dans un article publié dans le journal du barreau français à Bruxelles, Hugh Mercer, président de la délégation permanente du CCBE auprès de la Cour, demandait pour la énième fois que les audiences soient filmées et disponibles sur internet. Pour trois raisons, disait-t-il : Permettre au citoyen européen de s’approprier sa justice, pouvoir observer comment des avocats d’autres pays structurent leurs arguments devant les juges européens dans des dossiers qui sont similaires d’un pays à l’autre et utiliser les audiences comme instrument de travail, efficace, pour les avocats qui doivent apprendre à plaider devant les juges européens. Le 1er avril 2022, soit trois semaines avant la parution du communiqué de presse de la Cour disant ouvrir au public ses audiences de  grande chambre, le président du CCBE, James MacGuill, écrivait une lettre aux présidents de la Cour et du Tribunal européen, au greffier et autres pontes, leur faisant part de ses préoccupations du moment : l’encadrement juridique, jusqu’ici inexistant, de l’utilisation de la vidéoconférence, dans des cas exceptionnels comme pendant la crise du covid-19, et le streaming qu’il appelait encore de ses vœux au nom des principes de transparence et d’accessibilité. Sa demande consistait à obtenir au moins un enregistrement audio dans la langue de procédure, sur le site de la Cour. Une demande non satisfaite.

Interrogé sur ce que pense le CCBE des modalités proposées par la Cour, le conseiller juridique du conseil des barreaux, Peter McNamee, y voit « un développement positif », espère « qu’il sera étendu aux affaires au-delà de la grande chambre en temps voulu », et demande cette fois, au nom du CCBE, « que la période pilote, prévue initialement pour six mois, pendant laquelle les audiences font l’objet d’une diffusion ultérieure, soit considérablement raccourcie, permettant ainsi au public de suivre les diffusions en direct dans un avenir proche ». Rien n’est moins sûr, car personne ne sait ce que la Cour a en tête mais, apparemment le streaming en direct n’est pas dans ses projets. Peut-être un bras de fer entre la Cour et les avocats en perspective dans ce qui n’est qu’un des nombreux combats menés par la société civile pour plus de transparence à la Cour.

Dominique Seytre
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