Chroniques de la Cour

No pasarán

d'Lëtzebuerger Land du 11.03.2022

Rafal Wojciechowski ne fait pas l’affaire. Le juge à la Cour constitutionnelle polonaise, celle qui en octobre dernier a défié l’UE, avait été présenté par le gouvernement Morawiecki en remplacement du juge Marek Safjan, opposant au régime actuel, qui attend d’être remplacé depuis le 6 octobre 2021. Outre le fait qu’il n’avait pas la « maitrise des grandes questions se rapportant au droit de l’Union », le candidat Wojciechowski n’a « pas fait preuve d’une réflexion et d’une maturité à la hauteur des fonctions juridictionnelles auxquelles il aspire », explique le comité 255 (article du Traité de l’UE le créant) dans son rapport envoyé aux États-membres après l’audition du candidat le 25 février dernier. Il ne connaît pas le droit européen, clamaient ses adversaires. Et il est infréquentable, assurait-on dans les milieux européens. Même si le comité avait émis un avis positif, sa nomination à l’unanimité des votes des États membres aurait été improbable vu ses états de service. Le 7 octobre 2021, et sans même utiliser la possibilité de formuler une opinion dissidente ou envisager de s’abstenir comme l’ont fait deux autres juges, il avait participé à la rédaction d’un arrêt de la Cour constitutionnelle très controversé. Et pour cause : il consacrait la primauté de la constitution de la Pologne, du droit polonais, sur le droit européen. Un comble pour un futur juge européen ! Sur ses convictions anti-européennes, le comité 255 ne dit mot. Il estime simplement ne pas avoir « acquis la conviction que le candidat serait en capacité d’apporter dans un délai raisonnable en tant que juge de la Cour de justice une contribution pertinente et efficace au traitement du contentieux ». Une formule diplomatique et prudente que l’on retrouve souvent dans les rapports du comité, explique un initié.

Le gouvernement polonais devra proposer un autre candidat. Mais le fera-t-il ?, s’interrogent certains. « Sur le plan politique, garder le juge Safjan met finalement le gouvernement polonais dans une positon assez confortable vis-à-vis la partie de l’opinion publique qui le soutient. Tout ce qui vient de la Cour de justice européenne, tous ces arrêts condamnant les violations de l’état de droit en Pologne, c’est de sa faute », relève un juriste polonais. Un bouc-émissaire utile, en quelque sorte. Mais il y a plus. Les deux juges au Tribunal européen, l’autre juridiction de la Cour, toutes les deux nommées en 2016 par le gouvernement d’Ewa Kopacz, l’actuelle vice-présidente du Parlement européen, sont dans une situation singulière. La juge Nina Poltorak, docteure en droit, juriste accomplie, n’a été nommée juge que pour quelques mois, de mai à août 2016, dans le cadre du système mis en place pour étaler dans le temps l’arrivée de neuf nouveaux juges au Tribunal à la suite d’ une réforme arrêtée en 2015. Le gouvernement n’a jamais proposé Nina Poltorak pour un mandat complet de six ans. Elle attend toujours dans une sorte de limbe statutaire. La seconde juge du tribunal est Krystyna Kowalik-Banczyk. Son mandat de six ans expire en septembre 2022. Sans qu’il n’y ait jusque-là d’appel à candidature pour la remplacer, ou de proposition du gouvernement Morawiecki de la maintenir en fonction jusqu’en 2028.

Le rejet du candidat Rafal Wojciechowski ne constitue pas le premier échec du  gouvernement. Comme le veut la procédure en vigueur à Strasbourg, il avait aussi proposé une liste de trois candidats pour le poste de juge à la Cour européenne des droits de l’Homme, en remplacement du juge polonais Wojtyczek. Et là, les Polonais auraient plutôt choisi l’affrontement, sans succès.

Les juges de la CEDH n’ont qu’un seul mandat de neuf ans non renouvelable et sont nommés sous contrôle parlementaire, les deux conditions reposant sur le principe d’indépendance alors qu’à Luxembourg les juges peuvent être proposés autant de fois que les instances compétentes, le plus souvent leur gouvernement, le désirent. L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a rejeté en bloc, et pour la seconde fois le 24 janvier dernier, la même liste de candidats proposée par le gouvernement polonais. Cette insistance à imposer des candidats, c’est du jamais vu, avait dit en substance le Letton Boriss Cilevics, membre de cette Assemblée. Sur cette liste il y avait : Elżbieta Karska, membre de la Cour permanente d’arbitrage à La Haye et, incidemment, la femme de Karol Karski, parlementaire européen et membre du parti Droit et justice, la franco-polonaise Agnieszka Szklanna, fonctionnaire au Conseil de l’Europe et Aleksander Stepkowski, juge à la Cour suprême polonaise dont il est aussi le porte-parole. Cette Cour suprême a, avec la Cour constitutionnelle polonaise, perdu son indépendance à la suite de réformes judiciaires dont, déjà en 2016, le juge Marek Safjan expliquait dans les médias, qu’elles étaient contraires à l’essence même de la démocratie.

Dominique Seytre
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