Image de marque de la Place financière

On ne badine pas avec le secret bancaire

d'Lëtzebuerger Land vom 20.05.2004

La directive sur la fiscalité de l'épargne a eu le mérite de banaliser le secret bancaire. De le consacrer, précisent les autorités qui ont tendance depuis cinq ans à en minimiser l'importance pour le développement futur de la place financière. «Son importance décroît - et décroîtra encore dans le futur,» affirme Jean-Nicolas Schaus, directeur général de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) dans le rapport annuel 2003. «Il n'en constitue pas moins un atout important, mais seulement un atout parmi d'autres,» ajoute-t-il. 

Des propos qui sont relayés par des patrons d'établissements de crédit qui n'hésitent plus à parler d'érosion de l'activité de gestion de fortune «off-shore» et n'ont plus qu'un terme en tête : la banque de support. Etienne Verwilghen, le président du comité de direction de la KBL, devenue une sorte de super intendance pour les filiales disséminées dans onze pays en Europe, est l'un des porte-drapeaux de cette nouvelle génération de dirigeants. Il parie plus sur l'avenir des acquisitions de sa banque hors du Grand-Duché pour constituer le réseau «KBL Private Bankers» que sur la seconde vie de la maison mère luxembourgeoise qui a des allures de tigre fatigué. Mais lorsqu'on interroge M. Verwilghen sur l'étendue de l'érosion des affaires de la KBL à Luxembourg dans la gestion privée, il n'a pas de réponse. 

Les patrons sont-ils de bonne foi ? Et faut-il prendre pour de l'argent comptant ce discours qui veut que ce n'est pas dans le secret bancaire qu'est le potentiel de croissance de la place financière ? Où serait-il  alors ? Dans les cinq «clusters» - ingénierie financière ; fonds d'investissement ; fonds de pension internationaux ; services de sous-traitance et produits de titrisation (la gestion de patrimoine est le sixième 'cluster') - qu'après de longs exercices de cogitation collective et avec l'aide d'un consultant qui s'est fait payer très cher, la communauté financière luxembourgeoise a identifié et pour lesquels une campagne de marketing va être lancée à grands frais ?  

En attendant, c'est encore la gestion patrimoniale qui nourrit son homme au Luxembourg. Ses marges de rentabilité sont autrement plus importantes que les maigres commissions qui sont grignotées par le secteur de l'administration de fonds d'investissement, par exemple. En moyenne, les marges des administrateurs de fonds tournent autour de cinq points de base. Ce qui veut dire qu'ils ne gagnent que 0,05 cent pour cent euros sous gestion. Les marges sont autrement plus confortables dans la gestion de fortune : entre 100 et 200 points de base.  

Or, le gouvernement et les autorités privilégient de plus en plus le premier secteur sur le second. Tout se passe comme si on avait perdu de vue que les fonds d'investissement ne sont rentables que si leurs opérateurs ont les clients qui vont avec, certainement pas s'ils se contentent d'en assurer uniquement le traitement comptable ou informatique. 

Le secret professionnel constituerait-il une «gêne» pour une approche industrielle du marché international ? Dans certains domaines de l'assurance comme dans l'industrie des fonds d'investissement, la réponse ne fait pas beaucoup de doute.  

Thomas Seale, président de l'Association luxembourgeoises des fonds d'investissement (Alfi), rappelait lors de la dernière assemblée générale, que le secteur des fonds d'investissement jouissait d'une image de marque intacte et ne souffrait pas de la connotation négative qui  était associée au secret bancaire. 

L'industrie des fonds aurait tout de même tendance à oublier que derrière toute la «machine» à administrer les produits de l'épargne collective, ce sont les clients, à l'origine, qui soutiennent les «business» des fonds. Et que malgré la diversité, la souplesse et la qualité de l'offre de produits qui caractérisent la place de Luxembourg, seconde en Europe après la France en terme d'actifs sous gestion, les considérations de confidentialité ont joué un rôle crucial pour hisser le Luxembourg au hit parade des meilleures places mondiales avec plus de mille milliards d'euros sous gestion et peut être deux mille milliards d'ici 2010.  Le reste est une question d'intendance. Elle doit suivre.

«Le secret bancaire est essentiel pour nous et c'est encore un argument important et incontestable pour attirer des clients vers Luxembourg,» souligne un gestionnaire de fortune. Pas question d'en faire un tabou ni de l'occulter dans l'argumentation commerciale. Et encore moins de «baisser la culotte» face à  ses détracteurs.  

Car si le Luxembourg devait baisser la garde et laisser le secret professionnel se ramollir au soleil du communautarisme européen, sous l'aiguillon de ses puissants voisins si prompts à manier l'amnistie fiscale, ou tout simplement pour les besoins propres à l'organisation d'un groupe financier, c'est peut être plus de la moitié de ses clients que la place perdrait. L'un des dangers qui guettent le secret professionnel à sa sortie du bois, se trouve aussi dans les exigences d'informations des maisons mères qui poussent de plus en plus à la rationalisation et à la mise en commun de ressources pour réduire leurs coûts par des économies d'échelle. Une telle rationalisation est souvent incompatible avec les exigences du secret tel qu'il est interprété par les autorités de contrôle. 

La CSSF est d'ailleurs bien consciente des problèmes. Dans le cadre du comité de développement de la place financière (Codeplafi), une note a été rédigée par des juristes sur la nature et la portée du secret bancaire. Les conclusions sont sans appel : on ne touche pas au droit du secret bancaire qui offre suffisamment de souplesse pour pouvoir jongler avec les exigences de coopération et de communication dans le cadre des obligations internationales du Luxembourg. Pour le reste, et notamment la communication d'informations dans le groupe, «on ne saurait admettre, souligne la note, la transparence d'office des entités du groupe et l'on ne saurait pas non plus permettre que le groupe impose la communication dans son intérêt propre». Car jusqu'à nouvel ordre, c'est le client qui est maître du jeu, et non la banque qui, nous a encore récemment rappelé un arrêt de la Cour de cassation, a une obligation de résultats vis-à-vis des épargnants et non pas seulement de moyens.

Que des banques soient tentées, face à cette interprétation maximaliste de la justice, de faire signer à leurs clients des contrats dans lesquels elles n'assument qu'une obligation de moyens et non pas de résultats afin de limiter leur éventuelle responsabilité contractuelle (c'est d'ailleurs permis d'après le Codeplafi), est une autre affaire.    

On peut regretter qu'aucune étude n'a fait le suivi de l'importance des différents métiers qui font la banque au Luxembourg. Le dernier rapport qui mesurait le poids des différentes activités dans l'industrie financière remonte à 2001. Et encore, ses conclusions font tiquer plus d'un observateur : la gestion de fortune représentait il y a trois ans un tiers des revenus des banques. C'est évidemment trop peu. La vérité se situerait au-delà des cinquante pour cent si on avait tenu compte du poids de l'industrie de la gestion collective. Car les auteurs de l'étude ont fait comme si les fonds étaient déconnectés du private banking. 

Le monolithisme de la place financière, malgré les tentatives de diversification initiées au milieu des années 90 non sans quelques succès, rend plus urgents les efforts que devront faire ses représentants pour opérer une mise à niveau dans la qualité de l'offre de produits et de services. L'excellence est devenue une obligation et certains établissements, qui ont tombé la couronne de lauriers, montrent d'ores et déjà des résultats encourageants. Les banques redécouvrent le client. Pas n'importe lequel bien sûr. Car c'est dans le haut de gamme que les développements de produits ou de structures patrimoniales révèlent l'ingéniosité de la classe financière et de son armée d'avocats, réputés brillants et imaginatifs au Grand-Duché. 

Le Luxembourg aurait donc tout pour réussir : une place assez bon marché dans les frais de commissions par rapport à la Suisse (entre vingt et trente pour cent moins cher que Genève), une tradition de la finance qui s'est ancrée durablement, des gestionnaires au moins aussi bons sinon meilleurs qu'à Paris, Francfort ou Genève, un secret bancaire «fort» et un contrôle prudentiel réputé pour son sérieux. 

Seule ombre au tableau : la réputation. Le Luxembourg n'en a aucune auprès de sa clientèle cible haut de gamme. Que la place ait une image déplorable auprès du grand public européen est d'ailleurs un des moindres soucis des banquiers. «Nous avons une bonne image auprès de nos prospects, c'est l'essentiel,» note un gestionnaire. «Que les médias, poursuit-il, nous collent une réputation déplorable ne nous dérange pas tant. Au contraire cela peut nous servir car cela renforce notre image de place forte du private banking en Europe.» Au Luxembourg, on ne badine pas avec le secret bancaire.  

Cela dit, au-delà de l'Europe, le Luxembourg est terra incognita ou presque. Or, la croissance dans la gestion de fortune devrait précisément venir de juridictions réputées «instables», comme les pays du Moyen Orient ou d'Amérique latine. Dans ces contrées, les gens riches en quête de havres (pas seulement fiscaux) pour protéger leur patrimoine, ne jurent aujourd'hui que par la Suisse. Demain, le Luxembourg sera peut-être pour eux un point sur la carte du monde. C'est tout l'enjeu de la campagne de marketing que prépare la communauté financière pour l'automne.   

 

 

 

 

 

Véronique Poujol
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