Exposition

Balancements de peinture et de sculpture

d'Lëtzebuerger Land vom 21.07.2017

Wuppertal, ville industrielle florissante jadis, c’est le Von der Heydt-Museum, c’est la Schwebebahn, monorail suspendu d’une longueur de treize kilomètres, au-dessus de la rivière qui a donné son nom à la ville, impressionnant quand il passe au-dessus d’une rue et de votre tête ; les deux, musée (qui s’appelait alors Städtisches Museum Elberfeld) comme train, furent inaugurés au tout début du vingtième siècle. C’est le Tanztheater, c’est toujours Pina Bausch, malgré la mort prématurée de la danseuse et chorégraphe en juin 2009. C’est depuis la même date à peu près le Skulpturenpark initié par Tony Cragg.

Lui se trouve sur les hauteurs entre Elberfeld et Barmen, les deux villes indépendantes qui avec d’autres, en 1929, ont été mises ensemble et ont donné Wuppertal. Depuis qu’il s’y était installé, c’était le rêve, de longue date, de Tony Cragg de faire dans ce cadre forestier autour de la villa Waldfrieden, propriété de quelque quatorze hectares, un centre d’exposition. La villa, elle, à qui l’on reconnaît un certain air anthroposophique, comme un lointain souvenir de Rudolf Steiner, un industriel la fit construire au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.

Aujourd’hui, on monte à Waldfrieden, au bout des lacets de rues, on parcourt le parc, à la découverte, à chaque clairière, dans la densité des végétaux, de tant et tant de sculptures, de Tony Cragg lui-même, d’autres sculpteurs. Et deux halles, construites dans un grand respect de l’environnement, en plus on ne fait pas plus accueillant à l’art, aux œuvres, existent pour des expositions temporaires ; une troisième est sur le point d’aboutissement.

Tony Cragg recevant Im Knoebel, là encore un rêve qui s’est réalisé, les deux s’étant rencontrés à Gand, dès 1979, dans une exposition de Jan Hoet. Et dans l’une des halles, dont il a blanchi les vitres des quatre côtés, la lumière changeant au fil du jour, avec des fois une légère touche verdâtre du feuillage extérieur, Imi Knoebel de déplier, et à chaque fois (on se rappelle la Nationalgalerie à Berlin) c’est comme une composition musicale nouvelle, variations sur un thème, son désormais mythique Raum 19, fait de centaines d’objets, de corps, en fibres dures, matériau le plus accessible de par son prix, et le plus ouvert de par son anonymat, quand il a fallu s’imposer à l’académie de Düsseldorf, dans la salle, d’où le nom, que Beuys avait mise à la disposition des deux « Imis », Giese et Knoebel.

De la géométrie pure, toutes les formes, planes, solides, y passent, objets mis les uns à côté des autres, amoncelés, comme rangés pour ou après quel emploi. Y compris ce qui relève de l’art, comme les châssis, et dans ce qui dans son occupation de l’espace tient de la sculpture, dans le plus rigoureux et ensemble ludique jeu des proportions, c’est le plus anecdotique renvoi à la peinture. Car d’un coup, dans son entier, l’installation prend allure d’une imposante nature morte, qui tire peut-être son énergie d’un bloc, à l’une des extrémités, il est légèrement teinté, batterie comme on le dit pour la voiture, seule délicate touche de couleur face à la fibre dure et sa monochromie.

L’explosion coloriée, elle est dans l’autre halle. Cela chante, à haute voix, cela résonne ; une symphonie des couleurs primaires. Dans toute leur force, tout leur éclat, dans toutes leurs nuances. De la peinture pure, là encore dans la plus belle obsession géométrique, qu’il s’agisse de mettre en opposition plus sévère des surfaces ou de faire danser allégrement des barres d’aluminium sur un support lui-même rayonnant. Et le balancement entre peinture et sculpture de reprendre ; là où les formes s’arrondissent, du bleu qui vire au noir, du jaune, du rouge, elles se mettent à flotter devant le mur, ailleurs, les couleurs sont carrément portées par une construction, sorte de cabine ouverte. De sorte que les deux halles, au-delà de leur opposition radicale, entrent en résonance, et c’est le mot qui convient le mieux, dans un autre sens, cadre forestier et art, au Skulpturenpark de Wuppertal.

Imi Knoebel, Skulpturenpark Waldfrieden, Hirschstrasse 12, D-42285 Wuppertal, jusqu’au 3 décembre 2017, du mardi au dimanche de 10 à 19 h, à partir de novembre du vendredi au dimanche de 10 h à 17 h. www.skulpturenpark-waldfrieden.de

Lucien Kayser
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