Google

« Hégémonique »

d'Lëtzebuerger Land du 24.04.2015

Des sénateurs français ont adopté la semaine dernière un amendement à la loi Macron qui demande à Google de dévoiler le fonctionnement de son algorithme de recherche. Les législateurs, emmenés par l’UDI Catherine Morin-Desailly, ne sont pas assurés que la disposition devienne loi, puisqu’elle doit encore être adoptée en plénière et à l’Assemblée nationale. Mais que des sénateurs, qui, jusqu’ici, n’étaient généralement pas en pointe sur les questions liées à l’économie numérique, descendent dans cette arène a généralement été perçu comme le révélateur d’un changement en profondeur de l’attitude des politiques européens face au géant de Mountain View. Si cet amendement passe les obstacles, il ouvrira un front de plus sur lequel Google devra batailler de ce côté de l’Atlantique, assuré qu’il est déjà de devoir lutter face à l’offensive de la Commissaire européenne à la concurrence, qui a lancé contre lui deux attaques simultanées, l’une à l’encontre de son comparateur de prix et l’autre contre son service d’exploitation pour mobiles Android, qui peuvent déboucher sur des amendes chiffrées en milliards d’euros.

Google, qui représente 90 pour cent du marché de la recherche en ligne, est accusé par Mme Morin-Desailly de pratiques « anticoncurrentielles » en ce qu’il favoriserait ses propres services dans ses résultats de recherche, selon la sénatrice : ce serait un cas classique d’abus de position dominante. Pour y remédier, elle lui demande de proposer d’autres moteurs de recherche sur sa page (« au moins trois autres ») et de dévoiler le fonctionnement de son algorithme de recherche, qui détermine comment sont produits et présentés les résultats de recherche. Le projet de Mme Morin-Desailly prévoit des sanctions allant jusqu’à dix pour cent de son chiffre d’affaires mondial.

Le tout pour défendre tant le «droit à l’existence numérique des entreprises » que « la liberté de choix des consommateurs » dans les réponses proposées par le moteur de recherche. Pour certaines entreprises, qui dépendent de leur positionnement dans les résultats de recherche pour leur survie, des changements brusques dans l’algorithme de Google peuvent équivaloir à un arrêt de mort. La sénatrice évoque le sort de deux entreprises françaises ainsi impactées, Dailymotion, qui a souffert de l’avancée de Youtube, un service de Google, et Mappy, qui a du mal à s’affirmer face à Google Maps.

L’amendement contraindrait aussi Google à mettre « à disposition des utilisateurs des informations portant sur les principes généraux de classement ou de référencement proposés ». Le moteur de recherche ne doit pas non plus fonctionner de manière « déloyale » et « sans favoriser ses propres services ». L’Arcep (l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) serait chargée d’appliquer la loi et le cas échéant d’infliger des sanctions.

Face à ces charges de la Commission et des sénateurs français, Google s’est gardé pour l’instant de réagir. Il semble qu’il soit disposé à reconnaître certains torts et à faire un certain nombre de concessions, dont la plus visible sinon la plus efficace serait de proposer des moteurs de recherche concurrents sur ses pages.

Le Wall Street Journal a révélé que la Federal Trade Commission (FTC) considère que Google avait adopté « une stratégie de rétrogradation ou de refus d’afficher des liens vers certains sites » qui lui avait permis de « maintenir de manière illégale son monopole dans la recherche et la publicité liée à la recherche ». En d’autres termes, Google risque d’essuyer des attaques aussi aux États-Unis ; l’approche de la FTC porte encore davantage que celles de la Commission et de Mme Morin-Desailly sur le cœur du modèle d’affaires de Google, à savoir la publicité en ligne liée à la recherche de type Adwords.

Compte tenu de la puissance acquise par Google et de ses efforts pharaoniques de R&D, difficile cependant de se départir de l’impression que ces offensives portent sur des activités qui ne revêtiront plus d’ici quelques années qu’une importance relative dans le porte-feuille de Google. Engagé qu’il est dans le défrichage de nouveaux marchés gravitant autour de la robotique, de la réalité virtuelle ou de la mobilité, Google pourrait bien ressentir ces initiatives comme de simples égratignures qui ne parviendront pas à le freiner.

Jean Lasar
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