Partage de fichiers cinématographiques

Exercice porteño de résilience

d'Lëtzebuerger Land du 20.03.2015

Le dernier front en matière de partage de fichiers cinématographiques en date a été ouvert en mars 2014 par un groupe de développeurs argentins. Le logiciel appelé Popcorn Time qu’ils venaient de développer, apparemment en quelques semaines seulement, s’est alors multiplié sur les ordinateurs des internautes-cinéphiles du monde entier comme une traînée de poudre. D’une redoutable simplicité, Popcorn Time fait bel et bien ce qu’annonce son nom : il transforme le visionnage d’un film téléchargé sur Internet en quelque chose d’aussi simple que d’acheter son paquet de grains de maïs éclatés au multiplex du coin et d’aller s’asseoir devant l’écran.

Pourtant, la technologie qui est derrière Popcorn Time n’a rien de révolutionnaire. Elle s’appuie sur le principe des bit torrents, qui se sont imposés comme la méthode quasi-universelle de téléchargement grâce à leur modèle presqu’entièrement décentralisé. Mais ils ajoutent à cette technologie éprouvée le principe du – les films sont téléchargés en commençant par le début, ce qui permet de commencer à regarder un film avant qu’il ne soit entièrement téléchargé. L’interface intègre la recherche de titres,

le choix de sous-titres et du format d’écran souhaité, ainsi que la visualisation, ce qui crée une expérience d’utilisateur bien plus conviviale que la recherche de torrents sur des sites spécialisés, de sous-titres sur d’autres sites, et l’utilisation de clients vidéo adaptés aux films téléchargés. Popcorn Time fait appel aux mêmes ressources, mais les combine en une expérience transparente pour l’utilisateur, qui n’a plus à mettre les mains dans le cambouis. Si l’on compare Popcorn Time à Netflix, le premier est plus performant car il propose, entre autres avantages et en faisant abstraction de sa gratuité, une offre plus récente, en haute définition, et un choix de sous-titres plus diversifié.

De nombreux sites se sont déjà essayés ces dernières années au streaming de films. Si certains ont réussi à fidéliser un public d’une certaine taille, aucun n’a eu jusqu’à présent un succès planétaire comparable. Une explication probable du succès des développeurs argentis réside dans leur parti pris de « service à la communauté » et leur attachement à l’esprit Open Source qu’affiche la plateforme, qui ne diffuse aucune publicité ni ne propose de version payante.

Une attitude qui ne met en rien les développeurs à l’abri des foudres des majors de Hollywood. Ceux-ci les ont dans le collimateur pratiquement depuis le début de leur aventure et on avaient réussi, à l’automne 2014, à provoquer la fermeture du projet, un fait d’armes dont on avait pu constater, lorsque les emails internes de Sony avaient été déballés au grand jour, à quel point il avait suscité leur satisfaction.

Pourtant, l’interruption de service allait être de courte durée. D’autres équipes s’emparèrent du projet et le relancèrent au bout de quelques semaines, légèrement modifié et sous d’autres noms. Les représentants des majors en sont donc réduits aujourd’hui à fourbir à nouveau leurs armes pour juguler ceux qu’ils considèrent comme des pillards impénitents. Le magazine Wired a réussi à interviewer un des développeurs du site popcorn-time.se, qui s’est présentè sous le pseudonyme Pochoclin, le mot utilisé à Buenos Aires pour désigner le popcorn. On apprend ainsi que loin de songer à rendre les armes face aux avocats des majors, les animateurs du site préparent des mesures de résilience qui rendront difficile voire impossible de fermer la plateforme. Pour y parvenir, plutôt que de chercher à héberger leur site, sur lequel leur logiciel est proposé en téléchargement, dans un territoire offshore, ils veulent faire en sorte que le logiciel lui-même soit téléchargé depuis les ordinateurs des utilisateurs. Les avocats de Hollywood seraient alors contraints de viser les connections Internet des utilisateurs – une entreprise bien plus hasardeuse.

Jean Lasar
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