Comme disait Montand

d'Lëtzebuerger Land vom 11.06.2021

Quand on partait de bon matin, quand on partait sur les chemins, à bicyclette…

Véritable phénomène au Luxembourg depuis quelques années, accéléré par la pandémie et le désir d’un retour à la nature, le biclou semble prêt à prendre sa place autant sur l’asphalte que dans les débats politiques. Mode passagère ou véritable révolution ? Seul le temps nous le dira… En attendant, au pays des champions cyclistes et du record de nombre de voitures par habitant, le vélo est devenu incontestablement le nouvel objet tendance et, en même temps, le nouveau sujet de conversation à éviter au cours des repas de famille. Avec plus de 38 500 demandes de primes à l’achat d’un vélo déposées depuis mars 2019, une accélération des ventes depuis le premier confinement, une pénurie chez les concessionnaires, des délais d’attente qui dépassent celui d’une Tesla, le vélo vit une véritable renaissance. Si certains s’efforcent à penser qu’il s’agit d’une énième tendance liée à la gentrification du pays et tout particulièrement de sa capitale, la bicyclette n’est cependant pas née de la dernière pluie et a toujours été, à travers son histoire, un véritable symbole et outil d’émancipation. Inventée au début du 19e siècle, la bicyclette a ouvert la voie à un mode de transport individuel, accessible à tous et bien plus pratique que son inspiration et prédécesseur : le cheval.

Accessoire de mode pour les plus aisés à ses démarrages, lorsqu’il faisait bon de se pavaner dans les rues parisiennes, chevauchant ce drôle d’objet, il était à la fois l’incarnation de la modernité (à l’instar de l’arrivée de nos smartphones, il y a quelques années) et un véritable moteur d’indépendance, tout particulièrement pour les femmes. La militante américaine des droits des femmes Susan B. Anthony a eu ces mots en 1896 : « La bicyclette a fait plus pour l’émancipation des femmes que n’importe quelle chose au monde. ». Il y en a bien certains qui ont tenté d’associer cet objet à un outil de masturbation et d’exhibition, tentant ainsi de diaboliser l’utilisation du vélo par la gente féminine, mais il reste qu’il offrit enfin à la moitié de la population la liberté de se déplacer et d’adapter leur tenue imposée pour jouir de cette nouvelle activité. Juste après les femmes, c’est auprès des classes les plus populaires que le vélo apporta une véritable libération, permettant aux ouvriers, écoliers, artisans, la possibilité du transport individuel à moindre coût. Encore aujourd’hui, avec plus d’un milliard et demi de bicyclettes sur cette planète, il est le moyen de transport le plus utilisé, quel que soit le terrain ou le climat.

On dit que l’histoire ne se répète pas mais fait écho à elle-même, voici donc, près de 200 ans plus tard, cet objet (re)devenu, dans les pays occidentaux, un symbole politique du mouvement écologique, des modernistes contre les conservateurs, des citoyens souhaitant reprendre le contrôle de leur mobilité, des « Davids » contre Goliath. Pourquoi le Luxembourg dérogerait-il à la règle ? N’en déplaise à certains, politiciens ou amoureux de la voiture (qui sont parfois les mêmes) ! On a voulu faire du vélo une histoire de mode, de tendance ou d’appartenance, avec l’arrivée des bobos et de leurs « fixies ». On a voulu en faire une histoire de poignées de sportifs emmerdeurs qui encombrent les routes de campagne le week-end. On a voulu en faire une histoire qui ne touchait qu’une minorité... Quoi qu’on en fasse, il est, envers et contre tout, l’expression du désir profond de libération. Et même s’il a fallu un (ou plusieurs) confinement(s) et l’avènement des vélos à assistance électrique (on ne va pas se mentir, l’assaut de la forteresse n’est pas donné à tout le monde à la seule force des jambes) pour véritablement enclencher le mouvement au Luxembourg, il est indéniable, qu’une fois goûté le plaisir de ne dépendre ni des horaires des trains ni des cours du pétrole, de diviser par deux le temps du moindre trajet en ville, de découvrir les beautés des paysages luxembourgeois, il sera bien difficile de rétropédaler.

On se disait c’est pour demain

J’oserai, j’oserai demain

Quand on ira sur les chemins

À bicyclette...

Mylène Carrière
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