Wonderful Deluxe

Troublante vacuité

d'Lëtzebuerger Land du 20.05.2016

Sous l’impulsion audacieuse de Stéphane Ghislain Roussel, le Grand Théâtre proposait ce mois Wonderful Deluxe, un opéra contemporain traitant de manière aussi partiale qu’expérimentale un sujet a priori futile : le vide existentiel représentant la vie d’une starlette actuelle factice. La source d’une telle subjectivité ? Le récit est transmis par les yeux de son seul compagnon de fortune et d’infortune, Azonips, son chien. Une expérience qui fascine autant qu’elle malmène le spectateur.

En effet, dès les premières notes, il est clair que le parti pris du grotesque ne se fera pas discret. La musique ne fait référence à rien de connu et ne suit aucune mélodie. On pense aux nombreuses blagues empreintes de respect entendues lors du récent décès de Pierre Boulez. Ce sont des bruits, à peine des notes, qui parviennent de manière discordante jusqu’à l’oreille du public et c’est là que le premier but de cette création est atteint : mettre mal à l’aise, faire transpirer l’incongru. Car c’est cette incongruité qui régit la vie du personnage principal de cette œuvre courte, Azonips, « le chihuahua d’une it-girl mondialement connue et immensément riche », et qui accompagne sa vie pleine de paillettes et vide de tout sens. C’est également à travers lui et ses interrogations métaphysiques que l’on découvre le – presque – joyeux ballet d’assistants en tous genres et de pique-assiettes qui gravitent autour de la dite célébrité : une cuisinière lasse et violente, une psy pour chien plus qu’enthousiaste, une attachée de presse au paroxysme du stéréotype, un camériste gay cleptomane et un jardinier à la musculature inversement proportionnelle aux capacités cognitives.

À travers les interactions qu’il entretient au quotidien avec cette bande de clichés sur pattes, Azonips va tenter de décrire au mieux et d’alerter ceux qu’il pourra au sujet non seulement de la vacuité sidérale qui ce cache derrière le masque médiatique de sa maîtresse – qui n’apparaît par ailleurs jamais sur scène –, mais également du drame qui rode. En effet, comme le souligne le metteur en scène, la farce dissimule souvent quelque chose de très violent et la tragédie n’est jamais très loin. La position centrale de ce « chien philosophe » fait écho à celle du contre-ténor qui le campe, Dominique Visse, pour lequel la pièce a été composée par Brice Pauset et qui démontre en effet sur scène le panel vocal et expressif impressionnant qui ont fait de lui l’inspirateur de Wonderful Deluxe. Visse parvient en outre à travers sa voix à faire oublier qu’il joue un animal pensant et à transmettre toute une gamme d’émotions plus complexes que celles très premier degré des autres personnages. Le mérite est d’autant plus notable qu’il se confronte au livret de Youness Anzane, un texte difficile qui oscille entre banalités téléphoniques et introspections canines en latin. On frôle le snob, mais le tout concourt à asseoir le burlesque de la situation.

Fruit de la rencontre entre Brice Pauset et l’Ensemble Lucilin, Wonderful Deluxe se présente comme la suite d’Exercices du silence, précédent opéra du compositeur français qui mettait en scène une Louise du Silence avide d’union mystique et reflet possible de celle dont on ne connaît pas le nom ici. En mettant cette œuvre dans les mains de Stéphane Ghislain Roussel, les Théâtres de la Ville de Luxembourg se positionnent clairement comme générateurs de projets pointus et comme force de rayonnement. On retrouve dans cette nouvelle création mondiale l’héritage théorique et la patte du metteur en scène, qui réussit à perturber le spectateur avec un opéra unique et troublant qui traite pourtant du plus accessoire des sujets. Car soyons honnêtes, personne ne se serait préoccupé de la vie de cette pauvre it-girl qui ne sait plus quoi faire de son argent ni de son chien dépressif si elle n’avait pas été emballée dans ce cadeau dérangeant que nous offre là le Grand Théâtre.

Fabien Rodrigues
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