édito

Bonnes résolutions

d'Lëtzebuerger Land vom 22.12.2023

Le 24 novembre 2022, Gilles Roth brandissait un paquet de Marlboro à la Chambre des députés. « Ech wëll den Här Roth drop opmierksam maachen, dass Werbung fir Zigarette verbueden ass », l’interrompa le socialiste Mars Di Bartolomeo. Le député CSV ne se laissait pas démonter et commença à lister les prix de ce paquet au Luxembourg (5,50 euros) et dans les pays-voisins : 7,50 euros en Belgique, 7,60 en Allemagne, 10,50 en France. Nouvelle interruption de Di Bartolomeo : « Dat ass erëm Werbung ». Gilles Roth voulut savoir de la ministre des Finances (qui allait devenir sa prédécesseure) si elle comptait réduire ce différentiel de prix, comme le gouvernement l’avait fait pour le diesel et l’essence ? Mais il se gardait bien de se positionner sur la question qu’il venait lui-même de poser. Les députés sortaient perplexes de cette heure d’actualité demandée par le groupe CSV. André Bauler (DP) s’exclama : « Mir hu wärend Wochen eis gefrot : Wat wëll den Här Roth eigentlech? » C’est une bonne question.

Les niches fiscales se sont réduites comme peau de chagrin. Parmi celles qui restent, c’est la moins sophistiquée (et la plus nuisible) qui connaît actuellement un boom : La contrebande de cigarettes, officieusement cautionnée par le Grand-Duché de Luxembourg. Les accises sur le tabac lui ont rapporté 790 millions d’euros sur les dix premiers mois de l’année. Un nouveau record se profile. Devant la commission parlementaire, le directeur de l’Enregistrement a sonné l’alarme sur les potentielles implications légales. Le PV de la Cofibu du 19 octobre 2022 en garde la trace : « L’orateur ne peut pas exclure que la croissance nette constatée contienne en partie un risque de contrebande. [...] Un autre risque est lié au blanchiment de capitaux dans le secteur de la vente du tabac. »

Blanchiment, le vilain mot est tombé. Yuriko Backes en minimisait le risque : « Et kann ee warscheinlech néirens an ni honnertprozenteg esou eppes excluéieren ». Le Républicain lorrain constate une multiplication de comparutions immédiates de trafiquants de tabac devant les tribunaux français. Lors d’une récente affaire, les juges français étaient stupéfaits d’apprendre que le prévenu avait porté sur lui deux cartes de fidélité d’un magasin de Rodange vendant du tabac. La première était tamponnée à hauteur de 129 000 euros d’achats, la seconde à 20 000 euros. « Le commerçant de Rodange n’était évidemment pas dans la salle du tribunal. Ne connaît-il pas la législation en France ? », s’interrogeait Le Quotidien il y a trois semaines. C’est, de nouveau, une bonne question.

Trente grammes de tabac à rouler coûtent 15,80 euros en France et 5,40 euros au Luxembourg. Le Luxembourg valait le détour, il vaut désormais le voyage. Alors que le gouvernement français augmentera le prix des paquets de cinquante centimes au 1er janvier, le trafic transfrontalier n’est pas près de se tarir. Sur l’A31, les douaniers lorrains arrêtent de plus en plus de camionnettes remplies à ras bord de cartouches portant des timbres luxembourgeois. Leurs collègues luxembourgeois croisent les bras. Ils estiment qu’entre 88 et 92 pour cent des ventes de tabac partent à l’étranger.

Accises et TVA combinées, la vente de cigarettes et de tabac a rapporté plus d’un milliard d’euros par an aux caisses de l’État. « Eigentlech carrément verréckt », jugeait Roth en novembre de l’année dernière. Et de mettre ce chiffre en relation : « Dat ass méi wéi d’Hallschent vun der Kierperschaftssteier, dat ass ee Véirels vun der Lounsteier, dat ass méi wéi d’Gewerbesteier, dass ass méi wéi d’Verméigenssteier, dat ass dat duebelt vun der Ierfschaftssteier [….] » Lors de l’heure d’actualité de novembre 2022, le LSAP, Déi Gréng et Déi Lénk se prononçaient en faveur d’une hausse des accises et donc des prix, au nom de la santé publique. Le DP se cachait derrière des pseudo-lois économiques : « Ënnert dem Stréch géif also insgesamt net manner gefëmmt ginn, well d’Nofro fir esou Produkter souwisou ganz inelastesch ass » (André Bauler). Ou derrière la « tradition » : « Iwwregens ass Tubaksindustrie eng vun deenen eelsten, déi mir hei am Land hunn […] an ass och eng wichteg Aktivitéit vum Standuert Lëtzebuerg » (Yuriko Backes). L’ADR était plus cash : « Mir si fir den Tanktourismus. An den Tubak, dat ass och en Deel vun deem Ganzen, genee wéi den Alkohol. »

Le modèle d’affaires luxembourgeois comporte un certain nombre d’externalités négatives. L’optimisation fiscale érode la base imposable des voisins. Le tourisme de tabac subvertit leur politique sanitaire. Arrêter la clope, c’est toujours une bonne résolution du Nouvel An. Arrêter le dumping cancérigène ? C’est décidément une bonne question.

Bernard Thomas
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