Roumanie

La bataille pour la justice

d'Lëtzebuerger Land vom 27.04.2018

À 36 ans, condamné en Roumanie pour chantage et tentative d’homicide, il vit tranquillement en Grande-Bretagne où il s’est enfui en 2016 après sa condamnation. Adrian Preda est une petite vedette des milieux interlopes. Membre du « Clan des sportifs », une bande de hooligans passionnés de football et adeptes de toutes sortes de violences, il a trouvé refuge à Londres où la police roumaine a fait une demande d’extradition. Mais ce chef de clan n’est pas prêt à se rendre. Il a décidé d’entamer un procès contre l’État roumain et accuse les autorités de son pays d’origine de ne pas lui assurer des conditions d’emprisonnement décentes. « You are free to go ! » (Vous êtes libre de partir), lui a répondu le juge britannique Robin Mc Phee le 6 avril après avoir écouté le gangster roumain. Cerise sur le gâteau : Adrian Preda a demandé le remboursement de 56 livres sterling, le prix des tickets de parking de sa BMW garée à proximité du tribunal. Et il les a obtenues.

L’argument fort de sa défense a été le discours du ministre roumain de la Justice, Tudorel Toader qui critique l’état misérable des prisons de son pays. « Les prisons roumaines sont surchargées, a déclaré celui-ci en janvier dernier. Je ne crois pas que ce soit le résultat d’une hausse du nombre d’infractions. La cause de ce phénomène est plutôt une législation pénale incohérente. » Le ministre roumain a un plan : une amnistie massive des détenus qui ont été condamnés depuis 2013. Pourquoi 2013 ? C’est l’année où le Parti social-démocrate allié aux libéraux démocrates a pris le pouvoir. Depuis, des milliers de maires, fonctionnaires publics, députés, sénateurs et autres personnalités politiques, en majorité issus des partis de gouvernement, ont été victimes d’une opération mains propres menée par le Parquet national anticorruption.

Une amnistie pour cause de mauvaises conditions carcérales tomberait bien pour les hommes politiques condamnés pour corruption. Le ministre de la Justice prévoit aussi un petit cadeau en guise de dédommagement pour les années noires passées en prison : le paiement d’environ six euros par jour de détention. Un pactole dans un pays où le salaire minimum est de 400 euros. Cette idée a provoqué l’ire du syndicat des gardiens de prisons. « Si l’État roumain veut payer les voleurs, les corrompus et les criminels, il pourrait peut-être aussi payer des dédommagements aux victimes de ces derniers qui ont subi les conséquences de leurs gestes criminels », affirme le communiqué de ce syndicat.

Le débat autour des prisons s’inscrit dans une réforme du Code pénal qui devrait mettre fin à la campagne anticorruption menée par les procureurs. Les sociaux-démocrates veulent à tout prix sauver la peau de leur chef, Liviu Dragnea, qui ne peut devenir Premier ministre en raison d’une condamnation pénale à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. Les amendements au Code pénal dans le cadre de cette réforme devraient blanchir son casier judiciaire, et tout prétexte est bon pour arrêter la campagne anticorruption.

En février 2017, en prétextant une réforme de la justice, le gouvernement de l’époque tente de modifier la loi pénale pour blanchir le casier judiciaire de Liviu Dragnea et lui permettre ainsi d’accéder à la fonction de Premier ministre. C’était sans compter avec la réaction de la rue. Des centaines de milliers de Roumains sont sortis manifester contre cette attaque de la classe politique contre les procureurs. Les manifestations ont conduit à la démission du ministre de la Justice Florin Iordache, mais les sociaux-démocrates n’ont pas abandonné leur plan.

En novembre 2017 la direction du Parti social-démocrate (PSD) a annoncé une autre réforme du système judiciaire afin d’endiguer le pouvoir des magistrats. « Nous avons affaire à un État parallèle et illégitime qui essaie de prendre le contrôle du pouvoir politique, pouvait-on lire dans le communiqué du parti, qui est une véritable déclaration de guerre contre les magistrats et le président libéral Klaus Iohannis. Les représentants de cet Êtat parallèle veulent contrôler le pouvoir politique et judiciaire. Il s’agit d’un danger dont le président, par son inaction, se fait le complice. » Selon les députés majoritaires, le soi-disant « État parallèle » se compose de tous ceux qui ne partagent pas leur avis : les procureurs, les juges, les services de renseignements, l’opposition libérale et le chef de l’État lui-même. « C’est une mauvaise blague, a déclaré Klaus Iohannis. Il n’y a pas d’État parallèle, mais des gens qui veulent accaparer le pouvoir et qui jouent aux victimes. »

Malgré les mises en garde de la Commission européenne et l’opposition du président Iohannis le gouvernement de Bucarest compte toujours diminuer le pouvoir des procureurs et des magistrats. Cette situation a mis en alerte les institutions européennes. Le 10 avril, le Greco (Groupe d’États contre la corruption), attaché au Conseil de l’Europe, a publié un rapport très critique sur les réformes de la justice débattues par le parlement roumain. Les mauvaises conditions de détention sont prises comme prétexte pour sauver la peau d’un certain nombre d’hommes politiques. Les milieux interlopes en profitent eux aussi. À Londres, le délinquant Adrian Preda l’a bien compris, et d’autres risquent de suivre son exemple.

Mirel Bran
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