Plan Hospitalier

Nœud gordien ?

d'Lëtzebuerger Land vom 18.11.1999

La nouvelle sensationnelle du capitaine et de son second quittant précipitamment le navire du ministère de la Santé dans une tempête subite et imprévue de dysfonctionnements, qui est tombée au courant des derniers jours du mois de janvier 1998, reste bien présente dans les mémoires. Et pour cause, non seulement la démission d'un ministre n'est pas chose courante dans notre pays de cocagne et de consensus, mais encore les événements étaient graves. On a compris entre-temps que les dysfonctionnements n'étaient pas que financiers.  Mais le navire n'a pas coulé… et vogue la galère….

Deux milliards de déficit annoncés par l'Union des Caisses de maladie après l'an 2000 : les chiffres sont suffisamment frappants pour interloquer les partenaires sociaux responsables de la gestion de la solidarité des citoyens devant la maladie. La quadripartite éternue, la Santé est malade. Le gouvernement, par ses choix de politique de la Santé et par sa participation financière aux infrastructures hospitalières décidée à la sauvette avant les élections du mois de juin 1999, serait-il le seul coupable ?

On mesure soudain le poids des décisions prises et on en cherche en vain les bases rationnelles dans une planification hospitalière qui a vécu ses heures et sombré avec ses auteurs dans la tourmente. On réalise que le plan hospitalier n'était qu'un puzzle de textes réglementaires aux fondements incertains visant à justifier des choix éminemment politiques ­ tant au niveau national (équilibre entre secteurs public et privé) que régional (décentralisation de certains services nationaux) et communal (le pouvoir fait la force !). Je passe sur les détails de contraintes rigides qu'on a cherché à imposer aux gestionnaires et médecins des hôpitaux pour mieux masquer les choix politiques, ainsi que sur les artifices légaux nécessaires pour asseoir les décisions préconçues concernant les autorisations d'équipement et de services spécialisés. D'ailleurs, pour ceux qui connaissent le monde hospitalier, il est clair que les tentatives de mise en application du plan hospitalier ont ­ à de rares exceptions près ­ lamentablement échoué : la qualité des soins dans un service hospitalier ne se décrète pas en définissant son nombre de lits ou de médecins responsables, tout comme les synergies entre hôpitaux ne s'imposent pas par voie réglementaire et autoritaire.

Pendant les négociations de coalition, les deux partis politiques vainqueurs des élections législatives n'ont pu que dresser un constat d'échec. Les « nouveaux » responsables politiques, en décrétant un moratoire, ont remis les pendules à l'heure et sonné le glas de la gestion socialiste du ministère de la Santé.

Ainsi, on nous annonce une nouvelle ère de planification hospitalière, basée sur des critères d'efficience et de contrôle qualitatif des services hospitaliers sur fond de carte sanitaire transparente et mise à jour en continu, mais qui respectera les valeurs traditionnelles du libre choix du médecin et de l'institution hospitalière par le patient d'une part, du libre exercice de la médecine d'autre part. Pour ce faire, le gouvernement a créé un grand ministère réunissant la Santé et la Sécurité sociale, confié à Carlo Wagner ­ nouveau venu dans la branche ­ qui devra saisir la chance du moratoire pour repenser les mécanismes décisionnels et définir une méthodologie de planification nouvelle et applicable à long terme. Son rôle clé de « décideur-payeur » l'expose directement aux conséquences de ses choix et devrait l'inciter à travailler sur des bases saines.

Le cadre légal existant donne le ton et tout compte fait, ouvre de nombreuses possibilités. La budgétisation des hôpitaux en place depuis 1995, a permis ­ malgré ses aléas ­ non seulement de freiner la progression des frais hospitaliers, mais aussi de rassembler une foule de données statistiques riches en enseignements. Le travail analytique consistant réalisé par l'UCM n'a jusque là pas été utilisé comme critère décisionnel au ministère de la Santé comme le stipule la loi du 28 août 1998 sur les établissements hospitaliers. Cette dernière, héritage de l'ère socialiste, ne lèse finalement personne et laisse le champ libre à quinze règlements grand-ducaux d'exécution ­ dont le plan hospitalier national ­ non encore finalisés. On peut considérer ce vide juridique comme une opportunité, une porte ouverte sur les changements méthodologiques à mettre en place. Par contre, il sera sans doute plus difficile de composer avec la loi du 21 juin 1999 autorisant l'État à participer au financement des grands projets hospitaliers à hauteur de 23 milliards, votée à l'arraché et en dernière minute avant les élections législatives sans aucune autre justification que le seul intérêt politique. Il fallait conclure, on a conclu. L'habileté politique du nouveau ministre de la Santé sera jugée sur ses capacités à utiliser la marge de manœuvre assez large laissée volontairement par la nouvelle coalition entre cette liste de projets (dont certains encore vagues et discutés) votés en hâte avant les élections et les projets déjà autorisés individuellement en bonne et due forme par son prédécesseur. Le moratoire devrait permettre, sur base de nouveaux critères d'efficacité et de qualité, de réorienter certains choix.

L'enjeu financier est important et concerne tous les contribuables et cotisants sociaux que nous sommes. Le secteur hospitalier avec 2 500 lits pèse lourdement de ses 40,2 pour cent sur le budget de l'Union des Caisses de maladie, dont soixante pour cent pour les frais de personnel.  Le taux d'occupation moyen n'est que de 73 pour cent (extrêmes de 63 à 85 pour cent) ce qui témoigne d'une capacité excessive de lits aigus dans l'ensemble, et d'une gestion peu efficace dans certaines institutions. Ce chiffre est sans doute lié à une réduction impressionnante à 7,4 jours (extrêmes de 5,5 à 9,3 jours) de la durée moyenne de séjour des malades hospitalisés au cours des dernières années. Cette évolution se poursuivra en raison des progrès scientifiques de la médecine et de la chirurgie amenant un développement massif des activités ambulatoires et séjours de courte durée. Il faut bien réaliser que l'hôpital s'est métamorphosé en peu de temps, la structure basée autrefois sur des soins prolongés de patients immobilisés dans un lit s'est transformée en une « usine » à services de santé avec un plateau technique sophistiqué au service d'un malade pressé recherchant « en » consommateur » la rapidité et la qualité. Dans cette même approche économiste, l'UCM se comportant comme un « acheteur (en gros) de services de santé » auprès des hôpitaux, les gestionnaires et médecins des hôpitaux devront être prêts à afficher la qualité de leurs prestations en toute transparence. Alors seulement, la boucle sera bouclée et les investissements iront aux institutions performantes qui fournissent un travail de qualité à des prix compétitifs.

Il semble donc bien révolu, le temps des classements arbitraires des hôpitaux en fonction d'un nombre de lits ou de services de base, des critères farfelus de définitions des services spécialisés ou nationaux qui n'ont apporté ni progrès dans les synergies ni amélioration de l'organisation des hôpitaux ou de la politique d'investissement. Il est fini le temps où on se crispait pendant des années sur de faux problèmes, comme par exemple le nombre de certains appareillages lourds à autoriser ­ une résonance magnétique ne coûte guère plus cher qu'une dizaine de Mercedes. Les retards accumulés à tergiverser sont considérables, la qualité de la médecine en souffre.

Il faut donc tout réinventer. Le plan hospitalier dont le moratoire finira par accoucher devra surprendre par sa simplicité et sa souplesse, il devra moins réglementer que stimuler et jeter les bases nouvelles qui guideront et justifieront les choix futurs.

Sur le plan technique, il faudra commencer par mettre en chantier la carte sanitaire prévue par la loi de 1998 qui définit tous les critères nécessaires aux mesures quantitatives et qualitatives des activités médicales dans les hôpitaux en analysant le détail des budgets ainsi que les profils d'activité des médecins qui y exercent.

Les mesures quantitatives sont simples : on ne citera que le nombre d'admissions, la durée moyenne de séjour, le taux d'occupation des lits ainsi que le nombre d'unités d'œuvres réalisées dans l'utilisation ambulatoire et hospitalière du plateau technique (laboratoire, policlinique, imagerie médicale, endoscopie, chimiothérapies, etc.). Signalons aussi que l'UCM dispose depuis peu, et ceci de manière anonymisée, de tous les diagnostics de sortie des patients hospitalisés, source précieuse de renseignements pour connaître les pathologies traitées préférentiellement dans tel ou tel hôpital. Bien qu'aucun de ces instruments de mesure ne soit parfait, ils sont utiles et perfectibles. Les chiffres sont là, il suffit de s'en servir.

Sur le plan qualitatif, il faudra s'atteler à faire évoluer les mentalités et on ne pourra plus se passer d'examiner en détail les activités médicales. La qualité du service au patient hospitalisé est largement fonction de l'organisation interne de l'équipe médicale. Celle-ci doit trouver, pour son ensemble comme pour chacun de ses individus, le compromis entre une spécialisation de haut niveau et une polyvalence de base indispensable.

Le profil du médecin constitue l'instrument de mesure et de contrôle qui renseigne en détail sur son mode d'exercice ­ activité spécialisée et homogène ou dispersion d'actes techniques variés ­ et est également le reflet indirect de la qualité des transferts de patients entre médecins. Il est de notoriété publique que la fréquence et la pratique régulière des actes techniques en améliorent la qualité. Les équipes de médecins hospitaliers doivent être prêtes à franchir le pas vers la transparence de leurs activités, de même que de leur engagement dans les structures internes de l'hôpital comme les comités de pharmacie, de lutte contre les infections hospitalières, ou la participation à la formation continue et à l'enseignement.

Finalement on devra mettre en place les instruments de mesure de la morbidité et de la mortalité de certains actes invasifs diagnostiques et thérapeutiques. Seule la transparence la plus totale permettra aux décideurs de mieux cibler les investissements et aux malades de choisir leur équipe de médecins et l'infrastructure hospitalière dans laquelle ils veulent se faire soigner.

La tâche du nouveau ministre de la Santé et de la Sécurité sociale sera rude ­ mais elle est réalisable ­ entre le poids des décisions financières du passé et la charge de ce travail créatif qui seul lui permettra de se forger une crédibilité politique solide.

Philippe Turk
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