Entretien avec la députée Renée Wagener (Déi Gréng) qui arrête sa carrière politique

Plan de carrière

d'Lëtzebuerger Land vom 03.06.2004

d'Lëtzebuerger Land: Dans une interview publiée dans la base de  données allemande «femmes dans la prise de décision»1, vous dites que vous n'avez pas vraiment décidé d'«aller en politique», mais que, par vos engagements militants dans des ONG de pacifistes, de soutien au tiers-monde ou contre le nucléaire, vous avez en quelque sorte «glissé» vers la politique, d'abord au sein du Gap2, qui devint par la suite Déi Gréng, pour en arriver au poste de députée dès 1994... La décision d'arrêter par contre est un vrai choix. Pourquoi cette rupture ? 

 

Renée Wagener:D'abord, cette décision ne fut pas impromptue, j'avais fait part de mon désir d'arrêter la politique après mon premier mandat de députée déjà, en 1999, mais mon parti m'avait alors convaincue de continuer pour une législature supplémentaire. Ce que j'ai fait. Mais mon départ après ce deuxième mandat était clair dès son début. C'était une décision personnelle. La politique était pour moi une expérience, mais je ne la conçois nullement comme une carrière de vie, un job qu'on ferait jusqu'à la retraite. J'ai 41 ans maintenant, j'ai terminé mes études universitaires en sciences sociales durant mon mandat de députée, donc si je veux me lancer dans une autre carrière, il était temps de le faire.

 

Vous étiez une des têtes d'affiche des Verts: En 1994, vous avez comptabilisé plus de 7000 voix dans la circonscription centre, en 1999, vous avez même presque atteint les 10000 voix, vous classant devant l'actuel président du groupe parlementaire François Bausch... Votre départ, tout comme celui de Robert Garcia3, risquent de fragiliser le parti dans un système électoral dans lequel le panachage et donc les voix personnelles jouent un rôle non-négligeable. Ne vous êtes-vous jamais dit que vous pourriez encore aller chercher ces voix pour les Verts et n'annoncer votre départ qu'après les élections?

 

Bien sûr qu'on se pose toutes ces questions. Robert Garcia et moi avons beaucoup discuté de comment le mieux organiser notre départ : alors soit on partait plus tôt, comme lui, ou, si c'eût été plus tard, j'aurais certainement encore fait au moins un demi-mandat. Mais je n'aurais pas pu tromper mes électeurs au point à n'annoncer mon départ qu'après le 13 juin.

 

Il y a dix ans, les Verts se situaient encore assez à gauche, «spontanés» et pratiquaient une certaine démocratie de base, vous suiviez un système de rotation aux postes de pouvoir et les hommes tricotaient durant les congrès.. Vous-même comptez pour une des dernières critiques de gauche de votre parti, qui, idéologiquement, s'est de plus en plus déplacé vers le centre. Comment avez-vous vécu cette évolution et a-t-elle contribué à la décision d'arrêter?

 

Je tiens à préciser que nous avions déjà aboli la rotation des mandats de députés lorsque je suis arrivée à la Chambre; j'aurais pu me retirer volontairement pour le prochain élu de la liste, mais il n'y aurait alors plus eu de femme dans le groupe. À cette époque, nous pratiquions encore la rotation pour le poste de président du groupe parlementaire, charge que j'ai assurée durant une année. Mais aussi bien moi-même que Robert Garcia et Camille Gira nous sommes rendus compte que ce poste était difficile à concilier avec nos emplois respectifs, donc nous avons arrêté la rotation. Mais en théorie, elle n'a jamais été abolie. 

Ceci dit, il est vrai que Déi Gréng ont de plus en plus perdu leur approche de fonctionner autrement, de discuter et de prendre des décisions différemment, ce qui est certes un de mes grands regrets. Mais peut-être que de cette façon, en fonctionnant de manière plus «professionnelle», le parti peut être plus efficace aussi. Car je me souviens que dans le temps, quand nous étions encore plus «alternatifs», il y avait une pression énorme de la part des médias et du monde politique, qui ne nous prenaient pas au sérieux. Non pas que je sois nostalgique des congrès-fleuves, mais ce qui manquait ces derniers temps, c'était le processus interactif entre le parti et le groupe parlementaire pour développer de nouvelles réponses à des problèmes politiques. 

Mais peut-être que dans le Luxembourg d'aujourd'hui, on ne peut transmettre de vraies alternatives politiques qu'en respectant une certaine forme, en donnant l'image d'un parti compétent, sérieux et professionnel. L'électorat luxembourgeois sur lequel on doit compter reste assez conservateur, il n'y a toujours pas de véritable «scène alternative» comme il y en aurait à Berlin... En tous les cas, c'est une question fondamentale que je continue à me poser. Ce qui se passe actuellement chez Déi Lénk / La Gauche par exemple me rappelle fortement l'évolution de Déi Gréng...

 

Est-ce que vous restez membre du parti ou est-ce que vous avez complètement rompu? 

 

J'ai toujours ma carte de membre. Ceci dit, afin de prendre de la distance, je me suis abstenue de participer d'une manière ou d'une autre à la campagne électorale, je n'ai pas écrit une seule ligne du programme. Sinon, je serais restée trop impliquée.

 

Et la militance dans un sens plus large? Allez-vous aussi prendre vos distances par rapport aux ONG et autres causes pour lesquelles vous militiez? 

 

Cela fait vingt ans que je suis militante à toutes sortes de niveaux et d'organisations. Je me rends compte que je vieillis et me dis que je peux laisser la place aux jeunes. J'ai envie de me consacrer aux amis, au jardin, à tout ce que j'ai négligé jusqu'ici. Je crois que je ferai au moins une pause de la militance.

 

Quasi à la même époque à laquelle vous entriez à la Chambre des députés, en 1994, vous commenciez avec Germaine Goetzinger et Antoinette Lorang les recherches pour le livre «Wenn nun wir Frauen auch das Wort ergreifen», anthologie d'analyses sur les engagements féministes au Luxembourg4 dans lequel vous vous consacriez plus particulièrement à l'engagement politique des femmes. En pratique, vous étiez une des féministes les plus militantes parmi les députées, revenant toujours et encore sur des questions comme l'égalité des chances, la lutte contre la traite des femmes etc. Est-ce que votre départ est aussi un aveu d'échec de la cause féministe et va-t-il encore l'affaiblir?

 

Je crois pouvoir dire que durant la législature 1994-1999, nous avons vraiment fait bouger les choses au niveau du parlement. Une de mes premières initiatives était de demander la création d'une commission spéciale à l'égalité des chances entre femmes et hommes. Nous avons vraiment réussi à créer une sensibilité, un vrai réflexe sur la question. Mais les femmes qui suivront auront peut-être une autre approche.

 

Néanmoins, on a l'impression que ces dernières années, le féminisme politique est en perte de vitesse: les partis ne mettent plus guère en avant leurs femmes, et le très conservateur CSV a l'air plus progressiste avec ses quotas de trente pour cent de femmes sur les listes que les socialistes. Vu de l'intérieur, avez-vous une explication pour ce phénomène?

 

Il est vrai que le «féminisme prudent» de Marie-Josée Jacobs a cessé; le débat du 8 mars, journée international des femmes, a perdu en importance et les discussions théoriques de l'Observatoire de la participation politique des femmes n'ont pas eu d'impact. Au niveau de la majorité parlementaire, c'est partiellement dû au partenaire de coalition du CSV, le DP, qui ne s'intéresse pas à la question. Mais l'absence de femmes sur l'avant de la scène est surtout la faute aux partis eux-mêmes, qui ne font guère d'efforts pour les soutenir. Regardez les socialistes: les hommes qui se concurrencent l'un l'autre font néanmoins front commun contre les femmes. Les Verts au moins leur offrent des formations, je dois dire que je n'ai jamais dû me battre pour trouver ma place. Toutefois, je traitais souvent des sujets «typiquement féminins» - ce qui était souvent un choix personnel aussi, je ne suis pas un génie des finances -, je ne veux donc pas non-plus qu'on surestime le rôle que j'ai pu jouer. 

 

En une décennie, vous avez aussi vécu le fonctionnement de cette grande machine qu'est le parlement. L'institution a-t-elle évolué depuis et peut-on y jouer un rôle, si minime soit-il, en tant que membre de l'opposition?

 

Je me souviens des discussions homériques que nous avons eues pour que les réunions des commissions parlementaires soient enfin publiques - sans succès. Et je me souviens de la grande déception de la chaîne parlementaire, Chamber TV: je m'étais réjouie de la mise en place de ce formidable outil de formation politique, mais cela devint un échec cuisant. Une chose est sure : nous sommes loin d'un parlement moderne. Toute volonté de changement nécessite un effort énorme, parce qu'on se heurte toujours à l'inertie des grands partis de la majorité. Certes, depuis l'arrivée du nouveau secrétaire général, Claude Frieseisen, l'appareil est devenu plus transparent et plus efficace. Mais la forme selon laquelle sont toujours prises les décisions politiques reste figée : la majorité exécute ce que lui demande le gouvernement et les apports, même constructifs, de l'opposition - qu'elle soit parlementaire ou qu'elle émane de la société civile -, ne sont guère pris en compte. Cette division caricaturale est complètement inefficace et entraîne un énorme gâchis d'énergie et de savoir.

 

À côté du métier de députée, vous êtes aussi journaliste, une des membres-fondatrices de l'hebdomadaire woxx, ex-GréngeSpoun. Or, le journal, jadis créé pour que les sujets «verts» ou «écolos» aient aussi un média, prend de plus en plus de distances par rapport au parti Déi Gréng. L'actuelle rédaction ne veut même surtout plus y être associée. Est-ce aussi une «émancipation»? Ou plutôt une rupture? Est-ce que vous continuerez à faire partie de la rédaction? 

 

En ce qui concerne ma carrière de journaliste, je n'ai pas encore pris de décision définitive. Le GréngeSpoun avait été créé comme «journal indépendant» et il l'est aujourd'hui plus que jamais. Il est vrai qu'à l'époque, les Verts n'avaient pas d'organe officiel et avaient du mal à se faire entendre dans les autres médias. Par la suite, ils ne supportaient pas que le journal publie un article un tant soit peu critique sur eux, d'où de nombreuses confrontations. Et puis, deux rédacteurs étaient députés verts. Mais maintenant, les Verts n'ont plus besoin du woxx et la rédaction se compose de gens d'horizons très divers du spectre politique de gauche. 

 

Que ferez-vous maintenant? On a pu entendre que vous alliez ouvrir un café?

 

Ouvrir un bar serait mon rêve. Je voudrais l'ouvrir à Luxembourg, de préférence dans le quartier de la gare. Mais les loyers sont bien trop élevés, le risque financier serait trop grand. Donc, je continue d'y rêver, et j'utilise les trois mois qui me restent avant que mon indemnité de députée s'arrête pour explorer des pistes plus sérieuses.

 

1 http://www.db-decision.de

2 La Gap, Gréng alternativ Partei, a fusionné avec le Glei, Gréng Lëscht écologesch Initiative pour former Déi Gréng, qui entra au parlement dès 1994, avec cinq députés.

3 Robert Garcia a quitté la politique fin 2003 pour devenir coordinateur de Luxembourg et grande région, capitale culturelle de l'Europe 2007.

4 Germaine Goetzinger, Antoinette Lorang, Renée Wagener (Hrsg.): «Wenn nun wir Frauen auch das Wort ergreifen...» - 1880-1950 Frauen in Luxemburg, Femmes au Luxembourg; Publications nationales, 1997 

 

 

 

 

josée hansen
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