Qu’y a-t-il de commun entre une triste tente dressée à Bascharage et le prestigieux Hôtel de Soubise dans le Marais à Paris ? Pas grand’chose, bien sûr, si ce n’est l’ambition de deux politiciens pour qui les coups médiatiques tiennent lieu, bien trop souvent, de réflexion politique. Surfant sur la vague nationaliste et identitaire, Nicolas Sarkozy veut loger dans les bâtiments des Archives nationales à Paris un grand musée de l’histoire de France, alors que Mischi Wolter organise dans sa bonne ville de Bascharage une exposition à la gloire, non pas de Cito et de sa « Gëlle Fra », mais d’une certaine idée du grand-duché. Et pour que personne ne s’y trompe, le visiteur est accueilli avec un brin d’emphase par deux drapeaux, le tricolore et le « roude Léiw », avant d’être invité (souvent par le maire en personne) à épingler sur une carte du pays son lieu d’origine. Nous ne savions pas Monsieur le bourgmestre à ce point fan du regretté Brassens et de son immortelle chanson « Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Ayant ainsi montré patte blanche, on peut enfin pénétrer dans le saint des saints pour en sortir, une bonne demi-heure plus tard, … agréablement surpris.
Surpris tout d’abord que, grâce à l’admirable travail des ingénieurs, la tente ait tenu bon sous les intempéries des dernières semaines. Cela n’allait pas de soi et les responsables du Centre Pompidou à Metz comme de la tenture du Festival de Wiltz en savent quelque chose. Surpris ensuite (mais est-ce vraiment une surprise ?) devant la scénographie à la fois sobre et démonstrative d’Anouk Schiltz qui a montré une fois de plus de quel bois elle se chauffe. Surpris enfin par le sérieux de la documentation des historiens qui n’ont pas eu cependant les scrupules de leurs confrères français, dont les meilleurs ont refusé de participer à l’entreprise de Sarkozy qui leur paraissait par trop cousue de fil brun. Naïfs, nos historiens de l’Uni.lu, acceptant de se faire instrumentaliser, ou tout simplement bien dans la ligne d’une « nouvelle histoire » (pas si nouvelle que ça d’ailleurs) qui crée à foison des « lieux de mémoire » pour servir de matrice identitaire à une conscience nationale qui ne demande par ailleurs qu’à s’exprimer d’une façon autrement plus festive dans les exploits des frères Schleck ? Un coup d’œil sur la carte de l’Europe actuelle, qui rappelle de plus en plus dangereusement celle de l’avant-Première Guerre Mondiale, devrait pourtant inciter nos politiques et nos chercheurs à plus de prudence et de retenue quant au maniement de projets nationaux ou nationalistes. Drôle de parti chrétien social dont le leader Juncker va croiser le fer pour une Europe unie et généreuse à Zurich avec le nationaliste suisse Blocher pendant qu’un autre de ses notables organise une manifestation à la gloire d’un rêve suisse et luxembourgeois qui ne fait que célébrer un isolement aussi splendide qu’égoïste.
L’expo qui vient de fermer ses portes a été, nonobstant, un énorme succès populaire et populiste. Aucun sujet n’a été éludé (même pas ceux qui fâchent) et les produits dérivés, dont une « Gëlle Fra » en miniature, se sont arrachés, paraît-il, comme des petits pains, nous rappelant fort opportunément que le mot gadget vient d’un dénommé Gagey qui réussit à vendre des milliers de petites statues de la liberté, le jour où celle-ci fut inaugurée en grandes pompes à New-York. Bartholdi et Cito, même combat ; Palin, Sarkozy et Wolter, même calcul ?