Affaire Biermann

Les maux de la haine

d'Lëtzebuerger Land du 20.01.2011

Madame Marguerite Biermann est une dangereuse récidiviste. Dans une carte blanche diffusée sur RTL en décembre 2009, elle critiqua, sous couvert d’antisionisme, la politique de l’État israélien et cita nommément des personnalités luxembourgeoises de la communauté juive. L’antisé­mitisme, déjà, pointa sous la réprimande de la politique éminemment critiquable du gouvernement Netanyahu. Le procureur d’ailleurs ne s’y trompa pas et fit condamner la fautive pour injure à l’égard du consistoire israélite. Jeter en pâture des noms, cela s’appelle de la délation, un procédé qui, en d’autres temps, remplissait les convois pour les camps de la mort.

La façon d’agir de l’ancienne magistrate s’apparente à la logique de la fameuse série de Fibonacci : ce n’est qu’à la fin d’une longue séquence de chiffres que se révèle l’organisation du système. De même, en remettant régulièrement une pelletée sur le tas des ordures racistes et antisémites, la dame finit par étaler au grand jour que sa critique, légitime, des agissements d’un gouvernement incompétent et corrompu, sert de couverture (peut-être inconsciente) à un antisémitisme vieux comme la naissance de la dia-spora. En effet, quelques mois après sa nauséabonde carte blanche, elle accuse, dans une tribune du Tageblatt, le lobby juif américain de financer les crimes de l’État d’Israël, avant de publier, dans le même journal, deux forums où, citations de l’Ancien Testament à la clef, elle accuse les Juifs d’être de dangereux racistes enfermés dans une logique de destruction de l’autre. Tous les clichés de sinistre mémoire, dignes des pires caricatures de Der Stürmer, resurgissent dans ces pages : l’argent de la juiverie internationale, le complot dans l’ombre contre les goys, le lobby d’un peuple « dominateur et sûr de lui », et j’en passe et des pires.

Bien sûr que l’Ancien Testament recèle de nombreux passages où il est question d’un peuple élu par Dieu qui doit se faire une place au soleil en y délogeant, en général de façon peu cavalière, les autochtones. Passons sur le fait que ce livre est aussi la bible des Chrétiens, pour relever que ce sont justement les sages juifs qui nous ont appris l’art de l’exégèse, l’art donc de ne jamais prendre les mots à la lettre, de les interpréter encore et toujours à la lumière des avancées scientifiques et sociologiques. La psychanalyse, cette « science juive », doit beaucoup à cette façon finalement très inconfortable de toujours se remettre en question. Et c’est peut-être cela que les intégristes de tout poil, chrétiens, musulmans, staliniens, etc., ne pardonneront jamais aux Juifs.

En invoquant la bible pour désigner ce qui fait, pour elle, la spécificité indélébile du Juif, Madame Biermann utilise finalement le même argumentaire que Monsieur Netanyahu qui se réclame lui aussi du « Grand Israël » prôné par les « textes sacrés » pour justifier l’injustifiable, à savoir l’extension des colonies en Cisjordanie. Et, accessoirement, elle confirme la pertinence de Sartre qui a dit que c’est l’autre qui fait le Juif.

Osons une dernière remarque, plus terre à terre, si on me pardonne l’expression dans ce contexte de guerre territoriale. Si, pour aller vite, l’antisémitisme a toujours été de droite, il a infesté une partie de la gauche depuis la création de l’État d’Israël. Pendant la guerre froide et bien au-delà, l’État juif a été soutenu inconditionnellement par le Big Brother américain, alors que les Palestiniens ont toujours été les icônes (et on le comprend) des victimes tiers-mondistes, luttant pour un autre mo-dèle mondial. Est-ce une raison suffisante pour que le Tageblatt, l’or-gane pourtant de la gauche démocratique, offre généreusement ses unes et ses pages à tous ces mots de la haine ?

Yvan
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