Médée

Médée la terrible sur scène à Esch

d'Lëtzebuerger Land vom 07.03.2014

Difficile de renouveler la terrifiante histoire de Médée, immense amoureuse et cruelle matricide, tant le mythe a donné lieu à d’innombrables interprétations artistiques. La semaine dernière, le théâtre d’Esch-sur-Alzette a intelligemment relevé le défi en proposant sa propre production. Une mise en scène modernisée, dans le texte, les décors et les costumes.

C’est Charles Muller, directeur du théâtre, qui a signé la mise en scène. La traduction du texte d’Euripide choisie était celle de la latiniste Florence Dupont ; une version commandée spécifiquement, en 2009, par le metteur en scène Laurent Fréchuret, directeur du Centre de Sartrouville et des Yvelines Centre Dramatique National (France). Dans cette traduction sans ponctuation, ce sont les comédiens qui ont toute latitude pour s’approprier l’oralité du texte, le truffant d’expressions modernes telles que « c’est une dure à cuire » ou une « malade » en parlant de Médée, un « salaud » en parlant de Jason.

Une modernité voulue aussi dans les décors, avec la façade de la maison de Médée s’apparentant à une friche industrielle, dont on ne voit jamais l’intérieur, comme le symbole de la déliquescence des êtres. Les costumes, eux, modestes, salis, accentuaient la condition de Médée, étrangère en terre grecque, avec peu de ressources. Pour autant, Médée la magicienne, dépositaire d’un aspect quasi fantastique, était aussi mise en valeur, dans la seconde partie, dans une somptueuse robe rouge annonçant le sang final. D’un effet pour le moins saisissant, la scène de préparation du poison dans d’étranges alambics éclairés en clair-obscur, était tout à fait réussie. Toute la pièce a profité du subtil travail de lumière de Philippe Lacombe, particulièrement frappant lors de la toute première apparition de Médée : suivant ses cris de désespoir déjà très marquants, celle qui n’est d’abord qu’une voix surgit brusquement, en ombre chinoise, collée à la fenêtre de sa maison, ses longs et maigres doigts agrippés à la vitre, sa tête échevelée figurant la femme défaite, réduite à un état presque animal. Elle est alors ce que Créon, le monarque de Corinthe qui l’expulse, redoute : « Toi, face d’ombre, toi la mégère en furie... »

Très réussi aussi, la façon dont la mise en scène a utilisé le chœur : une chorale jouant sur une partition mineure, inquiétante, le texte qui vient commenter l’action, accompagnés par l’alto de Danielle Hennicot, le violoncelle de Claude Giampellegrini et les percussions de Luc Hemmer. Les trois remarquables musiciens intervenaient aussi sans le chœur, venant annoncer l’action, les grandes plaques de percussions donnant le ton, frappant par leur son toute la scène du sceau de la tragédie.

Caroline Arrouas, formée au théâtre National de Strasbourg, habituée des tragédies (Andromaque, Ariane à Naxos, Les Errances d’Ulysse...) prêtait merveilleusement ses traits à cette Médée, tandis que Jacques Bourgaux campait un Jason lâche et misogyne, appelant à éliminer la « race des femmes » de la terre.

Deux mille cinq cent ans après qu’Euripide a présenté sa tragédie aux Athéniens lors des Grandes Dyonisies de 431 av. J. C., la terrifiante figure de Médée, femme insoumise, magicienne aidée des dieux, résonne toujours d’une façon aussi fascinante chez le spectateur contemporain.

Médée d’Euripide, dans une mise en scène de Charles Muller; scénographie et costumes : Helmut Stürmer ; musiques : Vasile Sirli ; avec : Caty Baccega, Jacques Bourgaux, Caroline Arrouas, Denis Jousselin, Marc Olinger, Christiane Rausch, Hervé Sogne e.a. ; une production du Théâtre d’Esch ; représentations les 27 et 28 février ainsi que le 1er mars ; pas d’autres représentations prévues.
Sarah Elkaïm
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