Simone Decker est la nouvelle responsable du département du département des arts visuels auprès de Kultur:Lx. Portrait

Bien plus qu’une artiste

Simone Decker suit l’installation d’une œuvre  au Lycée agricole à Gilsdorf
Photo: Olivier Halmes
d'Lëtzebuerger Land du 29.08.2025

En avril dernier Kultur:Lx diffusait un nouveau « meet the team » concernant Simone Decker. L’artiste faisait son entrée en tant que responsable du département arts visuels. Figure de l’art contemporain luxembourgeois depuis le début des années 1990, elle mêle dans son œuvre photographie, installation et interventions publiques pour jouer avec notre regard sur l’espace. Elle ajoute un nouveau défi à ce parcours, avec son background d’artiste, sa connaissance du vivier local et son expérience d’une scène internationale qu’elle a pratiquée des années durant. Rien de plus rassurant donc que de la voir parachutée dans les aventures politico-culturelles luxembourgeoises. Elle aura ici l’immense tâche de promouvoir les arts visuels d’un pays qui peine encore à faire sortir ses artistes des frontières grand-ducales. Une opportunité pour elle comme pour ceux autour qu’elle va accompagner dans une vision simple qui met au centre l’artiste, et même, ceux qui ne mâchent pas leurs mots.

Formée à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, à l’Université des sciences humaines de Strasbourg, ainsi qu’à la Hochschule für Bildende Künste, Städelschule de Francfort, elle a bénéficié de diverses bourses et résidences entre Frankfurt et New Delhi, en passant par Paris ou New York et elle ses œuvres ont été exposées dans le monde entier. Elle ne connait pas vraiment de moment charnière depuis qu’elle s’est convaincue que l’art ferait partie de sa vie, et même la construirait de bout en bout. Elle qui explique d’entrée que « Cela allait, en quelque sorte, de soi ».

« Ces derniers mois, j’ai pris pleinement conscience du fait que j’ai toujours œuvré dans le domaine de l’art, que j’y ai toujours évolué et que je souhaite continuer à le faire, sous une forme ou une autre », explique Simone Decker à qui l’art, les créateurs et créatrices tiennent profondément à cœur. En tant qu’artiste, elle considère qu’il est essentiel de changer parfois de point de vue, d’adopter un autre regard. Ce qui fait écho avec son approche artistique, « je pense que la frontière entre création artistique et médiation artistique est souvent très mince, avec des passages fluides de l’un à l’autre. De plus, il y a tellement de formes intermédiaires à découvrir ».

Elle est reconnue pour ses installations in situ et photographies jouant sur la perception, la perspective et l’échelle, souvent dans un cadre architectural. D’ailleurs, en 1999, elle représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise avec la série Chewing and folding in Venice, des photographies de chewing-gum mâchés qui, par un jeu d’échelle et de cadrage figuraient des sculptures gigantesques. Au regard de cette œuvre ou d’autres interventions in situ, son travail artistique remet en question notre rapport au réel et à l’espace urbain, « dans nombre de mes travaux, je m’intéresse avant tout à la remise en question de l’existant, des structures établies et de leurs fonctions. Et dans quelle mesure de petits changements, comme un changement de perspective, permettent d’obtenir une réalité différente ».

Parmi ses autres installations marquantes, on se souvient de Ghosts, en 2004, douze figures jaunes photoluminescentes sur le toit du Casino Luxembourg, reproduisant des sculptures urbaines existantes comme des « ombres lumineuses ». Une œuvre qui questionne la place du spectateur face à l’objet et au volume, partagé qu’il est entre la légèreté visuelle et la rudesse matérielle. Ses installations sont duales, à la fois elles séduisent, et elles suscitent une réflexion profonde du spectateur, le déplace et l’illusionne.

Son travail oscille entre ludisme visuel et complexité conceptuelle. Un équilibre de funambule entre accessibilité sensorielle et densité intellectuelle qu’elle façonne avec précision sans placer le spectateur dans une posture d’observateur passif. « Mes interventions le mettent dans une situation de confrontation. » Au Crédac (Centre d’art contemporain d’Ivry-sur-Seine, en périphérie parisienne), ces douze fantômes étaient installés dans une vaste salle en sous-sol, plongée dans une obscurité totale. Ce n’est qu’à travers la rémanence, cette faible lueur émise par les sculptures, que les visiteurs pouvaient s’orienter et circuler dans l’espace. « On y progressait lentement, comme dans une forêt spectrale, et ceci seulement après que les yeux s’étaient habitués à l’obscurité. »

Après plus de trente ans à fouler les lieux d’arts du monde, Simone Decker a décidé de s’investir au sein de Kultur:Lx pour « renforcer la visibilité de la scène artistique luxembourgeoise à l’international ». Un engagement qu’elle à découvert durant la période où elle enseignait à l’Académie des beaux-arts de Nuremberg où elle a nourri un intérêt pour l’accompagnement des artistes dans le développement de leurs œuvres et de leurs projets.

Dans cette dynamique, Simone Decker a l’intention de valoriser « l’évolution remarquable » de la scène culturelle luxembourgeoise. Elle souhaite poursuivre « l’engagement extraordinaire et la persévérance de quelques personnes qui ont su initier un mouvement, qui se sont engagées sans relâche en faveur de l’art et des artistes ». Elle se dit convaincue que le Luxembourg dispose d’une opportunité rare, surtout en cette période si chargée de tensions et de mutations, pour faire rayonner sa diversité culturelle et ainsi affirmer une identité culturelle à l’échelle internationale. « Être ambassadrice de cette dynamique, voilà pourquoi je m’engage ».

Se tisse logiquement un lien entre sa trajectoire personnelle d’artiste et son implication actuelle dans les politiques culturelles. Une dimension où elle passe de la création à la transmission. Et dans ce nouveau positionnement, son expérience en tant qu’artiste active sur la scène internationale est un atout pour sa vision de la diplomatie culturelle au sein de Kultur | lx. Mais la grande question reste de savoir si elle abandonnera sa condition d’artiste et son travail artistique pour mener à bien son nouveau rôle institutionnel, « dans l’art, tout est question d’attitude. Il s’agit d’adopter une posture qui consiste à examiner les systèmes et à rechercher des solutions innovantes. Je vais aborder ce nouveau poste chez Kultur | lx avec le regard d’une artiste et peut-être aussi comme une complice des artistes. Je suis là pour être à l’écoute des intérêts et besoins des créateurs artistiques », répond-t-elle en ajoutant un cadre d’apprentissage important pour elle dans ce nouveau rôle.

Dans l’art, il y a toujours une tension entre la liberté créatrice et les cadres institutionnels. Face à sa double casquette, d’artiste et de gestionnaire culturelle, il s’agira pour Simone Decker de concilier ces regards pour exercer une forme d’expérimentation et d’indiscipline tout en gardant à l’œil les budgets et stratégies de l’établissement. « En tant qu’artiste, je ne connais que trop bien ce grand écart, en particulier dans le cadre de projets artistiques dans l’espace public : élaborer une idée, repousser toutes sortes de limites à travers des concepts, puis exploiter au mieux les possibilités techniques pour la mise en œuvre. Prendre sans cesse des risques, tout cela constitue pour moi l’essence même de la création artistique. Ne pas perdre de vue le cadre financier ou d’autres conditions structurelles, c’est aussi le quotidien des artistes, c’est un défi qui touche parfois jusqu’à l’existence même des indépendants ».

Sa vision prospective du rôle de Kultur :Lx à l’avenir est de se positionner non seulement comme accompagnateur des artistes, mais aussi comme un véritable acteur de dialogue culturel et d’influence. « Il s’agira de poursuivre les nombreuses coopérations internationales prometteuses, initiée par ma prédécesseuse Hélène Doub. Je trouve cette dynamique particulièrement enthousiasmante. Notre ambition est d’agir comme un amplificateur et un catalyseur des projets artistiques et culturels ».

Godefroy Gordet
© 2025 d’Lëtzebuerger Land