Réalisateur touche à tout, Fred Neuen est le nouveau
président de la Filmakademie

Le Duc de l’image

Photo: Christian Wilmes
d'Lëtzebuerger Land du 25.07.2025

Réalisateur, gamer, faiseur d’images, Fred Neuen monte des projets filmiques et numériques comme d’autres au pays construisent des buildings. Sa trajectoire illustre son appétit pour un storytelling traditionnel et les formats numériques, avec l’ambition de placer le Luxembourg comme un foyer d’innovation audiovisuelle. Figure polyvalente du paysage audiovisuel luxembourgeois, il voyage entre la production, l’écriture, le développement de formats variés. Il entretient surtout une grande affection pour l’expérimentation. Avec lui, il ne s’agit pas que de cinéma, on entend une dévotion pour le jeu vidéo, la VR, et le tout dans un national branding incontestable. Fred Neuen est un réalisateur d’un autre genre, un mutant que le Luxembourg a su saisir pour le mettre à la tête de la Filmakademie. L’air de rien, voilà le cinéphile insomniaque catapulté dans un comité ministériel avec en tête l’envie de secouer un peu l’institution.

Depuis son plus jeune âge, Fred Neuen a toujours été attiré par les histoires, « qu'elles vivent dans les livres, les bandes dessinées, les films, les dessins animés ou les jeux, je les recherchais constamment, avide de découvrir de nouveaux mondes ». Enfant, il passait des heures à créer des univers élaborés qui lui semblaient tout à fait réels. « J’ai le souvenir vivace de prendre mon vélo pour aller au cinéma le plus proche. J'étudiais les affiches de films et les photos promotionnelles d’œuvres que j’étais trop jeune pour voir. Puis je rentrais en courant vers mes amis et prétendais avoir vu un de ces films interdits ». Basé uniquement sur ce qu’il avait aperçu des images, il inventait des histoires entières à ses amis, créant des intrigues à partir de rien, « avec le recul, je réalisais que je produisais déjà des histoires, mais je ne le savais pas encore ». Le rapport au cinéma a été une évidence. « Ma relation directe avec le grand écran a été profondément formatrice. Chaque expérience, avec ce rituel de l’énorme rideau rouge qui s’ouvrait á chaque séance, donnait l'impression d'entrer dans une autre dimension », explique-t-il. Quand son père se procure l'un des premiers magnétoscope VHS, son rapport aux films change : Il peut, en cachette, en dévorer autant qu’il le veut, à son rythme, les voir et revoir, les étudier et les analyser. C’est là que tout se cristallise pour Fred Neuen, il sait déjà qu’il veut raconter des histoires, le cinéma lui apparait alors comme la voie à suivre, « cela semblait inévitable, comme si tout m'avait mené vers cette prise de conscience depuis le début ».

S’il veut dès le départ étudier le cinéma, ses parents insistent pour qu’il se dirige vers quelque chose de plus concret. Fred Neuen étudie la communication appliquée et la publicité à l’IHECS de Bruxelles (1996–2001). La publicité est le compromis parfait, « c'était suffisamment créatif pour satisfaire ma passion artistique, mais représentait une carrière stable tranquillisait mes parents ». Après ses études, il a l’opportunité de travailler pour la chaîne de télévision luxembourgeoise Tango TV, une chaîne conçue pour les jeunes, dans la veine de MTV, avec des clips musicaux et des émissions produites en interne. Il a l’idée d’utiliser les ressources de la chaîne pour produire un premier court-métrage, « quelque chose qui attirerait l'attention des producteurs locaux ». Et à sa grande surprise, ça a fonctionné, « Tarantula, s’est manifestée et m’a demandé si je voulais réaliser mon prochain court avec eux ».

Alors lancé, entre 2003 et 2008, il travaille en tant qu’indépendant et il réalise plusieurs courts-métrages, produits par différentes sociétés de production et soutenus par le Film Fund Luxembourg : Trinity (2005) et Vault (2007), salué dans plusieurs festivals européens. Il travaille aussi chez RTL comme monteur, critique de cinéma et journaliste culturel. Période durant laquelle cofonde la société de Radar Collective avec Ben Andrews, qui devient une société de production en 2010, se spécialisant dans les clips, documentaires et formats expérimentaux, comme Bikini Blitzkrieg. « J’ai travaillé sur une gamme incroyablement diverse de formats et de genres. J'essayais constamment de repousser les limites et d'explorer de nouvelles techniques ». Cette approche d’ouverture et de diversité a clairement façonné sa vision du secteur créatif au Luxembourg : « J'ai vu qu'il est possible de faire décoller des projets ambitieux, même sans équipes énormes ou budgets massifs ». Une façon d'aborder le travail créatif qui devient sa signature : « Les contraintes forcent parfois à être plus innovant et débrouillard ».

En 2020, il réalise Glow, un animé de huit minutes, sans dialogues, mêlant live miniatures et 2D, qu’il co-réalise avec Mik Muhlen. Pour ce projet, ils font appel à l'artiste florale Amandine Bruneau pour construire d’incroyables décors miniatures dans lesquels ils insèrent ensuite des personnages animés dessinés à la main par David Leick-Burns. À ce moment-là, il réalise qu’il peut s’attaquer à n’importe quel format, « cela a brisé cette barrière mentale que j'avais sur ce qui était possible de créer ». Aujourd’hui, avec son associé Mark Mertens, il collabore étroitement avec le studio d’animation La Fabrique d’Images avec qui ils développent d’ambitieux projets VR, des jeux-vidéos et des séries hybrides, mêlant prise de vues réelles et animation.

Depuis quelques mois, Fred Neuen est devenu président de la Luxembourg Filmakademie, avec pour mission de relancer la présence et la visibilité internationale du cinéma luxembourgeois. Il succède à Yann Tonnar qui a fait de la Filmakademie une institution stable et influente dans le paysage national et international du cinéma. Se basant sur ce qui a déjà été fait, il veut aller de l’avant et « rapprocher d’avantage les différentes industries cinématographiques ». Il voit là un réel potentiel à créer plus de ponts et d’échanges entre les différents secteurs. Mais la chose qui lui parait essentielle dans le cadre de sa présidence c’est son désir de rapprocher le cinéma luxembourgeois de son public local. « Je pense qu'il y a quelque chose de puissant dans la création de films qui parlent à notre propre communauté tout en ayant un attrait universel ».

D’autres défis accompagnent cette présidence et notamment le rôle pédagogique et politique de la Filmakademie. Il parle par exemple des freins structurels pour les jeunes créateurs luxembourgeois, et comment la Filmakademie peut y remédier. « Il existe pas mal d'opportunités pour les jeunes réalisateurs et créateurs au Luxembourg : le BTS, la Carte blanche du Film Fund, le programme Crème Fraîche de l'Œuvre ou encore les Lost Weekends, pendant le LuxFilmFest. Nous avons de grands talents parmi nos réalisateurs, acteurs et équipes techniques. Mais nous manquons de jeunes producteurs solides. Ceux-ci sont cruciaux pour créer des projets et les mener à terme. La clé est de rester adaptable et d'aider les jeunes cinéastes à comprendre à la fois les fondations traditionnelles et ces possibilités émergentes », argumente Fred Neuen.

La vision de Fred Neuen comprend ainsi « le renforcement de la présence de l'institution tant au niveau national qu'international, consolidant ainsi la position du Luxembourg dans le paysage cinématographique mondial ». Néanmoins, le Luxembourg est et restera un petit territoire. Là se pose la question de comment faire rayonner les talents de l’audiovisuel luxembourgeois à l'international, sans tomber dans la dépendance des coproductions étrangères. « Ce qui m'enthousiasme vraiment, c'est de regarder vers l'avenir, vers les prochains films de nos talents et les premiers longs-métrages de jeunes réalisateurs prometteurs qui ont le potentiel de mettre le Luxembourg sur la carte de manière entièrement nouvelle ».

Le président aime observer la nouveauté et développe aussi une forte attirance pour le domaine du jeu vidéo. Fred Neuen dresse ainsi un pont entre cinéma et jeu vidéo au Luxembourg. Les membres de la Luxembourg Video Game association, qu’il préside également, sont en train de mettre en place les piliers de cette nouvelle industrie. « C’est une période passionnante car nous avons déjà de petits développeurs assez prospères, sortant des jeux sur la plateforme Steam ainsi que sur PlayStation et Switch », argumente le double président. Et les passerelles entre le gaming et le cinéma façonnent une évolution naturelle des secteurs au Luxembourg. « Il ne faut pas sous-estimer le potentiel de l'industrie du gaming qui génère déjà plus de revenus que les industries du cinéma et de la musique combinées. C'est une opportunité économique significative pour un pays comme le Luxembourg », précise-t-il.

Navigant entre cinéma, publicité, jeux vidéo, animation et réalité virtuelle, et du haut de ses positions actuelles, Fred Neuen imagine un dialogue fécond entre « ces différents médias qui naturellement s'entrecroisent. L'un se nourrit de l'autre, les compétences d'une discipline peuvent améliorer et compléter la suivante. Fondamentalement ce sont tous des outils de narration ». Le réalisateur aime à rappeler que « les institutions qui réussissent sont celles qui reconnaissent la narration comme la compétence tout en restant flexibles sur le format de réalisation ». La force du Luxembourg a été d'identifier les tendances émergentes, « la clé est de comprendre que ces différents formats ne sont pas en compétition les uns avec les autres : ils étendent l'écosystème narratif », conclut-il. p

Godefroy Gordet
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