Chroniques de l’urgence

SFO : un barrage contre le Pacifique

d'Lëtzebuerger Land vom 22.11.2019

Un mur de seize kilomètres de long, d’un coût de 587 millions de dollars, va être construit à partir de 2025 pour protéger l’aéroport de San Francisco de la montée des eaux. Ses pistes situées en bordure d’une des plus fameuses baies du monde sont à quelque trois mètres au-dessus du niveau de la mer. L’intention des autorités aéroportuaires est d’entourer entièrement l’ouvrage, qui, avec 55 millions de passagers annuels, est le septième le plus fréquenté des États-Unis, d’une paroi faite de palplanches fichées dans la vase et de segments en béton. SFO, construit en 1927, avait déjà été protégé contre les flots à partir des années 1980 à l’aide de talus et de digues d’un mètre de haut environ. L’objectif de l’investissement, approuvé en septembre dernier par les autorités de la ville, est d’ajouter 1,5 mètre de protection. En ligne de mire, le niveau de l’océan prévu, selon les dernières estimations scientifiques, en 2085, histoire de pouvoir encaisser jusqu’à cette date les vagues pouvant déferler depuis la baie lors de tempêtes, surtout si celles-ci coïncident avec les marées hautes. Le quotidien local Mercury News précise que le coût total de l’investissement, qui sera financé par une émission d’obligations, sera de 1,7 milliard de dollars si l’on inclut les intérêts, le tout devant être couvert par des taxes plus élevées imposées aux compagnies aériennes utilisant l’aéroport.

San Francisco n’est pas un cas isolé. De très nombreux aéroports sont situés en bordure de mer, où il est plus facile de dégager, à proximité des villes qu’ils desservent, les surfaces planes requises pour leurs pistes – parfois en les gagnant directement sur la mer. Parmi les villes particulièrement concernées figurent Shanghai, Rome, Barcelone, Bangkok ou New York. Une étude d’Eurocontrol a identifié 34 aéroports particulièrement menacés dans le monde. Certains ont commencé à s’équiper en défenses mobiles et en systèmes de pompages. À ce jour, San Francisco semble être le cas le plus extrême d’investissements massifs destinés à préserver la fonctionnalité d’un aéroport face aux conséquences du réchauffement.

Mais est-ce vraiment une bonne idée d’engloutir des montants considérables dans des infrastructures qui resteront, quoi qu’on fasse, à la merci d’une hausse plus rapide que prévue du niveau des mers, d’un affaissement des sols (subsidence), comme dans le cas de Djakarta, ou d’un emballement des tempêtes, tout en favorisant la poursuite des émissions de CO2 liées à l’aviation ? Soutenir qu’en faisant porter aux compagnies aériennes, et donc à leurs passagers, le coût des protections requises pour préserver les pistes, on applique le principe pollueur-payeur, est illusoire : le levier est notoirement insuffisant. Lors des arbitrages à venir entre rester et évacuer, les décideurs devront apprendre, sans doute dans la douleur, à privilégier la modestie et la prudence face aux éléments à l’obstination et la superbe.

Jean Lasar
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