Photographie

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Patriotisme affiché en Hongrie
Foto: Patrick Galbats
d'Lëtzebuerger Land vom 13.04.2018

Les lecteurs du Lëtzebuerger Land connaissent bien son travail. Pendant cinq années, jusqu’en 2016, le photographe de presse Patrick Galbats a su résumer en images le contenu des articles de l’hebdomadaire, avec un focus sur les hommes et les femmes photographiés dans des situations qui mettaient comme le point sur le « i » au contenu des articles. Photoreporter également depuis une quinzaine d’années, Patrick Galbats, (né au Luxembourg en 1978, diplômé de l’école Le 75 à Bruxelles), a travaillé pour des ONGs dans des pays qui connaissent des situations politiques et sociales explosives : l’Éthiopie, Haïti ou les Philippines. Il a depuis décidé de se consacrer à un projet personnel et durant quatre années, est parti sillonner la région de la Hongrie d’où était originaire son grand-père Imre Miklos Galbats.

Patrick Galbats n’a pas connu son grand-père. Il avait pour seul viatique le passeport d’Imre Miklos, délivré par l’occupant nazi en 1944. Dans ce document, attestant de son patriotisme nationaliste, le désormais migrant (il sera par la suite apatride, puis Français dans l’Afrique du Nord colonisée et finira sa vie dans le Sud de la France), fuyant l’avancée des troupes soviétiques, avait griffonné sa profession de foi : l’hymne national magyar.

Les voyages en Hongrie allaient conforter Patrick Galbats dans l’idée qu’un mythe fondateur, autour d’un personnage familial pouvait être transposé à une échelle plus large, celle d’un pays : l’environnement géographique dirait quelque chose de l’identité des hommes et vice versa. L’image qui ouvre l’exposition au Centre national de l’audiovisuel à Dudelange rend compte de cela en ce qui concerne la Hongrie d’aujourd’hui. C’est une grande photographie d’un cadrage sur les pieds d’une statue géante, que l’on devine être celle d’un guerrier.

Une identité nationale peut être modelée en bien ou en mal, suivant l’utilisation que font les politiques de son histoire. Patrick Galbats est un photographe au regard affûté. Il sait, pour avoir pu côtoyer les Roms de Roumanie où il se rend régulièrement, que l’Europe du « plus jamais ça » post-Deuxième Guerre mondiale et intégratif des pays de l’ex-bloc soviétique après la chute du Mur de Berlin, n’a pas su empêcher les frustrations des Hongrois, qui s’exprime aujourd’hui sous la forme d’un rejet de l’Europe, nourri du ressentiment envers la politique de Bruxelles vécue comme un dictat et d’une idée de complot : l’Union Européenne et l’Onu mèneraient une politique pro-migrants pour les substituer aux habitants locaux.

Les migrants de l’ex-Yougoslavie, afghans ou syriens, qui viennent frapper aux portes de l’Europe à la frontière hongroise avec la Serbie sont donc l’ennemi tout désigné. Pourtant, dans l’exposition à Dudelange, on ne voit passer que furtivement un petit groupe d’hommes sur un chemin rural longeant une nationale. Les traces de leur passage sont maigres : un feu éteint au départ d’un chemin qui disparaît au sommet d’une colline, quelques hardes abandonnées au bord d’un étang.

Peut-être quelques-uns sont-ils mêlés aux baigneurs dans un petit lac reconnu par Patric Galbats comme celui où le jeune Imre Miklos s’est baigné un siècle plus tôt dans ce même paysage. Les paysages que l’on voit dans l’exposition sont de plusieurs types. Il y a les paysages « indifférents », marécages, sous-bois sauvages. On voit aussi un couple qui cultive son jardin (ils doivent avoir l’âge qu’aurait Imre Miklos Galbats aujourd’hui). Il y a des arbres au bord d’un chemin rural : ce sont des paysages « innocents », sourds à l’histoire...

C’est, au bout de ces horizons mélancoliques – dans un jardinet fleurissent les dernières fleurs déjà figées par le froid de l’hiver, un champ de maïs est recouvert par la première neige – que se dresse un autre type de paysage. Il a la forme d’une double barrière de barbelés équipée de miradors, caméras thermiques détectrices de présence et autre dispositif anti-intrusion. Nous sommes aux confins Est de l’espace Schengen et c’est la Hongrie de Viktor Orban. L’objet central de cette photo est une stèle commémorant le Traité de Trianon signé en 1918, après le premier conflit mondial, où furent dessinées les frontières de la Hongrie contemporaine.

Pour les visiteurs du CNA, Patrick Galbats, aidé en cela par le journaliste indépendant Joël Le Pavous, (la salle d’exposition Display 1 est aménagée comme la rédaction d’un journal aux bonnes feuilles accrochées au mur, dont on peut emporter la version grand format – un clin d’œil au Lëtzebuerger Land), fait le récit de l’histoire de la Hongrie, où la signature du Traité de Trianon, qui l’amputa définitivement des deux tiers le territoire de la Grande Hongrie, constitue le point culminant de pertes successives ou vécues comme telles : conquête par les Ottomans, annexion à l’Autriche-Hongrie des Habsbourg, occupation par les nazis et écrasement de l’insurrection de Budapest par les Soviétiques en 1956.

Un des rares faits d’armes pro-démocratie de la Hongrie moderne, retombée depuis dans les bras du patriotisme nationaliste avec les populistes d’extrême-droite du Jobbik et Victor Orban. Réélu depuis une semaine pour un nouveau mandat de quatre années lui et les partisans du parti Fidesz, savent user des « figures héroïques » de la Grande Hongrie au cours de son histoire : l’aigle Turun (puissant dieu du panthéon païen), le roi Étienne (canonisé pour avoir christianisé les tribus), etc. jusqu’à la Hongrie du général Horty, partisan de l’Axe durant la Deuxième Guerre mondiale et actif pourvoyeur des fours crématoires avec l’anéantissement des juifs hongrois…

Dans la salle Display 2 (qui ouvre donc sur la statue géante d’un valeureux soldat des Hussards), une seule photo montre le drapeau européen comme enroulé par un vent mauvais autour de sa hampe. Les autres symboles et monuments pro-Grande Hongrie font florès : l’aigle Turun bien sûr, un monument aux morts pour la patrie ; les spoutnik et autres avions, symboles déchus de l’ancienne puissance soviétique rouillent ou sont recyclés en d’étranges figures, qui se mêlent aux enseignes vulgaires de la consommation ouest-européenne.

La population vieillissante fait ses courses dans ce décor de banlieue sans âme qui n’appartient ni au monde d’hier, ni à celui de demain. Les jeunes s’habillent d’uniformes militaires, arborent le drapeau national et des costumes folkloriques, roulent en voitures arborant des stickers de la Grande Hongrie et posent torse nu pour l’objectif de Patrick Galbats, Hit me one more time tatoué sur la peau. La Hongrie d’aujourd’hui est comme ça. On pourra en discuter avec Patrick Galbats, lors du finissage de l’exposition, le
28 avril prochain au CNA, qui présente le livre accompagnant l’exposition à cette occasion.

L’exposition Hit me one more time de Patrick Galbats, dure encore jusqu’au 29 avril au CNA, 1b rue du Centenaire à Dudelange ; ouvert du mardi au dimanche de 10 à 22 heures ; pour plus d’informations : www.cna.etat.lu.

Marianne Brausch
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