Changement de direction au Service information et presse du gouvernement

« Nous ne faisons pas de marketing politique »

d'Lëtzebuerger Land vom 22.02.2013

d’Lëtzebuerger Land : Lorsqu’elle a été lancée, en 1999, la page Internet www.gouvernement.lu était à la pointe du progrès. Mais aujourd’hui, quatorze ans plus tard, après l’avènement du web 2.0, l’arrivée de l’interactivité, la prolifération des images et le succès des réseaux sociaux, elle a l’air vraiment poussiéreuse, extrêmement statique. Depuis trois ans au moins, elle doit être refaite. Où ce projet en est-il ?

Guy Schuller : La nouvelle version est prête à 75 pour cent, elle pourra aller en-ligne avant l’été, je dirais, sauf imprévu. Nous y avons adapté le « plan directeur de la gouvernance électronique » élaboré en 2010 afin de standardiser les différents sites des administrations et nous allons faire un grand bond en avant côté graphisme. Le site gouvernement.lu deviendra encore plus clairement le portail fédérateur et d’entrée vers l’arborescence des autres sites officiels. Nous avons déjà maintenant 84 000 visites par mois sur ce site, les internautes venant surtout du Luxembourg, mais aussi d’Allemagne, de France, de Belgique ou des États-Unis. Et nous constatons aussi qu’il s’agit d’un bon outil d’information en interne : lorsque les résumés des conseils de gouvernement sont publiés, le vendredi après-midi, il y a beaucoup de visites en provenance des administrations publiques.

Qu’en est-il de l’interactivité et des réseaux sociaux ? Quand on regarde ce que fait Barack Obama aux États-Unis : il arrive à créer une grande proximité avec ses photos personnelles sur Facebook, à vraiment faire du storytelling. Mais ici, rien de tout cela...

Le site gouvernement.lu n’est pas un réseau social et ne le sera pas : c’est un site sur lequel le gouvernement informe le grand public sur ses activités. Mais depuis le début de cette année, nous avons entamé une collaboration avec le CTIE (Centre des technologies de l’information de l’État) afin d’élaborer un guide sur la manière dont les administrations publiques devraient se comporter sur les réseaux sociaux. Ce guide va prévisiblement être prêt d’ici la fin de l’année, et par la suite, les administrations gouvernementales, dont nous, vont se lancer sur les réseaux sociaux. Nous n’allons pas chatter, ce n’est pas notre vocation, mais communiquer des faits et des informations utiles pour suivre et comprendre l’action du gouvernement.

Nous ne pouvons nous comparer à Barack Obama, qui a des moyens autrement plus importants que nous. Mais il y a beaucoup d’exemples, plus près de nous, comme le président du Conseil européen Herman van Rompuy ou les gouvernements de nos pays voisins, qui montrent comment communiquer par ces outils modernes, Twitter étant plus dans l’immédiat et Facebook fonctionnant de manière multi-médiale et multi-réseaux. En attendant, et comme toujours, nous répondons à toutes les questions que l’on nous pose, en passant par le site, des courriels ou le téléphone.

Le Premier ministre Jean-Claude Juncker a un profil Facebook officiel, qui est même actualisé assez régulièrement ces derniers temps. Qui est-ce qui le gère ?

Son parti, le CSV.

Est-ce que le Service information et presse est un service du Premier ministre ? C’est ce que les partenaires de coalition, le DP et le LSAP, vous ont souvent reproché...

Non ! Clairement non ! Je connais ces reproches, ils ont été particulièrement forts lors du changement de majorité en 2004. Mais il n’en est rien : nous sommes au service de tout le gouvernement ! Chaque ministre peut avoir recours à nous, d’ailleurs nous faisons aussi nos revues de presse pour tous les membres du gouvernement. Même si nous sommes forcément un peu plus proches du Premier ministre, qui est notre ministre de tutelle. D’ailleurs, contrairement aux pratiques courantes ailleurs, voire même depuis quelque temps dans d’autres ministères au Luxembourg, le Premier ministre luxembourgeois n’a pas d’attaché de presse à proprement parler. Moi-même ai toujours fait ce travail, mais j’étais attaché au Sip, qui n’est certainement pas un centre de propagande pour une personne. Le Sip n’est pas un service de spinning politique, nous ne faisons pas de marketing politique, mais nous fournissons une information neutre.

Depuis quelques années, depuis ces reproches probablement, on constate que quasiment tous les ministres ont leurs propres « attachés de presse » ou « responsables de la communication », qui sont souvent des fonctionnaires de leur confiance qui s’occupent des demandes d’entretiens ou d’informations de la part de la presse. Cette multiplication de canaux est-elle un désaveu pour vous ?

Pas du tout ! Nous avons toujours encouragé la création de tels postes, qui sont beaucoup plus proches des ministres et de leurs administrations. Par ailleurs, nous continuons bien sûr à offrir nos services à tous ceux qui le demandent et nous travaillons en réseau avec les différents attachés de presse dans ce que nous appelons le « groupe de Mondorf » : nous nous voyons à rythme régulier et coordonnons nos méthodes de travail.

Quelles sont alors les missions du Sip ?

Notre service, créé en 1944 déjà, a été officialisé dans la loi de 1991 sur les médias électroniques et nos missions sont définies dans un arrêté grand-ducal de la même année : nous devons à la fois informer le grand public et les « milieux intéressés » sur les activités du gouvernement, et collecter et transmettre des informations au gouvernement. Pour cela et en plus de la gestion quotidienne de nos deux sites Internet www.gouvernement.lu et www.luxembourg.lu, nous diffusons les communiqués du gouvernement, nous compilons trois revues de presse par jour, réalisons des veilles des informations du jour des chaînes de radio et de télévision nationales, transcrivons des verbatim de commentaires, de reportages ou d’entretiens et éditons en plusieurs langues des publications d’informations sur divers aspects de la vie politique, économique, culturelle et sociétale luxembourgeoise. Nous encadrons les journalistes lors de voyages officiels ou de travail à l’étranger ou lors des visites d’invités internationaux auprès des ministres luxembourgeois. En outre, nous travaillons aussi pour la Cour grand-ducale – le mariage princier d’octobre dernier par exemple, qui a été un véritable défi par le délai très court et le nombre de journalistes accrédités... Et nous sommes associés à tout ce qui concerne la communication de crise – sécurité alimentaire, Cattenom, propagation de virus, sécurité intérieure. Tout cela en étant 24 personnes seulement, dont un certain nombre de mi-temps. Mais ça fonctionne parce que nous avons une équipe rôdée, expérimentée et extrêmement engagée.

Vous étiez le porte-parole de Jean-Claude Juncker durant les huit ans de sa présidence de l’Eurogroupe et avez pu apprendre que les enjeux sur le parquet international sont encore autrement plus grands qu’ils ne le sont au Luxembourg, que la presse y est plus agressive et que la moindre phrase ou partie de phrase, malencontreuse ou sortie de son contexte, a des conséquences graves, comme la chute du cours de l’euro sur les bourses... Est-ce que cela vous a rendu plus sceptique vis-à-vis des médias ?

Je n’étais pas officiellement porte-parole de Monsieur Juncker, mais je faisais ce travail pour le compte du Sip. Mais le travail, que ce soit à Bruxelles ou ici, est toujours le même, il suit les mêmes règles : à l’international comme au Luxembourg, on doit pouvoir se baser sur une relation de confiance avec les journalistes. Je me suis toujours mis un point d’honneur de les connaître tous, enfin, 80 pour cent, personnellement. Et bien sûr, il y a du « on » et du « off » lorsqu’on parle avec les journalistes, on travaille avec ceux qui respectent ces règles. J’estime que l’essentiel pour un porte-parole n’est pas de savoir ce qu’il doit dire, mais de savoir ce qu’il doit taire à un moment donné.

Nous voici donc au cœur du sujet de l’accès à l’information : le Premier ministre vient de déposer le projet de loi sur l’accès à l’information, officiellement « relative à l’accès des citoyens aux documents détenus par l’administration » (voir d’Land 07/13), qui est déjà assez contesté à cause des barrières qu’il impose. Quelle est votre appréciation du texte et qu’est-ce qu’il va apporter comme nouvelles missions au Sip ?

D’abord, je tiens à souligner que le Sip a eu un rôle consultatif en amont de l’élaboration de ce projet de loi, même si nous n’avons pas travaillé sur le texte à proprement parler ; un texte qui transpose grosso modo les lignes directrices internationales, comme celles du Conseil de l’Europe, en la matière. C’est très bien que nous ayons désormais un tel texte, même si je peux aussi comprendre les critiques et les réticences de ceux qui estiment qu’il est encore trop restrictif. Mais il faut savoir qu’il ne s’agit à ce stade que d’un projet de loi, qui va encore passer tout le processus législatif durant lequel des avis et des amendements seront réalisés.

Mais ce texte introduira une obligation pour les administrations de chercher les informations qu’un citoyen demande – et cela ne sera pas limité aux seuls journalistes ! – et de les lui fournir dans des délais assez bref. C’est un changement de paradigme, un véritable défi pour les administrations, qui devront se donner les moyens et les procédures pour assurer le suivi de ces demandes, nommer des responsables de la prise en charge des requêtes qui peuvent être informelles et qui doivent obligatoirement recevoir une réponse. Comme c’est déjà le cas en matière environnementale, nous devrons communiquer les documents demandés, sauf dans les cas spécifiques prévus par la loi. Or, au Luxembourg, nous n’avons pas de grande tradition en ce qui concerne la communication avec les journalistes et le public, cela implique une petite révolution.

Vous êtes à la tête du Sip depuis début janvier : quels sont vos projets prioritaires ?

J’ai rejoint le Service en 1995, donc je le connais bien et je n’ai pas besoin de le réinventer. Mais ma prise de fonctions a commencé sur les chapeaux de roues, parce qu’il y a beaucoup de dossiers urgents, dont beaucoup furent déjà entamés sous mon prédécesseur, Mil Jung : Nous venons de lancer les travaux préparatoires pour une version allemande de notre deuxième site, www.luxembourg.lu, qui est pour beaucoup le portail d’entrée vers notre pays. Puis nous terminons un nouvel Extranet pour les journalistes, notamment pour une gestion plus facile, plus rapide et plus personnalisée des informations à destination des médias. Ensuite nous présidons un groupe ad hoc composé de représentants des ministères des Affaires étrangères, des Finances, de l’Économie et du Commerce extérieur, de la Culture, des Classes moyennes et du tourisme, de Luxembourg for Business et de Luxembourg for Finance et qui réfléchit depuis quelque temps sur la promotion de l’image de marque du Luxembourg à l’étranger, le « nation branding ». D’ailleurs nous nous demandons actuellement s’il ne faudrait pas professionnaliser ce travail et créer une petite structure, légère, avec un ou deux employés fixes.

Ensuite, il est déjà temps de préparer les élections législatives et européennes de l’année prochaine, pour lesquelles nous créons le site officiel, en collaboration avec le CTIE, et organisons toute la gestion de la campagne médiatique officielle, temps d’antenne, spots publicitaires et tables-rondes. Et je sors d’une réunion de préparation de la présidence du Conseil des ministres de l’Union européenne, que le Luxembourg assurera à nouveau durant la deuxième moitié de 2015 : nous sommes déjà en train de préparer le nouveau site Internet – qui se basera essentiellement sur celui de 2005, qui était très bon –, d’établir l’arborescence et de réfléchir à une identité visuelle. Tout cela devra être prêt avant la fin de cette année. Depuis début février, nous avons d’ailleurs détaché une personne, Carole Ensch, comme attachée de presse à la représentation permanente à Bruxelles : elle pourra aider à préparer le terrain pour la présidence, mais aussi contribuer à valoriser le Luxembourg et à mieux faire entendre sa voix sur le parquet européen, et ce de manière pérenne.

La presse classique traverse actuellement une grave crise, d’abord sur le plan international, et, depuis quelques mois, aussi au Luxembourg, une crise qui vous concerne forcément, puisque vous travaillez avec la presse. Est-ce que cela vous inquiète et est-ce qu’elle a des conséquences sur votre travail ?

Bien sûr que cela nous inquiète. Cela me concerne personnellement, parce que je suis un véritable « newsfreak », je dévore toute la presse que je peux trouver et je crains un appauvrissement du paysage médiatique. Mais cela me concerne aussi sur le plan professionnel, puisque nous constatons que nous ne pouvons plus atteindre certains publics par les voies traditionnelles de la presse écrite, de la radio ou de la télévision. Beaucoup de jeunes ne consomment plus rien d’autre que leurs portables et leurs tablettes. C’est une des raisons de notre réflexion sur la communication par les réseaux sociaux.

josée hansen
© 2024 d’Lëtzebuerger Land