Visite d’un studio au Limpertsberg

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d'Lëtzebuerger Land vom 28.02.2014

Ils étaient onze à tenter leur chance, ce midi-là au Limpertsberg. Munis de leurs trois dernières fiches de paie, d’une copie de leurs cartes d’identité et de sécurité sociale, ils attendaient leur tour pour une courte visite des lieux. L’objet de la convoitise, il l’ont déniché sur Athome.lu :« Studio de 35 mètres carrés au Limpertsberg avec parquet au sol. Grande chambre avec cuisine ouverte. Double vitrage. Situation calme mais centrale ». Située dans une petite rue latérale, bordée de vieilles maisons art-déco, à quelques pas du Cactus et du Café Tramway, le studio en lui-même était sans grand charme (hormis un beau parquet en carrés boisés) : Un building lambda des années 70, fenêtres en plastique, cicatrice du boom de la construction des « années Retter », d’après un promoteur peu scrupuleux, père du Forum Royal.

Le loyer est de 850 euros, charges comprises, trois mois de garantie en avance, plus un pour les frais d’agence. Avant d’emménager dans le studio, il faudra donc mettre sur la table quelque 3 500 euros. « Pour un objet comme celui-là, sans parking, vous pouvez demander jusqu’à mille euros, selon le quartier, glisse l’agente. Pour les studios, les prix sont toujours élevés, entre 18 et vingt euros le mètre carré ». C’est la quatrième fois en quelques années que l’agence loue le studio, une petite douzaine de personnes l’auront visité (sur trente demandes) pour cette fois-ci, dont une sera retenue.

Les profils de la dizaine de locataires qui défilent ce midi-là se confondent : Expatriés travaillant dans le secteur financier ou à l’Université du Luxembourg, âgés de 25 à 35 ans, et gagnant autour de 2 500 euros net. Des jeunes employés du privé, bien propres sur eux, diplômés, mobiles et internationaux. Ils visiteront le studio, une dizaine de minutes chacun. L’agente immobilière Margret Schröder, une grande blonde d’une cinquantaine d’années, bluetooth coincé derrière l’oreille, une écharpe multicolore autour du cou, reçoit les visiteurs en bas de l’immeuble. Elle fait fonction de gatekeeper. L’accès à la location passera par elle. Face aux profils qui se recoupent, on demande selon quels critères le studio sera alloué. Elle répond sur le ton de l’évidence : « À celui qui pourra payer le loyer ! »

Mais sa tâche ne s’arrête pas à une collecte des fiches de paie. Elle établit aussi des profils qu’elle transmettra au propriétaire, qui habite quelque part à l’étranger, « en Europe ». Pour les aider à faire la sélection, les deux agentes immobilières rédigent de petits rapports sur les visiteurs : « Nous ne voulons pas louer à des gens qui ne s’intégreront pas dans la communauté ». Les candidats arrivent-ils à l’heure, sont-ils « corrects », « soignés », font-ils « bonne impression » ? Elles regarderaient « tout le genre » ; pour établir ce profil, quelques minutes devront suffire. Pour l’agente, cela ne s’explique pas, pour évaluer les locataires, « on développe un sens après quelques années ». Pour les locataires, le processus décisionnel reste une boîte noire.

Quasi jamais les clients ne poseraient des questions sur la vie nocturne ou sur les commerces du quartier, relate l’agente. « Pour être certains d’habiter un bon quartier, ceux qui viennent d’arriver misent sur les valeurs sûres : le Limpertsberg et Belair », dit-elle en notant cependant un second mouvement, de réaction : le nouveau quartier « tendance » serait celui de la Gare, entre la place de Strasbourg et le boulevard de la Pétrusse, plus excitant, plus vivant, moins calme aussi. Interrogés sur leurs motivations à visiter un studio au Limpertsberg, les réponses des locataires sont assez prosaïques. La plupart ne connaissant pas le quartier, son histoire ou son atmosphère, ce qui prime, c’est la proximité au travail : les bus pour le Kirchberg partent non loin de là.

Au deuxième étage, on en est au quatrième visiteur. « Les gens sont vraiment stressés, confie la seconde agente, Diana Pereira, qui reçoit les visiteurs dans le studio. Certains cherchent depuis si longtemps. C’est comme pour la recherche d’un emploi, c’est la même frustration ». Après les renseignements sur les charges, la seconde question posée par les visiteurs serait invariablement : Combien de jours jusqu’à ce que le propriétaire se manifeste ?

Pierre est le cinquième visiteur. Lunettes à monture noire, pull brun, ce Français de presque quarante ans a suivi sa compagne au Luxembourg dans l’espoir d’y trouver un emploi. À la fin de la visite, il glisse qu’il voudra vivre dans le studio ensemble avec sa copine. « Si pour vous ce n’est pas trop petit… », répond l’agente. Il a visité d’autres studios, souvent il y aurait eu jusqu’à 80 intéressés. A-t-il aussi cherché du côté des collocations ? « J’ai passé l’âge », lâche-t-il. Il est suivi par Andreï, un jeune Bulgare, qui cherche un endroit calme, « mais avec les voisins, ça reste toujours imprévisible ». Puis, c’est le tour de Marie, jeune Française de 25 ans, qui, en un mois et demi, a visité une dizaine de studios durant ses pauses-midi ou en prenant des jours de congé. (Elle n’a eu de retour d’aucune de ces agences). Elle déplore le fait que les agences soient fermées les samedis, mais estime que « par rapport à Paris, c’est plus conciliant ici, les demandes sont moins extravagantes ».

Pour ces employés expats, qui ne disposent pas de réseaux familiaux au Grand-Duché, la lutte sur le marché est impitoyable. Les jeunes Luxembourgeois font eux le gros dos. « S’ils viennent, c’est accompagnés de leurs mère ou de leur père. Mais la plupart continuent à habiter chez leurs parents, puis, une fois en couple, ils deviennent directement propriétaires », estime l’agente.

Il est une heure passée. Voici Khaled, employé dans une société d’audit, qui arrive, mâchant un kebab. C’est le cinquième appartement qu’il visite. Cet ancien étudiant en économie et en gestion des sociétés à l’Université du Luxembourg, est fatigué de sa « Lorraine-dortoir ». Il a décidé de franchir le pas et de venir s’installer au Luxembourg, « c’est plus pratique, vu que de toute manière je passe mes journées ici ». Il dit chercher en ville et « en banlieue proche ».

Miguel, un jeune Espagnol, qui a étudié au Royaume-Uni, a débarqué il y a deux semaines au Luxembourg pour y travailler pour une multinationale active dans les télécommunications. Il en est à sa huitième visite. Il voyagerait beaucoup, il aurait surtout besoin d’un lit et d’un canapé, explique-t-il. Son séjour au Luxembourg, il le voit plus comme un passage, mais, ajoute-t-il, « si ça me plaît, peut-être y resterai-je toute ma vie. »

Irina, chercheuse à l’Université, était la deuxième à se présenter. Elle arrivait un peu avant midi et s’enquérait de la machine à laver (il n’y en a pas, ni de buanderie en cave). Cette rousse se dit un peu mystifiée devant les raisons qui président au choix des propriétaires. Pourtant, ce sera elle qui sera choisie, en fin d’après-midi, sur recommandation de l’agente. Sur les onze visiteurs qui s’étaient présentés entre midi et deux heures, cinq avaient envoyé leurs documents au cours de l’après-midi. Lorsque, quelques jours plus tard, nous interrogeons l’agente Schröder sur son choix, elle hésite quelques secondes, puis répond : « Elle avait déjà visité deux appartements avec nous. Et puis elle travaille à l’université. Et le lieu de travail et la paie comptent pour beaucoup. »

Bernard Thomas
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