Sujet de récurrence dans la danse contemporaine, la chute à proprement parler est une base rhétorique du mouvement, un outil du corps dansant vers l’objet de recherche, une ligne de tonicité chez le danseur qui occupe grâce à elle la verticalité autant que l’horizontalité… Dans ce sens, Giovanni Zazzera prend cette préoccupation à bras le corps dans sa dernière création Until you fall, un spectacle qui explore le fait de tomber, au premier degré donc, physiquement, mais aussi métaphoriquement. Un ouvrage réussi, sans pour autant en tomber à la renverse.
Giovanni Zazzera n’a pas l’actuelle popularité des quelques chorégraphes en vogue à Luxembourg. Pourtant, lauréat du Lëtzebuerger Danzpräis en 2013, il connaît depuis ces dernières années une belle évolution artistique. Ouvert à différents styles de danse, interprète impliqué et appliqué, chercheur chorégraphe insatiable et globe-trotter, l’artiste luxembourgeois a signé depuis 2013 plusieurs pièces remarquées. De son premier spectacle chorégraphique If I, monté dans le stimulant cadre du Trois CL et montré dans de nombreux festivals, Zazzera crée ensuite Reverse, T.r.U.s.t, Secrets, Quand le silence parle, Flowers grows, even in the sand, Art.13 en collaboration avec la Compagnie Awa et les artistes Sandy Flinto et Pierrick Grobéty, ou encore Fenrir de riese Wollef, associé à Anaïs Lorentz et Ela Baumann. Huitième pièce qu’il dirige seul aux commandes, Until you fall correspond à une suite logique dans son parcours à lui, qui, il y a deux ans, assumait encore sa position d’artiste émergent intégré au programme de soutien Émergences du 3CL. Aujourd’hui, de projet en projet, se décline une position plus nette dans sa recherche stylistique, narrative et chorégraphique. Une quête d’identité artistique, montrant des formes nouvelles qui commencent à s’ancrer fortement et durablement sur la scène de la danse contemporaine luxembourgeoise.
En première au Mierscher Kulturhaus le 5 juin dernier, voilà un moment que Giovanni Zazzera, ses cinq interprètes et le reste de l’équipe, peaufinent cette création. Une recherche autour de la chute, des manières de « tomber » : en amour, de haut en bas, de droite à gauche, sur un public enthousiaste ou pas, sur un succès ou une tuile. En fait, la myriade d’éléments de recherche que provoque Until you fall donne le vertige, car, outre le fait physique qui incombe à notre statut d’humain logé sur terre, la chute est une notion aussi philosophique que poétique, absurde ou drôle. Aussi, dans ce dernier spectacle, Giovanni Zazzera rappelle que dans la banalité d’une chute, la pesanteur force la grâce des interprètes. De leurs gestes et mouvements, les trois danseurs et deux danseuses choient. Constamment renversés, volontairement ou non, ces actions ou accidents provoquent la grammaire de l’histoire contée, celle que Zazzera a écrite par les corps, ceux-ci donnant sens par leurs chutes, multiples et redondantes, pour que finalement tout s’écroule autour d’eux, comme pour boucler la boucle.
Chez Zazzera, « la chute » trouve ainsi une dimension narrative étonnante, bien plus que sa fonction chorégraphique, qui, pour le coup, n’a rien d’original tant cette recherche est omniprésente dans la danse. Si la gravité terrestre force le pas aux créatifs de la danse, voilà plusieurs décennies que nombre d’entre eux problématisent « la chute ». Du lâcher prise à l’abandon du corps chez Yoann Bourgeois, en passant par un travail sur la verticalité chez Mourad Merzouki, ou bien d’autres préoccupations chez la plupart des grands chorégraphes contemporains, la chute représente en danse, un objet de questionnement en réappropriation constante. Et c’est là que se situe Zazzera, dans une nouvelle interprétation d’un thème qui induit, outre la maitrise du geste en tant que tel, une connaissance de l’usage du sol. Parce qu’une chute en danse est inévitablement tournée vers le risque d’atteindre le sol et les conséquences qui en découlent. D’ailleurs, comble du comble, l’un des artistes-interprètes a chuté le week-end dernier au théâtre d’Esch-sur-Alzette, sa blessure engendrant l’annulation de la représentation du lendemain… Un aléa du spectacle vivant qui survient comme une réponse pragmatique à la problématique artistique en présence.