Rabbit Hole de l’Américain David Lindsay-Abaire, récompensée en 2007 du Prix Pulitzer puis adaptée par l’auteur au cinéma, marque la rentrée du Théâtre ouvert Luxembourg (Tol), dont la saison est placée sous le signe de l’enfance. Véronique Fauconnet, qui retrouve cet auteur contemporain dont elle a monté en 2013 Des gens bien, en signe la mise en scène avec un bon quintette de comédiens et comédiennes. Pari réussi.
David Lindsay-Abaire s’empare avec profondeur et humour du difficile thème de la douleur et du chagrin, de la perte et du deuil ainsi que du long processus de reconstruction qui les accompagne, à partir de l’histoire d’un couple déchiré par la mort de son enfant de quatre ans. Il observe en même temps, lucidement, la société, ses clivages, ses croyances. Comment survivre à la douleur, vivre avec son chagrin (« Maman, ça s’en va un jour ? » demandera le personnage principal), partager celui de l’autre, se reconstruire individuellement et collectivement ? L’auteur nous fait entrer de plain-pied dans le quotidien aussi ordinaire que singulier d’un couple, huit mois après le drame...
Ce couple c’est Becky (convaincante Colette Kieffer dans un rôle de mère douleur) et Howard (Jérôme Varanfrain très crédible en père qui s’accroche aux souvenirs mais veut avancer) que tout semble éloigner : elle, effaçant les traces du passé (elle range les affaires de Danny, décroche ses dessins, veut déménager), lui, redonnant vie à ce passé (il ne cesse de visionner la vidéo avec Danny et le chien). Ce « huis clos » s’épaissit de liens familiaux inextricables, avec Izzy (attachante Caty Baccega), la sœur de Becky que personne n’a vu grandir alors qu’elle révèle sa grossesse et Nat (Monique Reuter dans un rôle borderline), leur mère qui accumule les chagrins mais trouve refuge dans les histoires des autres. Un univers marqué par des situations décalées, des répétitions (le coup de poing d’Izzy dans le bar, la gifle de Becky dans le supermarché) et des révélations progressives.
Dans cet environnement familial rude, où chacun essaye tant bien que mal d’exister et où les relations sont traversées de mots crus, de non-dits, de maladresses, d’incompréhensions et de violences, surgit Jason (jeune et prometteur Romain Gelin), lycéen impliqué malgré lui dans la mort de Danny. Un long chemin attend ce petit monde de solitudes avant qu’il ne puisse se relever et se reconstruire ensemble. Rabbit Hole, ce sont aussi ces « univers parallèles » et ces milliards de probabilités décrits par Jason dans sa nouvelle de science-fiction qui renvoie à sa propre expérience de la perte (la recherche du père).
La mise en scène sobre et efficace de Véronique Fauconnet parvient à créer un espace propice au développement des personnages et favorise l’alternance entre scènes survoltées et scènes intimistes comme cette belle séquence à double voix qui réunit Becky et Jason autour d’une lettre ou la scène finale des retrouvailles : « Qu’est-ce qu’on va faire après ? » demande Becky, « Après, je crois qu’on trouvera ? », répond Howard. Pour marquer le passage du temps et le besoin de respirations, Véronique Fauconnet a judicieusement opté pour des fondus au noir et une musique sacrée de Vivaldi, d’abord dans sa version classique, puis dans une variation jazz. Sur scène, le décor unique (de Jeanny Kratochwil), une chambre d’enfant avec son petit lit, sa petite table, ses petites chaises et ses giga animaux peints qui happent le regard, se transforme au fil de l’évolution des personnages.
La cuisine, espace central, restera hors champ tout en étant omniprésente à travers les mets qui en sortent. Cette cuisine-là tisse des fils tenus avec la mémoire, les émotions, les manques affectifs mais aussi avec le partage, la transmission et la résilience. Du début à la fin de Rabbit Hole, il est question de saveur et de goût, de sucré et de salé, de la crème caramel de Becky au pain de courgettes des amis en passant par le gâteau d’anniversaire, les madeleines au citron, le chocolat en poudre... Rabbit Hole, un spectacle grave saupoudré d’humour qui est une belle réflexion sur le cours de l’existence. À voir !