Banque privée

Corrosion au vinaigre

d'Lëtzebuerger Land vom 21.01.2010

Si le Luxembourg donne généralement une assez mauvaise image de lui à l’étranger et parfois exagérément caricaturale, les introspections de ses acteurs ou de ses dirigeants politiques relèvent aussi des mêmes images d’Épinal qu’ils prétendent combattre, réduisant les critiques qui viennent de l’extérieur à des pures manifestations de rancœur. C’est parce qu’ils sont jaloux du succès de sa place financière que les détracteurs du Luxembourg fustigent le secret bancaire, entend-on ainsi souvent dans la bouche des opérateurs du secteur financier. Le regard peu complaisant qu’a porté cette semaine un avocat de l’étude Allen [&] Overy, Me André Marc (lire aussi page 11), sur l’avenir du centre financier et de son industrie phare, la gestion de fortune, tranchait donc avec le discours lénifiant qui est habituellement servi à la presse du pays pour la prendre à témoin de la partialité des critiques.

Les clients des banques privées sont vieux et leur propension à la transparence plutôt limitée. L’attitude des autorités relativement pusillanime face à des investisseurs non traditionnels, comme les fonds de private equity, qui montrent un intérêt grandissant au rachat de banques privées, délaissées par certains groupes soucieux de leur bonne réputation (il n’est pas bon de conserver des filiales dans des pays présentés comme des « paradis fiscaux ») ; le discours du politique marqué par une certaine équivoque : un coup, je dis tout haut que l’ère post-secret bancaire est arrivée et qu’il faut passer à l’étape suivante, un coup je renie mes propos et je revendique fièrement, à coup de tribune dans la grande presse internationale, le maintien au niveau de l’UE de la retenue à la source et de facto celui du secret bancaire.

Dans une caricature récente du Canard Enchaîné, un homme mourant prodigue un dernier conseil à ses trois héritiers : « Ne vous laissez pas avoir par Bercy (ministère français de l’Économie et des Finances, ndlr). Ne déclarez jamais l’héritage que je vous ai planqué en Suisse ». Le client type des banques luxembourgeoises ne ferait pas honte à ce portrait avec sa moyenne d’âge « relativement élevée » (67 ans) et une propension qui l’est moins de déclarer ses comptes cachés au grand-duché. « Selon les déclarations officieuses des banquiers, la proportion de l’argent discrètement placé au Luxembourg reste relativement importante, entre 40 et 60 pour cent », relève André Marc.

Ce qui fait la différence entre cette image caricaturale et la réalité du terrain luxembourgeois, c’est que les héritiers s’empressent de sortir les fonds du Luxembourg et que par ailleurs les gestionnaires de compte eux-mêmes n’entretiennent pas le moindre contact avec eux. « La proportion de nouveaux clients est relativement modeste », souligne l’avocat, en mettant ainsi en exergue le caractère plutôt « précaire » du business du private banking et le degré peu élevé de la sophistication des produits, ce qui constitue un repoussoir supplémentaire pour les héritiers, selon Me André Marc qui se dit « un peu soucieux » de l’avenir de la place. D’autant que les clients, rendus « extrêmement nerveux » par certains discours des dirigeants politiques (celui par exemple de Luc Frieden en septembre, où il a appelé les banquiers luxem-bourgeois à se préparer à l’ère post-secret bancaire), n’ont pas la moindre hésitation de faire des retraits massifs de capitaux. Le mouvement serait « relativement cyclique », selon l’avocat.

L’érosion de la clientèle de la banque privée ne s’explique pas seulement par son profil, mais aussi par la pression internationale qui pèse sur les dirigeants des filiales des banques ainsi amenés de jouer sur les coûts, tailler dans les effectifs, externaliser des services vers l’étranger et sacrifier certains clients. « J’ai des clients, raconte André Marc, qui, sous la pression de leur maison-mère, envisagent de réduire le nombre de clients de taille modeste, ces clients étant considérés comme peu honnêtes du point de vue fiscal ».

Ces changements de paramètres vont sans doute obliger la Commission de surveillance du secteur financier à revoir sa manière de fonctionner, notamment dans la sélection qu’elle fait des actionnaires des banques privées. Jusqu’à présent – et en tout cas avant la crise –, l’autorité de contrôle faisait la fine bouche face à des candidats à la reprise d’établissements. Le naufrage de la banque Kaupthing et sa reprise par une famille britannique (dont le groupe est toutefois soumis à une surveillance réglementaire en Grande-Bretagne) a ouvert une brèche dans l’approche jusqu’àlors très timorée de la CSSF (le régulateur exige qu’une banque luxembourgeoise soit adossée à un actionaire institutionnel et si possible bancaire). L’intérêt que montrent des fonds de private equity au rachat de banques devrait la pousser à se montrer davantage pragmatique dans ses exigences. Une flexibilité dont le régulateur a d’ailleurs fait une règle de conduite en matière de contrôle prudentiel.

Véronique Poujol
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