Le gouvernement vient de déposer le projet de loi pour la construction du nouveau centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, destiné à accueillir jusqu’à 400 prévenus. Et à décharger Schrassig

La prison des présumés innocents

d'Lëtzebuerger Land vom 28.02.2014

Quel est le prix qu’une société est prête à payer pour améliorer les conditions de détention de ceux dont elle s’accorde à dire qu’il faut les punir pour un crime en les privant de ce bien absolu, impayable, qu’est la liberté ? 155 millions d’euros ? 390 000 euros par place de détention ?

À peine le projet de loi n° 6655 « relatif à la construction du centre pénitentiaire d’Uerschter-haff » déposé et rendu public, la semaine dernière, Paperjam.lu titrait : « Une prison qui coûte cher », s’interrogeant entre autres sur les frais d’exploitation annuels de 26 millions d’euros par an, le double, insiste la newsletter économique, du coût d’un détenu en France. Mercredi 26 février, lorsque le ministre du Développement durable et des Infrastructures François Bausch (Déi Gréng) présenta le projet plus en détail devant la commission parlementaire, plusieurs députés se renseignaient également si la capacité prévue de 400 prisonniers n’était pas exagérée, et l’idée est proche de proposer de construire plus petit, ou en plusieurs tranches (comme ce fut proposé il y a quelques années pour les Archives nationales à Belval, finalement entièrement avortées). « On ne va certainement pas construire en plusieurs tranches ! insiste pourtant le ministre vis-à-vis du Land. Je trouve ce projet extrêmement important et je le soutiens à cent pour cent. Le programme de construction nous vient du ministère de la Justice, mais il faut savoir que la conception d’une prison n’est jamais bon marché, car les équipements de sécurité sont très coûteux. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’on parle des conditions de vie d’humains ici ! » François Bausch est extrêmement pressé et imagine tout à fait que le projet de loi puisse encore être voté en séance plénière d’ici les vacances de Pâques et la phase des appels d’offres commencer après l’été. L’avis du Conseil d’État, très concis et sans critiques, a été déposé avec le projet de loi.

Un défi vert Il est vrai que, outre le coût qui peut faire peur, le projet réunit toutes les conditions pour pouvoir passer comme une lettre à la poste. D’abord parce que le ministre de la Justice Felix Braz, son homologue aux Infrastructures et les présidentes des commissions parlementaires du Développement durable, Josée Lorsché, et juridique, Viviane Loschetter, sont tous écolos. Un parti qui, depuis toujours, milite pour une exécution des peines plus humaine – pour laquelle des conditions de vie décentes sont la première question à régler alors que le centre pénitentiaire de Schrassig est chroniquement surpeuplé depuis dix ans au moins, accueillant souvent plus de 700 prisonniers dans une structure conçue pour 600 personnes au maximum. Dans ces conditions-là, impossible de concevoir des activités comme une formation pour les détenus en vue de leur resocialisation ou des activités sportives et récréatives un tant soit peu censées. En outre, Schrassig accueille aussi bien des condamnés, donc reconnus coupables par la société, que des retenus, soit des personnes soupçonnées d’un crime, mais présumées innocentes jusqu’au verdict de leur procès – un amalgame qui est toujours critiqué par les organes internationaux, notamment le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe. Le rapport entre condamnés et prévenus est de l’ordre de soixante contre quarante pour cent (chiffres : 2012), une proportion assez élevée de prévenus en comparaison des normes européennes.

Austérité ? Le Premier ministre Xavier Bettel (DP) ne devrait pas non plus avoir de réticences majeures contre le projet de construction, car du temps de ses débuts comme avocat et député, il fréquentait assidûment la prison de Schrassig et s’était même plusieurs fois retrouvé dans des situations rocambolesques comme d’être enfermé dans le sas de sécurité à cause de déficiences techniques lorsqu’il devait sortir du bâtiment, ce qui lui avait même inspiré des questions parlementaires à l’époque. Toutefois, une des questions majeures qui sera tranchée ces jours-ci dans le cadre de la finalisation du budget d’État pour 2014, qui sera déposé mercredi prochain, 5 mars, est celle de l’exploitation de ce nouveau centre pénitentiaire, plusieurs variantes d’encadrement ayant été calculées et budgétisées. Or, le concept décentralisé d’Uerschterhaff n’est réalisable qu’avec le personnel nécessaire : le projet de loi n°6382 sur la réforme pénitentiaire parle de 328 personnes à recruter pour le nouveau centre, dont 221 agents pénitentiaires. Or, en temps de rigueur budgétaire, le premier poste à être limité est souvent celui sur les cadres de personnels.

Coté socialiste, troisième parti au gouvernement, l’adhésion pourrait ressembler à celle de Georges Engel, député-maire de Sanem, premier défenseur de l’accueil de cette prison sur le territoire de la commune (Uerschterhaff fait partie de Sanem). « Depuis les débuts, nous avons régulièrement été tenus au courant de l’évolution du projet par les responsables des différents gouvernements, en gros tous les quatorze mois. C’est moins souvent que ce que nous aurions aimé, mais c’est quand même régulier,… » concède-t-il, assez fier d’avoir pu, en un long travail de persuasion et d’explications, obtenir l’adhésion de tous les partis de Sanem à l’accueil de la prison – et ce malgré l’opposition au début d’un certain nombre de citoyens, notamment un comité d’action appelé Sak (Suessemer Aktiounscomité), qui a disparu depuis. Une dernière réunion avec François Bausch a eu lieu il y a un mois, afin de régler des questions essentielles pour Sanem comme la construction des nouvelles routes et ronds-points de et vers le site du futur centre pénitentiaire, ou, aussi, la confirmation que ce gouvernement entend honorer les engagements du précédent gouvernement quant aux compensations matérielles équivalentes à vingt millions d’euros pour la commune. Les dernières questions des édiles locaux concernaient des points de détail comme la hauteur de l’enceinte extérieure, l’intégration des bâtisses dans l’environnement ou les procédures de reclassement des terrains. « Mais en fait, même si la fonctionnalité du bâtiment diverge un peu, résume Georges Engel, nous le traitons comme tous les autres projets de construction. »

Projet Biltgen Du côté du plus grand parti de l’opposition, le CSV, on ne doit pas non plus s’attendre à des critiques fondamentales de ce projet, puisqu’il remonte au mandat de François Biltgen à la Justice et à sa grande réforme pénitentiaire lancée et 2008 – et laissée en friche avec son départ pour la Cour de justice des communautés européennes. Après un an de travaux intenses, la commission juridique n’a plus discuté ce grand projet depuis janvier 2013. Pourtant, le centre pénitentiaire Uerschter-haff est une pièce essentielle de ce grande puzzle de la réforme, permettant entre autres de décharger Schrassig et d’y réorganiser la vie des détenus de fond en comble. Le ministre Felix Braz a fait de cette réforme et de la nouvelle prison une de ses priorités et a commencé à faire le tour de tous les acteurs afin d’avoir une image aussi complète que possible des besoins sur le terrain. La présidente de la commission juridique Viviane Loschetter insiste quant à elle sur le fait qu’il s’agit d’un dossier prioritaire pour la majorité, qui sera repris sur le métier de la commission dans les prochains mois.

Une prison moderne Même si, de l’extérieur, le projet de construction en hexagone rappelle un fort Vauban et a des airs de panoptique à la Bentham (XVIIIe siècle), incarnant le pouvoir de l’État, dont Michel Foucault a fait la critique philosophique dans son Surveiller et punir, le nouveau centre pénitentiaire a un fonctionnement fondamentalement différent. En effet, du côté de l’hébergement des prévenus, le nouveau bâtiment est subdivisé en quatre pavillons identiques comprenant en tout 36 « groupes d’habitation ». À chaque étage de chaque bâtiment, ces groupes identiques sont composés des cellules, d’une pièce pour les occupations et d’un séjour dans lequel sont également pris les repas. Finies les grandes cours où se retrouvent tous les détenus pour former un magma incontrôlable dans lequel la violence et la criminalité se propagent à la vitesse grand V qu’aiment à dépeindre les films sociaux. Ici, chaque groupe a un accès aux cours de promenade sur le toit de chacun des quatre bâtiments.

Avec cette prison, le Luxembourg se reconnecterait avec les normes internationales en matière de détention, introduisant entre autres la possibilité de visites non surveillées dans des parloirs individuels ou voulant réduire le confinement individuel au « strict minimum inévitable ». Ce qui s’impose « d’autant plus dans une prison visant à héberger des personnes placées en détention préventive qui, jusqu’à leur condamnation, sont présumées innocentes », lit-on dans l’exposé des motifs du projet de loi. Pour cette raison aussi, les détenus doivent pouvoir accéder à un maximum d’activités : une salle de classe, une bibliothèque, un gymnase et une salle de sport sont prévus. Les détenus ne doivent être placés temporairement dans l’unité sécurisée que si, par leur comportement, ils « présentent un danger pour eux-mêmes, pour d’autres détenus ou pour le personnel ». En outre, pour des raisons de rationalisation – comme d’éviter des allers/retours hautement sécurisés à répétition vers la Cité judiciaire –, des bureaux spéciaux pour mener des interrogatoires avec les prévenus durant l’instruction préparatoire sont prévus sur place.

Dans le bâtiment central sera logé l’administration et le personnel, alors qu’une unité de garde et de réserve mobile de la Police et un centre de formation pénitentiaire pour la formation initiale et continue du personnel de surveillance seront installés dans un bâtiment devant l’entrée. Afin de prévenir les violences et surtout les évasions, le système de sécurité combine un mur d’enceinte d’une hauteur de six mètres et des obstacles mécaniques, des systèmes d’alarme et de détection électroniques ou encore un système intégré de commande des portes et des sas d’entrée et de sortie. L’idée étant toujours que les équipements doivent être tels que le personnel de surveillance peut se consacrer sereinement à l’encadrement des détenus, sans constamment devoir avoir les yeux partout et se soucier sans cesse de possibles évasions. Contrairement à la prison de Schrassig, où il pouvait arriver que des détenus futés construisent des étagères dans l’atelier de menuiserie – pour mieux les transformer en échelles par la suite.

Architecture fonctionnelle L’exposé des motifs du projet de loi insiste également sur les qualités architecturales du projet, optant pour « un langage simple et intemporel » avec un minimum de matériaux différents : des « bâtiments massifs exprimant durabilité et solidité », avec des éléments porteurs en béton vu, alors que l’hébergement et l’administration seront dominés par « une atmosphère agréable et conviviale, créée au moyen d’une finition lisse de teinte claire ». Comme tout bâtiment public qui se respecte, le centre pénitentiaire d’Ueschterhaff aura recours aux énergies renouvelables et répondra aux exigences écologiques actuelles. Néanmoins, la description des aménagements extérieurs, notamment les « prairies fleuries », les « surfaces de végétation spontanée autour du biotope » ou les « plantations d’arbres indigènes » semblent, sinon sarcastiques, au moins ironiques, alors qu’il s’agit d’agrémenter une infrastructure dont le but même, celui de priver des individus de leur liberté, est à l’opposé de ce bucolisme.

josée hansen
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