Éditorial

« Fly high »

d'Lëtzebuerger Land du 22.08.2025

Alors que le sud de l’Europe est en feu, rtl.lu s’interroge : « Bëschbränn am Ausland – Wéini dierf ech meng Vakanz gratis annuléieren ? ». L’Union des consommateurs recommande aux voyageurs de contacter leur tour opérateur : « Argumentez que vous ne vous sentez pas à l’aise de voyager vers une destination frappée par des feux forestiers ». Des méga-incendies ravagent le pourtour méditerranéen, du Portugal à la Turquie, en passant par l’Aude et le Péloponnèse. Depuis le début du mois, quelque 350 000 hectares de végétation ont brûlé en Espagne, quasiment une fois et demie la surface du Grand-Duché.

Aux futurs historiens, les catalogues de Luxair-Tours fourniront un vaste corpus pour analyser le déni climatique. « Cet été laisse entrevoir des perspectives aussi délicieuses que chaleureuses », promet l’édition 2025. La version « Excellence » (« un monde de privilèges ») s’adresse aux clients « les plus exigeants », souhaitant « travailler [leur] swing sous le soleil ». La crise climatique n’est évidemment pas évoquée sur les centaines de pages de prose publicitaire. Le mot « climat » est affublé d’adjectifs rassurants comme « clément » (Costa del Sol) ou « doux » (Portugal). Des « tableaux climatiques » renseignent sur les « températures maximales » pendant l’été. Selon Luxair-Tours, celles-ci se situeraient à 27 degrés pour Agadir, 28 pour les Pouilles, 29 pour Majorque ou 31 pour la Sicile. Des prétendues moyennes que les extrêmes des dernières années ont fait exploser.

En 2024, le nombre de voyageurs de Luxair-Tours a connu une hausse de sept pour cent. Dans les brochures 2025, les eaux sont invariablement « translucides », les plages « immaculées » et les villages « authentiques ». Aux employés hôteliers, on certifie un sens inné de l’hospitalité, qu’elle soit « inimitablement » grecque ou typiquement turque, « à l’italienne » ou puisant dans les « profondes traditions » de l’Égypte. Au fil des pages, les complexes et resorts « all inclusive » se suivent et se ressemblent. Malgré cette monotonie, Luxair-Tours promet « un suivi personnalisé » : « Sirotez votre cocktail YOU dès votre arrivée ». Les destinations proposées pour l’été sont exclusivement situées dans le Sud. Le catalogue continue à célébrer les complexes balnéaires surdimensionnés de la Mer Rouge aux Îles du Cap-Vert, en passant par un bassin méditerranéen en surchauffe. Le dernier rapport annuel constate « une forte demande pour les voyages de loisirs vers des destinations-clés comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal ».

La classe moyenne affiche, elle, ses résidences secondaires sur Facebook. Le groupe « Lëtzebuerger verlounen an lounen Vakanzenhaiser » compte près de 13 000 abonnés. On y retrouve une villa en Tunisie avec piscine, « mega safe ». Ou une maison à Madère avec « infinity pool, jacuzzi, sauna… » le tout « voll klimatiséiert, WiFi iwerall ». Ce lifestyle trouve son expression la plus aboutie dans l’œuvre d’Amal Blue, pseudonyme d’une enseignante cinquantenaire. Dans ses romans publiés à compte d’auteur (par exemple Kerosin in den Rollen, Work Hard – Fly High) et sur son blog (Look & Luxury), elle décrit ses séjours dans des resorts de luxe sur les îles Fidji et à Bali, ou dans les grands hôtels des métropoles les plus bling-bling. Le Centre national de littérature lui dédie une des 1 573 entrées de son Dictionnaire des auteurs : « Les destinations, surtout Dubaï, Shanghai et la Suisse, se voient érigées en modèles tournés vers l’avenir par rapport à une Union européenne dépeinte comme à bout de souffle en raison d’une politique d’immigration libérale, de la dégradation des valeurs […]. L’autrice marque également un intérêt pour la chirurgie esthétique. »

Tout en promettant que ses nouveaux avions seront moins émetteurs (et moins bruyants), Luxair se plaint des « pressions réglementaires constantes », notamment de la tarification européenne du carbone, qui menaceraient le secteur. Avec ses offres « Metropolis », la compagnie aérienne tente d’inciter ses clients : « Évadez-vous le temps d’un week-end, rentrez chez vous l’esprit reposé ». Quitte à lâcher des centaines de milliers de kilos de CO2 dans l’atmosphère, serait-on tenté d’ajouter. Si on voulait sérieusement atténuer le réchauffement climatique, on devrait limiter son budget annuel à deux tonnes de CO2. (Le Luxembourgeois moyen en produit actuellement treize tonnes en moyenne, neuf si on en déduit le tourisme à la pompe.) Or, un aller-retour vers Majorque produit, à lui tout seul, plus d’une demi tonne de CO2. Pour compenser ce déplacement, peut-on calculer sur lemonde.fr, il faudrait soit diminuer son chauffage pendant plus de quatre ans, soit manger végan durant neuf mois, soit abandonner la voiture pendant trois mois. Mais quoique littéralement brûlante, la question climatique est passée au second plan. Ce backlash, Luxair-Tours l’avait pressenti dès 2020, en lançant sa campagne publicitaire « Friday for holidays ». Une manière symbolique d’enterrer Fridays for future.

Bernard Thomas
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