54 degrés Celsius sur les dalles en plein soleil, mais 33 à deux mètres de là, sous l’ombre d’un arbre. Ces données ont été obtenues le 1er juillet dernier par le Mouvement écologique grâce à une caméra thermique installée au croisement de la rue du Commerce et de la rue de Strasbourg, dans le quartier de la Gare à Luxembourg-Ville. Le 28 août 2024, la même expérience a été réalisée sur le Knuedler. L’amplitude était similaire : 40 degrés Celsius sur la place et 20 à l’ombre des feuillus.
« Entre 1990 et 2020, le Luxembourg connaissait en moyenne 7,6 jours de canicule par an. Les prévisions réalisées en fonction des différents scénarios du Giec indiquent qu’en 2100, il y en aura entre vingt et soixante », explique Bruno Alves, attaché de gouvernement auprès du ministère de l’Environnement. Il ajoute que non seulement les températures moyennes vont s’élever, mais que les vagues de chaleur seront plus intenses et plus fréquentes.
En juin 2024, le List a publié une étude bioclimatique portant sur les onze communes du syndicat Prosud. Le Minett a été divisé en carrés de cinq mètres de côté, ce qui a permis de localiser précisément les îlots de chaleur et les flux d’air frais. Sans surprise, ce sont les villes qui souffrent le plus de l’évolution du climat. « Les conditions les plus défavorables surviennent sur les places imperméabilisées sans ombrage », indique le rapport, donnant en exemple la place du Marché d’Esch-sur-Alzette.
À contrario, « les grandes forêts ou zones boisées jouent un rôle important comme zones de production d’air frais où se forme un air riche en oxygène et peu pollué ». L’eau atténue également la force du rayonnement solaire. « Les plans d’eau ont un effet rafraîchissant sur leur environnement durant la journée, surtout lorsqu’ils sont en combinaison avec une végétation suffisamment haute », précise l’étude.
Ces données interrogent notre capacité d’adaptation au changement climatique. Des exemples récents de transformations très minérales viennent en tête, comme la place de Paris, le Knuedler ou le Ban de Gasperich à Luxembourg. Pierre Schmitt, délégué à l’environnement de la capitale, tente de relativiser : « Lorsqu’on me parle du réchauffement climatique et qu’on me dit qu’il fait chaud sur le Knuedler, je trouve cela un peu simpliste. Les îlots de chaleur sont un aspect du problème, mais ils sont loin d’être les seuls ».
En compagnie du premier échevin, Maurice Bauer (CSV), qui occupe le ressort de l’Environnement, il explique l’intérêt d’un futur « Plan climat », qui sera lancé à la rentrée et finalisé l’année prochaine. Il revient aussi sur un nouveau concept de verdissement de la capitale, réalisé à partir de cartes reprenant les températures relevées par satellites et éditées par la start-up Weo. Les résultats de cette étude (réalisée par le bureau Zeyen+Bauman) n’ont pas encore été divulgués, mais Maurice Bauer indique que 35 sites sont classés prioritaires. Pour en savoir davantage, il faut attendre. « Nous présenterons le concept dans quelques mois au conseil communal. Il doit d’abord être examiné par le conseil échevinal, qui fera sans doute quelques modifications. »
Pierre Schmitt reconnaît toutefois un raté : le Ban de Gasperich. « Si c’était à refaire, on prendrait certainement d’autres décisions. Pendant les travaux, avec le service de l’Urbanisme, nous nous sommes dit ‘ Waouh… ». Sa moue est explicite, il s’agit davantage de sidération que d’exaltation. « Nous avons voulu être généreux sur le plan de la mobilité – avec la route, le tram, les pistes cyclables et les trottoirs –, mais c’est devenu énorme. » Ces immenses surfaces scellées empêchent l’émission de vapeur d’eau dans l’atmosphère depuis le sol et la surface des végétaux, un phénomène qui rafraîchit l’air. Il reconnaît avoir été ébloui par la présentation d’excellentes certifications environnementales par le promoteur : « L’ensemble du quartier a reçu le label ‘DGNB Or’ [Deutsche Gesellschaft für Nachhaltiges Bauen]. Certains secteurs ont reçu des certifications BREEAM ‘Very Good’. Cela devait nous garantir que le quartier serait durable et prendrait en compte les standards environnementaux les plus élevés. »
Maurice Bauer admet qu’il aurait été possible d’inclure plus d’espaces verts, mais rappelle la présence à proximité du nouveau parc de Gasperich, « le plus grand de la ville ». Il relève que la Cloche d’Or bénéficiera peut-être des efforts prochains de verdissement, « mais nous attendrons sûrement que l’ensemble du quartier soit achevé ». Il indique aussi que la Ville est sur le point d’y acheter un terrain pour construire une piscine qui pourra être découverte. « Beaucoup de gens l’attendent », sourit-il.
À Belval, des arbres à la place des routes
La comparaison avec Belval est intéressante. Sur la carte bioclimatique du List, le quartier est en rouge tellement il y fait chaud lors des canicules. Mais contrairement au Ban de Gasperich, construit sur des terres arables, le scellement n’est ici pas un choix, mais une contrainte, tant les sols de Belval étaient contaminés. Agora, qui pilote l’urbanisation du quartier, est conscient du problème. « Le quartier n’a que 25 ans, mais nous préparons déjà des adaptations », explique Yves Biwer, directeur-coordinateur de la société de développement. Il va profiter de l’arrivée du tram rapide prévue pour 2035 pour repenser la voirie. « À l’époque, Belval a été conçu autour de la voiture, c’était même un argument pour valoriser le quartier par rapport à Luxembourg. Aujourd’hui, on arrête complètement cette politique autour de la voiture pour nous recentrer sur le bien-être des citoyens. »
L’avenue de la Porte de France (devant le Belval Plaza) mène à un parking souterrain. Pourtant, elle se compose de deux fois deux voies de circulations avec une bande de parkings de chaque côté. D’ici dix ans, elle deviendra une simple rue à double sens. « Le sol sera occupé par de la végétation, des arbres et des coins d’ombre », promet Alexandre Londot, directeur des opérations d’Agora. Et puis, Belval n’est pas encore terminé. « Tout le front du parc reste à construire et l’idée est de faire rentrer les espaces verts dans la trame urbaine. Ce n’était pas prévu dans les plans initiaux ».
Les représentants d’Agora expliquent que le développement de Belval a pris une nouvelle dimension avec la création il y a quelques années d’un « jumeau numérique ». « Il nous permet de simuler différentes configurations pour l’emplacement et l’orientation des bâtiments. Cela nous permet de voir, par exemple, si nous ouvrons ou fermons des corridors d’air avec de nouveaux immeubles », avance Yves Biwer.
Les leçons apprises à Belval servent aussi à la planification de Metzeschmelz, une friche à la frontière entre Esch et Schifflange dont le début des travaux est espéré pour 2028 et l’arrivée des premiers habitants pour 2030 ou 2031. Elle aussi possède aussi son twin digital. « Nous l’avons par exemple utilisé pour simuler l’ombre produite par les immeubles sur les espaces publics, ce qui est utile pour éviter les surchauffes en été ».
La réhabilitation de cet ancien site industriel se complète d’une renaturation de l’Alzette, qui jouera un rôle bioclimatique important en apportant de l’air frais. Les plans ont été adaptés pour guider ces flux à travers le quartier.
Si bon nombre de toits de Belval sont recouverts de sedum, une plante rustique qui ne nécessite pas d’entretien, la proportion sera encore supérieure à Metzeschmelz. « Au moins cinquante pour cent de la surface du site sera verte », promet Yves Biwer. Il compte ici à la fois les espaces verts (peu nombreux tant le site sera dense) et les toitures. Végétalisées, ces dernières sont utiles pour rafraîchir l’air, mais aussi pour retenir les précipitations, un atout important dans ces endroits où le sol ne peut pas les absorber.
Car à côté de la chaleur, l’eau est l’autre enjeu décisif. Bruno Alves, du ministère de l’Environnement, explique : « Les crues subites vont augmenter, c’est physique. Pour chaque degré de température en plus, les nuages absorbent sept pour cent d’humidité supplémentaire. Donc plus il fait chaud et plus les nuages sont chargés d’eau. »
Les renaturations des rivières permettent de retenir de grandes quantités d’eau de pluie avant qu’elles arrivent en ville. Le descellement des surfaces urbaines imperméabilisées, quand il est possible, est une autre option. En développant le concept de ville-éponge, Mondorf-les-Bains est pionnière. Le premier projet concerne la place des Villes jumelées, devant l’Hôtel de ville. Construite en 2006, il s’agit d’une grande plaque pratiquement sans ombre. « L’été, on peut à peine la traverser, c’est intenable », relève le bourgmestre Steve Reckel (DP).
En septembre, le projet sera présenté au conseil communal. Plusieurs places de parking seront remplacées par des espaces verts. Une petite forêt sera plantée à côté d’une aire de jeux thématisée autour de l’eau. Un pavillon dont le toit sera végétalisé donnera de l’ombre. Partout où ce sera possible, le sol sera descellé et un système récupérera les eaux de pluie pour les orienter vers les plantations. Le surplus partira dans les canalisations d’eau pluviale. « Nous avons planifié la place en fonction des plantes, alors que nous faisions l’inverse auparavant », dit Steve Reckel. Un projet similaire existe pour la cour de l’école, l’objectif étant de les multiplier.
Inciter, mais pas contraindre
Ces exemples sont des initiatives locales, car l’État intervient peu dans les règlements d’urbanisme. Le projet de modification de la loi sur la nature et les ressources naturelles souhaite bien instaurer au moins dix pour cent d’espaces verts (dont les trois quarts dans l’espace public, hors toitures) dans les futurs PAP nouveaux quartiers, mais cette proportion reste très faible et elle n’a été accordée « qu’en contrepartie de l’abandon de compenser la destruction de certains types de biotopes dans la zone urbanisée ou destinée à être urbanisée », comme le stipule l’exposé des motifs.
Dans la loi concernant l’aménagement communal et le développement urbain, l’État indique que « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal. » Parmi les critères évoqués dans l’article 2, on ne trouve pas celui de l’adaptation de l’urbanisme au changement climatique. Le ministère des Affaires intérieures relève toutefois à la demande du Land qu’« il n’en reste pas moins que certains objectifs servent aujourd’hui de base pour orienter les projets urbanistiques de sorte à les rendre plus résilients au changement climatique. » Il ajoute que le ministre est en mesure de refuser un projet de PAP « si celui-ci est manifestement contraire à l’article 2, notamment pour des raisons ayant trait à la résilience au changement climatique. »
Dans les faits, cela n’arrive jamais. Une plateforme de concertation interministérielle conseille les communes et les promoteurs lors de la conception des projets complexes. Cynthia Schneider et Nicolas Schmitz y participent pour le compte du ministère de l’Environnement. « Cette plateforme est informelle et se réunit à la demande des communes », souligne Cynthia Schneider. Il n’y a donc pas d’obligation, et d’ailleurs « la majorité des PAP nouveaux quartiers n’y ont pas recours », précise Nicolas Schmitz.
Les deux experts apportent des recommandations et proposent des solutions en s’appuyant sur des exemples existants. Mais sont-elles appliquées ? « C’est un peu le problème : on ne sait pas », reconnaît Nicolas Schmitz. « Nous perdons le projet des yeux puisque nous ne sommes pas inclus dans les procédures d’adoption. C’est peut-être un sujet à revoir : nous conseillons, mais nous n’accompagnons pas. »
Le même ministère travaille sur un document « Stratégie et plan d’action pour l’adaptation aux effets du changement climatique 2025-2035 », mais les 200 pages de ce rapport fouillé n’auront que l’importance que voudra bien leur donner le gouvernement.
La dynamique de l’adaptation au changement climatique se fait donc presque exclusivement par des mesures incitatives. L’échevin de la capitale Maurice Bauer synthétise : « Nous voulons mettre en place un cadre dans lequel les gens qui font des efforts seront récompensés. En tant que ville, nous montrons le bon exemple et incitons au changement, mais sans vouloir l’imposer. Certains partis ont essayé, ça a montré ses limites. »
Le Mouvement écologique aimerait que la réforme du règlement des bâtisses souhaitée par le ministère des Affaires intérieures soit l’occasion de matérialiser à l’échelle du pays une volonté politique claire. « Instaurer pour toutes les communes les mêmes critères de verdissement, les mêmes subventions pour ceux qui souhaitent installer des mares ou végétaliser une façade ou les mêmes règlements pour l’installation des panneaux solaires sur les toits des maison, ce ne serait pas toucher à l’autonomie communale, car l’identité des villes et des villages ne serait pas remise en cause », affirme Claire Wolff, responsable de la biodiversité et de l’environnement naturel au Méco.
Bien que les épisodes climatiques extrêmes se succèdent et qu’ils sont bien visibles, y compris sur le petit territoire du Luxembourg, peu d’élus sont prêts à lancer des politiques vraiment ambitieuses. Mais peut-être que la référence classique au rejet de l’écologie punitive deviendra plus difficilement tenable dans quelques années. Le ministère de l’Aménagement du territoire, appuyant une démarche de la Ville de Luxembourg, prépare actuellement un appel d’offre pour créer une carte bioclimatique à l’échelle nationale, selon la méthodologie utilisée par le List pour les communes du sud. Elle devrait être finalisée courant 2027 et mettra fatalement en évidence des situations qui ne seront pas agréables à voir pour tout le monde. Les discours ne pourront plus cacher les ratés, les non-sens urbanistiques. Alors, peut-être, il sera temps d’agir.