Droit d‘asile

La double peine des ex-demandeurs d’asile

d'Lëtzebuerger Land vom 21.01.2010

S’il est une pratique que toutes les démocraties tendent à annihiler dans leurs systèmes juridiques voire judiciaires, c’est bien la double peine. En droit pénal, la double peine est le fait de condamner deux fois une personne (morale ou physique) pour le même motif. Le Parlement européen a adopté le 12 avril 1989 la définition suivante du principe : « Nul ne peut être poursuivi ou condamné en raison de faits pour lesquels il a déjà été acquitté ou condamné ». On retrouve la même disposition dans les législations nationales.

Dans les pratiques judiciaires, la double peine consistait à condamner une personne à une peine principale qui sera assortie d’une autre, cette fois-ci subsidiaire et dépourvue de tout moyen de recours. Si nous nous plaçons sur le plan de l’immigration, l’illustration est assez intéressante. La pratique la plus répandue c’est la juxtaposition d’une peine de prison et le bannissement. Cela qui signifie qu’un immigré, détenteur d’un titre de séjour qui serait passible de peine de prison pour faits pénaux, verra cette peine de prison assortie d’une interdiction du territoire au terme de l’accomplissement de la peine principale.

Au fil des années et des évolutions juridico-judiciaires, et surtout grâce aux œuvres des associations engagées dans la cause des immigrés, et sous l’impulsion de l’Union européenne, les pays européens ont amorcé l’interdiction de ce genre de traitement envers cette catégorie de personne. Ce qui, en fait, est une discrimination par rapport à la nationalité, car un citoyen du pays d’accueil qui aurait commis la même infraction ne serait passible que de la seule peine de prison. Le bon sens voudrait qu’on choisisse entre les deux à la rigueur, soit la prison soit le bannissement.

Alors, comme si les autorités voulaient toujours marquer une certaine différence entre l’immigré et le citoyen, chose qui en fait est une évidence, elles empruntent d’autres voies, beaucoup plus subtiles, mais toujours aussi tordues qu’incongrues, pour stigmatiser l’immigré. Le plus exposé dans ces cas de figure, c’est le demandeur d’asile.

Si au grand-duché, les autorités ont décidé de réformer la politique d’immigration en général et d’asile en particulier, et vu toutes les séries de consultations et discussions qui ont eu lieu, c’est qu’à un moment donné, tout le monde a reconnu et convenu que les anciennes pratiques laissaient à désirer. Le plus poignant de tout concernait la durée de la procédure d’asile. La loi de 2006 a substantiellement raccourci la durée. On est passé d’une moyenne de quatre/cinq ans à six/douze mois. Chose que nous avions tous saluée tout en émettant le vœu que la pression d’une durée aussi courte n’aboutisse à des procédures expéditives.

Seulement, cette nouvelle durée ne peut que concerner les néo-arrivants après l’entrée en vigueur de la loi ; la non-rétroactivité n’étant admise. Le fait est que, à cette époque-là, la plus grande majorité des demandeurs d’asile avaient déjà passé des années au grand-duché. Que fallait-il faire ? Traiter leurs cas en priorité car le principe de délai raisonnable était applicable à leurs cas aussi. D’aucuns ont eu des annulations, d’aucuns le permis de séjour (effets de la fameuse « régularisation »), et une infime partie le statut de réfugié. Une autre catégorie s’est mariée et a bénéficié de carte de séjour.

Le problème qui se pose ici, autrement dit la double peine dont il est question, concerne les détenteurs de titre ou carte de séjour (régularisés et mariés). Même en matière pénale, si le présumé auteur d’une infraction écope d’une détention provisoire, à la fin du procès et s’il advenait qu’il fût condamné de peine de prison, la durée de la détention provisoire est soustraite de la peine totale. Il faut croire que le délinquant est encore mieux traité que les demandeurs d’asile détenteurs de carte de séjour. S’il en était autrement, comment oserait-on refuser de prendre en compte les nombreuses années que ces derniers ont perdues en procédure ?

La loi du 23 octobre 2008 sur la nationalité a fixé à sept ans la durée de résidence pour prétendre procéder à une demande de naturalisation. Cela reviendrait au néo-détenteur de titre de séjour ayant déjà passé cinq ans en procédure de vivre en tout treize ans au grand-duché avant de pouvoir entamer la procédure de naturalisation. C’est à croire qu’entre un demandeur d’asile et un sans papiers/clandestin, aucune espèce de différence n’existe. Je parie que le jour où une question préjudicielle sera posée au juge communautaire à ce propos – vu la bonne presse qu’a la célérité des procédures judiciaires/administratives du grand-duché devant les institutions communautaires compétentes – une condamnation du pays est très probablement envisageable pour cette « double peine ».

J’attire l’attention des juristes sur le sujet ; ils devraient remarquer cet état de chose et faire un travail à l’amont pendant la phase consultative de la loi d’octobre 2008. Beaucoup d’entre eux connaissent la question pour avoir défendu les intérêts de beaucoup d’immigrés concernés, que ce soit quand ils étaient en procédure d’asile ou après.

Des fois je me demande s’il arrive, à certains moments, aux faiseurs de loi de considérer l’humanité de ces personnes, s’il leur arrive de se mettre à leur place et imaginer la misère qu’est leur vie. Des gens qui perdent cinq ans, voire plus de leur vie en procédure, et ce à cause d’une administration défaillante, seraient eux-mêmes, in fine, seuls responsables de cette lenteur. La double peine, c’est justement écoper de cette durée irraisonnable, et comme assortiment, une fois détenteur de titre de séjour, l’ex-demandeur d’asile se voit ces années de procédure s’envoler comme par enchantement. C’est magique ! J’ai toujours pensé que la magie était fascinante ; si c’est comme cela, alors c’est plutôt malheureux.

Seul le réfugié reconnu a le droit à ce que ses années en procédure soient prises en compte. Pour le reste, il faut « résider régulièrement » ou être détenteur d’une autorisation de séjour et « avoir résidé effectivement ». Tout ceci est question d’interprétation. Les juristes – mêmes les politiques – ne diront pas le contraire ; sinon ce serait de la mauvaise foi. Quelqu’un qui passe cinq ans en procédure ne peut être taxé de non résident ou de sans papiers. Même s’il n’a pas réellement bénéficié d’un titre de séjour, il n’est pas un clandestin. Sa vie sur le territoire est officiellement autorisée – même si c’est au conditionnel – et est officiellement traçable. En plus il a vécu « effectivement » sur le territoire puisqu’il lui est interdit de le quitter.

Reconnaître ces années ne serait que du bon sens et surtout une solution équitable ; voire une reconnaissance de sa propre part de responsabilité dans la gestion notoirement lente des dossiers. Cela ne serait que justice. Dire que ces années ne sont pas reconnues car étant passées en procédure, c’est faire entorse à ce précepte juridique selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».

Si j’ai bonne souvenance, lors du lancement du Festival des Migrations de 2006, le ministre de l’Immigration avant participé à une conférence-débat justement à propos de la loi en préparation ; – j’avais fait l’observation à l’Association de soutien aux travailleurs immigrés quelques jours auparavant – j’avais alors demandé au ministre ce qu’il pensait de la question de la prise en compte des années passées en procédure d’asile par rapport à la demande de naturalisation. Il m’avait répondu que c’était tout à fait normal de les comptabiliser. Le résultat, nous le connaissons tous.

Je voudrais juste qu’on m’explique ce que cela coûterait vraiment aux politiques de permettre à ce que ces années soient comptabilisées. Si c’est pour éviter le fameux « appel d’air », les choses ne sont plus pareilles ; la durée d’étude des dossiers est désormais assez courte. L’accumulation des années n’est plus possible. Alors où se trouve le problème ?

Si on s’appelle Parti Chrétien Social, ce n’est tout de même pas pour du beurre. Le facteur religieux est important. Le Christianisme préconise l’amour du prochain et la justice. Elle nous demande d’être empathique et nous interdit de traiter autrui comme nous n’aimerions l’être nous-mêmes. Être socialiste à mon humble avis, c’est avant tout œuvrer pour la justice sociale. Cela devrait pousser à lutter pour le traitement égal des individus et surtout à défendre l’équité dans toutes les actions. Que ce soit l’un ou l’autre bord – je les cite juste parce que ce sont eux qui sont aux commandes – il y a assez d’éléments fondateurs ou fondamentaux pour que l’être humain et sa dignité soient au cœur des préoccupations et ce, quel qu’il soit.

Pourquoi laisser alors moisir des êtres humains des années durant en procédure officielle et leur signifier après coup que cette période n’existe pas ? Savez-vous réellement ce que c’est que de rester tant d’années dans l’incertitude la plus totale, dans une misère psychologique incommensurable, à la merci de traitements indignes ? Nier ces années-là serait, à mon avis, nier l’humanité des ces personnes. Cela serait synonyme de nier leur dignité d’être humain.

Je sais que des fois les conjonctures politiques peuvent nous dicter des actions populeuses ne reflétant pas exactement nos convictions profondes. Il est encore temps de résoudre cette injustice Messieurs les politiques. Nous vous en serions reconnaissants et la démocratie en grandirait d’un pas. Ce serait aussi faire avancer, dans une certaine mesure, la condition humaine.

Sena Afeto
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