Édito

Le musée, service public

d'Lëtzebuerger Land du 06.04.2018

Quel désastre ! Alors que l’arrivée de la nouvelle directrice Suzanne Cotter en début d’année devait calmer le jeu au Mudam et faire revenir une certaine sérénité au Musée d’art moderne grand-duc Jean au Kirchberg, un an et demi après le départ chahuté d’Enrico Lunghi, c’est tout le contraire qui se produit : En quelques semaines, on apprend coup sur coup le démontage d’une des œuvres les plus emblématiques du musée, la Chapelle de Wim Delvoye, commande in situ de Marie-Claude Beaud pour l’ouverture du musée en 2006 (voir p.16), et, via une note sur woxx.lu vendredi dernier, le licenciement peu élégant de Clément Minighetti, le curateur en chef, en place depuis la préfiguration, et responsable de la collection. Détail choquant : ni l’intéressé lui-même, ni aucun membre de l’équipe n’auraient été au courant de cette décision du conseil d’administration, mais la responsable de la communication du musée, Julie Jéphos, ne dément pas, la directrice étant en vacances. À son retour, le CSV demande à l’entendre sur son programme à la commission parlementaire de la Culture. Le personnel est à nouveau inutilement déstabilisé, après un an de gestion quotidienne erratique par Laurent Loschetter, administrateur désigné, qui croyait pouvoir sauver la renommée du musée à coups de buttons et l’ambiance dans l’équipe en installant une nouvelle machine à espresso.

Alors, essayons de retracer les responsabilités de ces décisions catastrophiques, qui affectent durablement la renommée du Mudam, décidément l’enfant mal aimé de la politique culturelle luxembourgeoise : En automne dernier, la présidente du Mudam, la grande-duchesse héritière Stéphanie, Laurent Loschetter et Catherine Decker, administratrice représentant le ministère de la Culture au Conseil d’administration, se rendaient à New York pour négocier avec les responsables de la Leir Charitable Foundation – d’après Henry J. Leir, 1900-1998, homme d’affaires, fondateur e.a. de la Minerais SA à Luxembourg, qui avait émigré aux États-Unis à la fin des années 1930 et était revenu après la guerre. Leir ayant toujours gardé un lien sentimental avec le grand-duché, sa fondation avait soutenu le Mudam dès ses débuts, demandant que son soutien financier soit surtout utilisé pour le programme éducatif. Le petit pavillon adjacent au Mudam portrait depuis le nom de The Henry J. and Erna D. Leir Pavilion. Dans un communiqué du 29 mars dernier, le Mudam se réjouit que la Leir Charitable Foundation « renouvelle son soutien (...) pour dix nouvelles années » et qu’un « lieu permanent dédié à la programmation pédagogique » allait leur être dédiée au premier étage du musée. C’est la salle qui abritait la Chapelle de Delvoye, derrière laquelle il y « un lavabo et des toilettes » comme le précise le ministre de la Culture, Xavier Bettel (DP) dans sa réponse à une question parlementaire de Fernand Kartheiser (ADR). C’est donc un sponsor privé – et non la directrice ? – qui prendrait des décisions aussi radicales, touchant à l’essence même du musée : on remplace une œuvre d’art unique par des ateliers pour enfants. Mais qu’est-ce qu’on leur enseigne, s’il n’y a plus d’art ?

Voilà un risque de dérive vers une privatisation vulgaire d’une infrastructure publique, face auquel il faut rappeler deux ou trois basiques : le Musée d’art moderne grand-duc Jean a été construit par l’État sur un terrain qui lui appartient, sur base de la loi du 17 janvier 1997, après une longue bataille quant à son bien-fondé, son implantation et son orientation programmatique (moderne versus contemporain). Le chantier s’est éternisé pour cause de bataille sur les pierres de parement, les fameuses magny doré. Le bâtiment, propriété publique, est gratuitement mis à disposition à une Fondation éponyme, constituée par la loi du 28 avril 1998, chargée de l’exploitation du musée. En douze ans, ladite fondation s’est séparée de manière peu élégante de deux directeurs : Marie-Claude Beaud et Enrico Lunghi. Aujourd’hui, le Conseil d’administration composé de sept personnes privées, plus une représentante de l’État et une représentante de la Cour grand-ducale, est présidé par cette dernière, la grande-duchesse héritière Stéphanie (la gestion erratique du personnel n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de la Cour). Cette année, l’État lui verse 7,1 millions d’euros, somme qui va augmenter jusqu’à 7,752 millions d’ici 2021, selon le budget pluriannuel. Les contribuables sont donc largement les premiers mécènes et sont en droit de demander le meilleur musée possible, géré sur des bases professionnelles et avec une programmation qui ne suit pas les préférences esthétiques des administrateurs ou les désirs des sponsors, mais la pertinence artistique. Y’a encore du boulot !

josée hansen
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