Le risque de se retrouver aux urgences à cause d’une tentative ratée d’avortement clandestin est toujours aussi grand, même après les dernières avancées médicales en la matière. La prise incontrôlée de médicaments qui provoquent des contractions, achetés via Internet, est devenue le moyen moderne – et très dangereux – d’avorter clandestinement. C’est la raison pour laquelle il faut élargir les conditions d’accès à l’IVG (interruption volontaire de grossesse) au Luxembourg, soutient notamment le Planning familial. Celui-ci avait organisé lundi un grand colloque à l’Université du Luxembourg, avec une flopée d’experts et de médecins européens qui arrivaient à la même conclusion : une loi sur l’avortement peut être aussi libérale qu’on le souhaite ; les barrières à l’IVG se trouvent dans sa mise en pratique. Et inversement : une loi restrictive ne fait pas diminuer le taux d’avortements – elle augmente juste les risques liés à l’interruption clandestine d’une grossesse.
Pourquoi ne pas agir comme le Canada, qui est le seul pays au monde à ne pas légiférer du tout sur la matière ? Ce qui relance le débat sur une éventuelle obligation de neutralité des États face à une décision tellement personnelle et privée que chacun doit pouvoir régler selon ses propres valeurs et en fonction du contexte dans lequel il vit – sans avoir de comptes à rendre à personne.
La loi luxembourgeoise de 1978 permet d’avorter dans les douze premières semaines de grossesse en cas de viol, s’il y a des risques sérieux que l’enfant à naître soit atteint d’une maladie grave, de malformations physiques ou d’altérations psychiques importantes, ou lorsque la poursuite de la grossesse ou les conditions de vie que pourraient entraîner la naissance, risquent de mettre en danger la santé physique ou psychique de la femme enceinte. Il faut donc qu’il y ait eu soit un acte criminel, soit une indication « eugénique », soit une indication « thérapeutique » pour avorter, sinon l’IVG reste un acte punissable. Mais même lorsque la femme reste dans les délais, son choix est tributaire de la décision ou de l’appréciation d’un tiers. Elle doit obtenir l’aval du médecin. Pour autant qu’il ne soit objecteur de conscience. Après ce délai de douze semaines, l‘interruption de la grossesse ne pourra être pratiquée que si deux médecins qualifiés attestent par écrit qu‘il existe une menace très grave pour la santé ou la vie de la femme enceinte ou de l’enfant à naître. Le poids de l’église, le pouvoir politique, la pression sociale, les circonstances de la demande appréciées sévèrement ou même arbitrairement, l’objection de conscience du personnel médical, l’absence d’infrastructure publique accueillant un centre d’IVG, le non-remboursement de l’IVG pratiquée à l’étranger rendent l’accès à l’avortement très difficile et renforcent les inégalités sociales entre femmes, maintiennent les responsables du Planning familial. Finalement, l’application de la loi a été rendue plus restrictive que ne l’avait été l’intention du législateur à l’époque (d’Land, 16 janvier 2009).
Le Planning familial a reçu l’année dernière l’agrément officiel par le ministère de la Santé de pouvoir effectuer des IVG médicamenteuses (possibles jusqu’à la cinquième semaine de grossesse), en collaboration avec le Centre hospitalier. Après des années de dures batailles idéologiques absurdes pour accepter cette façon d’avorter par la pilule abortive, moins rude que le curetage opératoire classique, l’activité a finalement démarré au mois de février 2009 et le CHL devrait bientôt pouvoir mettre à disposition des lits de l’hôpital de jour.
Le résultat est clair : ces trois derniers mois, 102 personnes ont avorté, dont 33 au Planning familial Luxembourg et 49 à Thionville (en coopération avec et sous contrôle du Planning familial Luxembourg) Vingt demandes ont été adressées à l’étranger pour cause de dépassement du délai légal. Extrapolé sur toute l’année 2009, cela ferait un taux de 400 demandes d’IVG, alors que le chiffre total n’a jamais franchi la barre des 250 avortements officiels par an, ces dix dernières années (148 pour 2008). La conclusion n’est certainement pas que les nouvelles avancées en la matière ont ouvert la porte à plus d’avortements. « Au contraire, elles ont permis de découvrir un peu plus la pointe de l’iceberg, » maintient Catherine Chéry, la directrice exécutive du Planning familial Luxembourg. Et de démonter un autre préjugé : il ne s’agit pas de jeunes femmes qui font n’importe quoi, car en 2009, l’âge moyen est de 27 ans. Sur les 44 derniers mois, 48 pour cent des 549 femmes avaient plus de 25 ans.
Le prêchi-prêcha sur l’abstinence sexuelle, dont les fondamentalistes catholiques américains sont particulièrement friands, et la diabolisation de l’IVG ne font plus ricaner personne. Et surtout pas les fidèles de l’organisation irlandaise Catholics for Choice. Ceux-ci maintiennent sobrement que les efforts actuels de la hiérarchie du Vatican de vouloir imposer ses vues très strictes en la matière ne sont pas fondés historiquement. Au contraire, au fil des siècles, l’Église a toujours accordé la primauté à la conscience individuelle lors de la prise de décision et elle n’a pas toujours été d’avis que le fœtus était à considérer comme une personne dès le moment de sa conception. Et d’en conclure que l’infaillibilité papale ne jouait certainement pas en la matière. Une position courageuse, surtout pour des membres d’une organisation religieuse d’un pays comme l’Irlande, qui défend l’interdiction de l’avortement bec et ongles.