Quatre candidats ont postulé pour reprendre la fréquence radio 107,7 avec une radio commerciale francophone. L’Alia a rendu son avis, le verdict du gouvernement est attendu dans les prochaines semaines

Questions d’expansions

d'Lëtzebuerger Land vom 27.03.2015

Il a la bonne humeur excessive des publicitaires et des agents événementiels. Raphaël Warny est le directeur général de l’agence PLG, créée avec Patrick et Freddy Warny il y a dix ans à Malmédy en Belgique, avec l’objectif de mettre en place des « conférences, des stands d’exposition, des festivals, des galas et des salons ». Peu à peu, la société se spécialise dans la « création d’événements en galerie commerciale », puis se lance dans la production de contenus audiovisuels, notamment de spots publicitaires par le biais du studio Gow ; en 2012, elle s’associe à la radio régionale belge 7FM. En 2013, elle déplace son siège à Wemperhardt, au Luxembourg. « PLG sàrl a postulé pour cette fréquence au Grand-Duché ! » annonçait-elle sur Twitter le 12 février – six jours après le délai de remise des dossiers de candidatures.

« On a déjà une belle expérience en radio par le biais de notre partenaire 7FM, explique Raphaël Warny au Land, on a travaillé avec d’autres personnes et même avec les autres postulants (rires) ». Si son dossier de candidature était retenu par le gouvernement, PLG offrirait un « programme généraliste avec un ton trendy, ‘famille’, ‘nouveau’, et avec les bons souvenirs musicaux des années 1990 et 2000 » des « émissions en direct toute la semaine, avec du sport en live des terrains les dimanches », parce que ce serait « un média francophone parlant du Luxembourg, ce serait la radio des grand-ducaux ». Et de vanter la création d’emplois prévue : une dizaine d’embauches, avec des studios dans la capitale et des relais locaux, plus des investissements conséquents.

PLG est donc une des candidates ayant déposé un dossier pour la reprise de la fréquence 107,7, occupée par la radio DNR jusqu’au 31 mars 2014. L’appel du 5 janvier de cette année s’adressait à un « service à finalité commerciale », le bénéficiaire devant être établi au Luxembourg et le programme être « un service nouveau, en langue française, offrant une information générale aussi bien nationale qu’internationale et composé d’éléments de programme de nature culturelle et récréative ». Le choix d’un programme en langue française émane du Premier ministre et ministre des Médias Xavier Bettel (DP), qui y voit une possibilité de s’adresser à la « grande communauté francophone au Luxembourg, mais aussi aux plus de 80 000 Français et plus de 40 000 Belges qui viennent travailler tous les jours au Luxembourg et s’intéressent à l’actualité » du pays, répondait-il le 12 février à une question parlementaire du député ADR Fernand Kartheiser, inquiet de cette possible discrimination de la langue luxembourgeoise.

Le délai de soumission était le 6 février, et, jusqu’à cette date, quatre sociétés luxembourgeoises avaient soumis leurs dossiers : à côté de PLG, il y a Lor’FM, une radio lorraine issue de l’associatif et ayant vingt ans d’expérience ; NRJ, la radio jeunes en France depuis 1981, ayant connu depuis une expansion spectaculaire de par le monde1 et Radiolux sa., une joint venture entre Edita (éditrice de L’essentiel, dont le groupe Editpress, qui publie notamment le Tageblatt, détient la moitié du capital) et les actionnaires de la radio belge Must FM. Les sociétés luxembourgeoises de ces groupes étant souvent encore en cours de constitution, il a été impossible d’en savoir plus sur leurs capitaux et leurs actionnaires à ce stade.

Après le 6 février, le Service des médias et des communications a analysé les dossiers quant à leur éligibilité, puis les a envoyés pour avis à la nouvelle autorité de régulation de l’audiovisuel, l’Alia (Autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel). Cette dernière vient de transmettre son avis au ministère d’État, qui, lui, le soumettra, avec les dossiers de candidatures, lors d’une de ses prochaines séances au conseil de gouvernement, auquel revient la décision de l’attribution de cette fréquence nationale, comme le veut la loi sur les médias électroniques de 1991. La permission d’émettre aura une durée de dix ans, jusqu’en décembre 2025. Le conseil de l’Alia a rendu son avis en formation réduite : Claude Wolf, journaliste, étant employée d’Editpress, s’est abstenue. Et un deuxième membre, Marc Thewes, a manqué aux délibérations, ayant rejoint le Conseil d’État pour le CSV. Restèrent le juge Thierry Hoscheit, président, Jeannot Clement, représentant de l’Ugda, et l’avocate Valérie Dupong.

« Une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas soumis notre candidature, affirme Alain Berwick, le directeur des programmes luxembourgeois de RTL Group, c’était le parti pris de l’Alia dans son avis de l’année dernière : elle s’inquiétait que nous pourrions avoir un monopole des médias audiovisuels du Luxembourg. Mais si L’essentiel remportait cette fréquence, il aurait bien lui aussi le monopole sur le public francophone… » À Differdange, on ne le voit pas forcément ainsi : « Notre projet, pour lequel nous nous sommes beaucoup investis avec nos partenaires belges, explique Emmanuel Fleig, le directeur d’Edita, repose sur deux piliers : informer et divertir, un peu comme ce que nous faisons avec L’essentiel. Sans parti pris idéologique ou politique ». Le cœur de cible du projet Radiolux est la population résidente, « une population active, mature – entre 25 et 49 ans –, qui se déplace et n’a donc pas forcément pu lire le journal ». Côté contenu, le projet repose sur la rédaction de 27 journalistes de L’essentiel pour les infos et sur l’expérience de MustFM et de ses 27 fréquences belges pour la musique et le savoir-faire radio.

Fin 2013, lorsque la radio DNR battait déjà sérieusement de l’aile, que ses taux d’audience et surtout ses investissements publicitaires avaient dramatiquement chuté, le groupe Saint-Paul, exploitant de la radio lancée dans la foulée de la libéralisation des ondes en 1991, s’était associé en catimini à parts égales à RTL pour remplacer la radio généraliste luxembourgeoise par un programme ciblé en français. L’antenne RTL2, « le son pop-rock », devait s’adresser aux « communautés francophones résidentes et frontalières », lisait-on dans un communiqué publié sur le site de RTL Group le 25 novembre 2013. « Dès son lancement, elle [l’antenne, ndlr.] intégrera une émission matinale spécifique avec de la musique, de l’information et des rubriques dédiées à l’actualité culturelle et musicale locale ». Date de lancement prévue : le 1er février 2014.

Mais c’était sans compter sur les procédures légales encore en vigueur, même à l’ère hyper-libérale des radios en-ligne. Les fréquences terrestres restent un bien rare, dont la distribution est toujours extrêmement régulée. Durant ses quelques jours en tant que députée, l’actuelle ministre de la Famille Corinne Cahen (DP) [qui, pour l’anecdote, est une ancienne journaliste de RTL], s’inquiéta, dans une question parlementaire, si RTL, déjà actionnaire d’Eldoradio, ne risquait pas de se retrouver « à nouveau unique radio commerciale hors concurrence au Luxembourg ? Qu’en est-il alors de la diversité au grand-duché, prévue par la loi ? » Dans sa réponse, le Premier ministre renvoya à la responsabilité à la nouvelle autorité de régulation, l’Alia, qui ne se fit pas prier. Dans un avis univoque, elle rejeta le projet RTL2 sur tous les points (modifications de l’actionnariat, des organes de gestion, grille horaire, concept du programme…), jugeant qu’il ne correspondait plus aux conditions fixées dans la permission d’émettre de DNR. Et craignant surtout une atteinte au pluralisme des médias, expressément voulu par le législateur en 1991, et qui, par la concentration de ces deux mastodontes médiatiques, Luxemburger Wort et RTL, ne serait plus garanti. « Si le projet ‘RTL2’ devait aboutir sous cette forme, il en résulterait une situation dans laquelle la SA. CLT-Ufa contrôlerait complètement ou en grande partie trois services de radios importants (RTL Radio Lëtzebuerg, Eldoradio, RTL2) » écrivait l’Alia. Les deux associés ne firent pas appel de cette décision. DNR arrêta d’émettre un mois plus tard. C’était peut-être un des objectifs de l’opération, qui sait ?

L’appel à candidatures est donc une conséquence de cette décision de l’Alia. Mais RTL et le Luxemburger Wort ne se représentaient plus, persuadés qu’il y avait un a priori négatif à leur encontre. Mais aussi pour des raisons plus pragmatiques : « La cible à laquelle s’adressera cette radio est très restreinte, selon Alain Berwick, parce que les frontaliers belges et français écoutent majoritairement leurs propres radios, France Inter, Europe 1, RTL, très bien faites. Et les études que nous avons menées prouvent que les francophones qui habitent au Luxembourg regardent et écoutent déjà beaucoup nos programmes en luxembourgeois. » Un de problèmes rendant la fréquence 107,7 à haute puissance moins attractive pour RTL est technique : pour des raisons de sécurité de l’aviation civile, l’émetteur n’est pas installé à Dudelange – ce qui aurait permis un rayonnement vers la Grande Région pouvant atteindre de nouveaux auditoires, et donc d’élargir la cible publicitaire – mais à Blaschette. La fréquence n’aurait donc pas permis une expansion de RTL dans la région frontalière, mais permettra par contre une expansion des services de radio frontaliers vers le Luxembourg. Car tous les candidats sont des émanations soit d’une radio régionale belge, soit française. Emmanuel Fleig d’Edita ne voit pas de problème technique majeur dans le rayon d’émission de l’antenne de Blaschette, mais « ose espérer » que dans un deuxième temps, les fréquences 94,3, 102,9 et 104,2, qui permettaient à DNR de combler les trous dans le réseau, seront également attribuées à celui qui remporte l’appel. De faible puissance, celles-là sont, selon la loi, attribuées par l’Alia.

Côté concept, les candidats n’avaient presque qu’à recopier celui de RTL2. Programme cadre repris de la maison-mère, plus des contenus locaux produits sur place. « Si nous étions retenus, nous offririons une radio dans l’esprit Lor’FM, mais pour les francophones résidents au Luxembourg », affirme ainsi également Alain Vicci, directeur de la radio de Thionville. Là aussi, une entité serait créée sur place, où il y aurait « une dizaine d’embauches », la radio s’adresserait prioritairement aux 25-45 ans, « notre cible privilégiée de la programmation musicale » et son but serait aussi de « faire connaître artistes et acteurs économiques du Luxembourg »

Tous les postulants ont probablement en tête le succès commercial des deux principaux médias francophones au Luxembourg que sont L’essentiel (135 000 lecteurs quotidiens, selon la dernière étude Plurimedia TNS-Ilres) et PaperJam, le mensuel, mais surtout le site paperjam.lu et sa newsletter électronique distribuée tous les jours à plus de 17 000 adresses. Mais il ne faut pas perdre de mémoire qu’aussi bien le projet de télévision PaperjamTV que, plus récemment, la chaîne francophone pour la Grande Région, AirTV, se sont cassées la figure. D’ailleurs, Maison Moderne, éditrice de PaperJam, « a étudié le dossier sans y donner une suite favorable » écrivait Thierry Raizier du magazine le 6 février. Contrairement à la communication officielle autour de la nouvelle radio francophone, elle ne sera pas non plus la première du genre : Radio Latina émet majoritairement en français et culmine à 5,4 pour cent de taux d’audience, selon Plurimedia. Ses investissements publicitaires sont en dents de scie, bien que la radio soit soutenue par le groupe Saint-Paul. Mais peut-être que tout est une question de ratio coût/entrées ? Peut-être qu’en reprenant une majorité de contenus de partenaires internationaux, la nouvelle radio pourra atteindre un équilibre financier, voire générer des bénéfices en ciblant les annonceurs potentiels ? « Non, il n’y a pas de place pour deux sur ce marché, estime, radical, Alain Berwick. La cible est trop petite ».

1 Il n’a pas été possible de joindre un responsable de NRJ dans le cadre du cet article.
josée hansen
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