Histoire

Du patrimoine et des ravages

d'Lëtzebuerger Land vom 14.05.2021

Connaissez-vous le Bouclier bleu ? Mais si, on voit le signe distinctif sur bon nombre de monuments, de biens culturels censés de la sorte être protégés : un triangle et un losange bleus sur fond blanc, répétés même trois fois pour signaler une protection spéciale. Il a été introduit après la Convention de La Haye, de 1954, et ses deux protocoles, à la suite des destructions de la Deuxième guerre mondiale. Des initiatives en faveur du patrimoine avaient déjà eu lieu, toujours à La Haye, dès 1899 et 1907, le moins qu’on puisse dire cela n’avait servi à strictement rien. Et après 1954, le patrimoine culturel mondial n’a guère été mieux à l’abri. Il y a et aura toujours les dommages collatéraux, mais comme la convention vaut entre États, elle exclut tels conflits, de tout autre nature, de plus en plus nombreux. Bamiyan, Tombouctou, Palmyre, en sont de terribles exemples.

Verdammt und vernichtet, Kulturzerstörungen vom Alten Orient bis zur Gegenwart, le livre de Hermann Parzinger qui vient de paraître, nous fait faire un tour d’histoire, un tour du monde, les deux pleins de fureur et de désolation. Deux millénaires, ça fait long, il est vrai que l’auteur est archéologue ; et il est en plein dans la matière, doublement expert, comme président de la Stiftung Preussischer Kulturbesitz, en l’occurrence directement concerné par la restitution des bronzes du Bénin.

La destruction du patrimoine, ça remonte très loin en arrière, qu’en était-il des peintures des cavernes, on manque de témoignage. Et les mots qu’on emploie souvent pour en parler renvoient à des moments précis dans l’histoire, le vandalisme au sac de Rome en 455, l’iconoclasme plus qu’à l’Egypte pharaonique à l’Empire byzantin des huitième et neuvième siècles.

Pas question toutefois de suivre l’auteur au long du temps, des pillages de toutes sortes. Et s’il n’est sans doute pas exhaustif, rien de signifiant n’est laissé de côté, pour faire voir clair dans la multiplicité des horreurs, en détecter les tenants et aboutissants. En gros, avec trois arrière-fonds, économique, idéologique et religieux, qui se mêlent, ainsi les nazis n’ont pas hésité à vendre les tableaux saisis. Eux avaient déjà fait de même, et la chose fut culturellement plus fructueuse, quand les révolutionnaires français comprirent qu’il était idiot de détruire ce qu’ils avaient confisqué au nom du peuple, au bout il y eut avec le Louvre la naissance du musée moderne, et les premiers pas sur le chemin de l’autonomie de l’art.

Le fanatisme porte à la destruction, il s’agit d’abolir le passé, peut-être aussi de nos jours, la communication aidant, d’impressionner, de provoquer l’opinion. Les historiens parlent de damnatio memoriae, très concrètement, le pape Boniface IV a consacré l’ancien Panthéon à la Vierge, et aujourd’hui, les hordes de Narendra Modi, en Inde, ayant détruit une mosquée (construite peut-être sur les ruines d’un temple du dieu Ram), la première pierre a été posée d’un nouveau temple hindou à Ayodhya. Rien de nouveau sous le soleil.

Les images qu’on a en tête n’empêchent pas le dégoût qui nous saisit à chaque fois. On ne s’habitue pas à l’abomination, et la tristesse par exemple en voyant les nuages de fumée au-dessus des vestiges de Palmyre, fit très vite place à de l’écœurement. Au comble de la barbarie : la décapitation de l’archéologue en chef de Palmyre au théâtre antique, suspendu part les pieds, sa tête placée sous son corps.

Trump dans un dernier accès de folie avait menacé justement l’Iran de la destruction de son patrimoine culturel. On se souvient de la phrase de Heine, les hommes faisant suite aux livres qu’on brûle. Une lueur d’espoir, quelque minime qu’elle soit, pour terminer : la Cour pénale internationale, en 2017, a condamné un djihadiste malien accusé de la destruction de neuf mausolées à Tombouctou, crime dont la procureure a dit qu’« il affecte l’âme et l’esprit d’un peuple » ; un deuxième procès s’est ouvert en juillet dernier, l’accusé aura à répondre de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.

Hermann Parzinger, Verdammt und vernichtet, Kulturzerstörungen vom Alten Orient bis zur Gegenwart, C. H. Beck

Lucien Kayser
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