édito

Rupture

d'Lëtzebuerger Land vom 01.04.2022

Une soixantaine de délégués OGBL ont été rassemblés ce jeudi à l’arrière de la grande salle de la Maison du Peuple pour assister à la conférence de presse de leur présidente. À la fin du discours, ils se levèrent et applaudirent longuement. Nora Back en avait les larmes aux yeux. Par ses déclarations publiques, elle s’est mise le dos au mur, annihilant toute marge de manœuvre aux négociations tripartites. Elle a donc fini par se replier derrière ses « lignes rouges », se murant dans une logique d’assiégée, demandant des contreparties (notamment fossiles) que le gouvernement ne pouvait lui accorder. Jeudi, elle invoquait à plusieurs reprises « la force » du syndicat, comme pour s’en convaincre.

La communication de l’OGBL fut désastreuse ces dix derniers jours, la dramaturgie incompréhensible. Nora Back en a donné la faute aux autres. La tripartite aurait été « instrumentalisée », dit-elle. Le point presse à l’issue du deuxième round des négociations, durant lequel Back avait semblé signaler son accord de principe, aurait été « mis en scène » par le gouvernement. Des « mensonges » sur la position de négociation syndicale auraient été mis en circulation. L’OGBL n’aurait ainsi pas demandé que les salaires annuels jusqu’à 160 000 euros bénéficient d’un crédit d’impôt (dégressif), mais seulement ceux jusqu’à 135 000 euros. Dès le moment où ces montants obscènes furent cités, l’OGBL avait perdu la bataille de l’opinion, stigmatisé comme le défenseur des privilégiés. Nora Back a tenté de donner un autre « spin » aux négociations, celui de l’unité du salariat. En dernière minute, racontait-elle, le gouvernement aurait mis sur la table l’option d’un « chèque énergie » très généreux mais réservé aux seuls résidents. (Décidément, les vieux réflexes anti-frontaliers perdurent, même après le Grand Confinement auquel le Luxembourg n’aura survécu que grâce aux frontaliers.)

Cela fait des années que l’OGBL exigeait une « vraie » Tripartite. Pour avoir la paix en amont des élections de 2023, le gouvernement lui en a concédé une. Il était même prêt à financer le compromis, en nationalisant (en partie) deux tranches indiciaires. Objectivement, le deal n’était pas mauvais, l’OGBL en a signé des pires. Aux yeux de l’establishment politique, Nora Back a donc durablement endommagé sa crédibilité en tant que négociatrice fiable. L’éclatement du front syndical a isolé le « syndicat n°1 ». Conclu en 2008, l’axe OGBL-CGFP a été rompu. Au sein du LSAP, seul Dan Kersch était prêt à se mouiller pour le syndicat, mais non pas jusqu’à se noyer.

Dans son essence, la Tripartite se basait sur la présomption qu’un groupe d’hommes luxembourgeois, soudés par une certaine confiance et connivence, allaient régler les conflits sociaux derrière des portes closes, l’État réglant la facture. Les syndicats ont été modelés à l’image de ce néocorporatisme. Si le LCGB et l’OGBL sont structurés de manière très hiérarchique et centralisée, c’est que leurs chefs devaient imposer à la base des accords négociés en huis-clos. L’élection de Nora Back à la tête de l’OGBL a symbolisé un changement de génération. La nouvelle présidente se voulait plus « participative » que ses prédécesseurs. Elle a respecté à la lettre son mandat aux négociations. Or, la Tripartite est tout sauf un exercice participatif.

Si d’un point de vue tactique, la non-signature semble encore suivre une certaine logique (celle de ne pas se salir les mains), d’un point de vue stratégique, il s’agit d’une prise de risque énorme. Peu importe finalement si cette rupture dans l’histoire sociale résulte d’une décision assumée, d’un mauvais calcul ou d’une direction débordée. Dans les faits, Nora Back a plongé l’OGBL dans une crise. Nolens volens, elle a décrété la fin du syndicalisme « assis » et institutionnalisé. La seule option qui reste désormais à l’OGBL est la fuite en avant, c’est-à-dire le durcissement et la mobilisation. Cette voie incertaine mènera soit à une accélération du déclin, soit à un lent renouveau. Si la base ne se mobilise pas, l’exécutif de l’OGBL se sera mis hors-jeu.

Bernard Thomas
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