À 46 ans aujourd’hui, Jean-Claude Olivier était un relatif inconnu pour la presse lorsqu’il fut nommé directeur du Service information et presse (Sip) du gouvernement il y a un an. Après des études en journalisme – son travail de fin d’études était consacré au journal satirique Den neie Feierkrop – et en gestion à Bruxelles, sa carrière le mena à travers différents métiers, toujours en rapport avec la presse ou les médias, dans une imprimerie, au service e-Lëtzebuerg de l’État, au Centre informatique de l’État, puis au ministère de la Fonction publique, où il devint conseiller de direction responsable du Service qualité publique. Lecteur assidu de la presse, il voit son service attaché au ministère d’État comme une interface entre l’État et la presse, voire le grand public. Il aura notamment la charge de réformer le Sip, comme le prévoit l’accord de coalition du gouvernement DP/LSAP/Verts. Entretien sous une photo extraite de Playtime de Jacques Tati, comme une mise en abyme des conditions de travail modernes.
d’Lëtzebuerger Land : Vous êtes en fonction depuis un peu plus d’un an.. Est-ce que vous avez pu vous faire une image concrète des forces et des faiblesses du Sip ?
Jean-Claude Olivier : Une de nos plus grandes faiblesses est que nous devons répondre à une quantité croissante de demandes de nos partenaires – les ministres, les ministères, les chargés de la communication, la presse et le grand public – avec une équipe réduite de seulement 25 personnes. Alors nous devons nous arranger, souvent selon le système D. Une des premières choses que j’ai faites en arrivant ici était ainsi de restructurer nos différents services afin qu’ils soient plus autonomes et puissent prendre certaines décisions eux-mêmes. Avant, l’organigramme était très plat ; j’ai introduit plus de niveaux hiérarchiques.
Notre principale force est cette équipe justement, qui, bien que réduite, est très compétente et motivée. Ces compétences ont été développées durant des années et font que nous sommes perçus comme un partenaire sérieux et fiable par ceux avec lesquels nous travaillons.
Dans l’accord de coalition de 2013, le gouvernement DP/LSAP/Verts promet une réforme du Sip, qui devrait être « au service de tous les membres du gouvernement ». Est-ce que ce n’est pas le cas aujourd’hui ? Il y a ce mythe historique selon lequel le Sip (notamment sous votre prédécesseur Mil Jung) était quasiment le service personnel de Jean-Claude Juncker (CSV)…
Je ne veux pas commenter ce « mythe », qui remonte bien avant mon arrivée ici. Ce que je peux affirmer est que, bien que nous soyons sous la tutelle du Premier ministre, nous ne sommes pas son service à lui, mais nous travaillons pour tous les ministres et tous les ministères du gouvernement. Ces dernières années, la communication gouvernementale a toutefois connu une mue profonde et, à partir d’un système complètement centralisé où toute la communication passait par nous, s’est développée vers un fonctionnement décentralisé et plus ouvert, ou chaque ministère a son propre attaché de presse qui communique directement avec les journalistes.
Justement, quelle est alors encore la marge du Sip ? Comment pouvez-vous garantir une ligne générale de la communication officielle ?
Il me semble logique que chaque ministère communique lui-même, surtout sur les dossiers plus techniques comme ceux du ministère des Finances, où nous n’aurions guère de compétences à apporter. Mais, effectivement, cette décentralisation a aussi eu un impact sur notre mission : désormais, nous sommes aussi là pour soutenir les attachés de presse, pour les former, leur mettre à disposition du matériel et des outils qui leur facilitent le travail, pour aider à organiser les conférences de presse par exemple, ou diffuser l’information. Dans les administrations aussi, c’est souvent une question de moyens humains et logistiques, nous pouvons alors être un appui.
Le Premier ministre et ministre des Médias Xavier Bettel (DP) vient de déposer le projet de loi pour la réforme du Sip, qui est une réforme « a minima » et adapte surtout un certain nombre de termes. Pourquoi si peu d’ambitions ?
Pour avoir plus de libertés dans son application… ? (sourit) Plus sérieusement, ce minimalisme est l’expression d’une certaine ouverture : les missions décrites dans le projet de loi aujourd’hui peuvent encore évoluer, comme elles l’ont fait depuis la création du Sip en 1991. À l’époque, on ne parlait pas encore d’Internet et des réseaux sociaux. Nous voulons nous donner les moyens pour évoluer. Ainsi, nous organisons certes encore les visites officielles, d’hôtes étrangers au Luxembourg et de ministres luxembourgeois à l’étranger, nous faisons certes toujours une revue de presse et travaillons avec les médias écrits et audiovisuels… mais désormais, beaucoup de communications se passent de manière plus directe par les réseaux sociaux, comment faire ? Et est-ce qu’il faut prendre en compte les bloggeurs dans la diffusion de l’information ? Nous nous posons aussi des questions essentielles comme : comment pouvons-nous toucher ceux des citoyens qui ont arrêté depuis longtemps de consulter les médias traditionnels et ne s’informent plus que par les réseaux sociaux ? Nous devons trouver des réponses à ces défis, au risque de les perdre.
Depuis des années, voire des décennies, les syndicats de journalistes, mais aussi les ONGs revendiquent un droit d’accès à l’information… Chaque année, les Premiers ministres successifs le promettent, mais il ne se passe rien de concret dans ce sens – à part le dépôt d’un projet de loi – pourquoi ? Vous êtes-vous désormais donné un échéancier ?
Le ministère d’État est en charge de ce dossier, donc je ne veux pas trop m’avancer sur le sujet. Mais le projet de loi est déposé, les avis sur le texte arrivent peu à peu et, selon ce que je sais, la loi devrait encore pouvoir être votée durant cette législature. Cela nous intéresse aussi au Sip, puisque nous jouerons alors un rôle dans la coordination de l’information à transmettre au public et aux médias.
Nous nous y préparons déjà activement, avec la création d’un site dédié à l’open data (data.public.lu), sur lequel les administrations vont déposer toutes les informations d’intérêt public et où elles seront librement accessibles. Nous avons engagé une personne pour s’en occuper et créé un groupe de travail qui sensibilise les administrations à avoir recours à ce moyen de transparence – même si ce n’est pas une tradition au Luxembourg. Nous travaillons en réseau avec les bases de données européennes, qui nous gratifient d’un très bon écho depuis que nous sommes en ligne.
Sur les réseaux sociaux, c’est un phénomène très récent, les ministres s’expriment eux-mêmes et en toute liberté, communiquant parfois de manière imprévisible et incontrôlable, discutant avec des citoyens, des membres de l’opposition, des journalistes… Selon le projet de loi, vous devrez, à l’avenir, aussi « définir et mettre en œuvre une stratégie de communication du Gouvernement en matière d’Internet et des réseaux sociaux »… Comment allez-vous vous y prendre ? Allez-vous défendre cette communication intempestive aux ministres ?
Certainement pas. Les ministres ont et garderont la liberté de s’exprimer librement. Mais le gouvernement nous a fait part de sa volonté de coordonner et d’organiser la communication des administrations publiques vers l’extérieur sur Internet et les réseaux sociaux. Nous avons un rôle de formateur et de conseiller : nous aidons à développer une stratégie de communication et formons ceux des fonctionnaires et employés qui en seront en charge. Nous pouvons aussi aider à mettre en place un screening de l’impact de cette communication, il y a des outils qui permettent de suivre quelle information a eu un écho, combien de fois elle a été partagée ou aimée… D’ailleurs nous avons deux comptes que nous gérons directement sur Facebook et Twitter, luxembourg.lu et gouv.lu, dont l’influence ne cesse de croitre : gouv.lu a désormais plus de 12 000 followers, cela s’est développé très vite.
Quelle est la principale activité du Sip au quotidien ?
Nous commençons dès 6 heures du matin avec la revue de la presse nationale et internationale, à l’intention des ministres et des ministères, à laquelle nous incluons aussi les principales informations des matinales radio. Puis nous formatons et diffusons les communiqués et les invitations des ministères, nous publions des plaquettes et des livres sur le Luxembourg, nous organisons les visites et nous assurons une permanence le soir et les week-ends pour pouvoir publier des informations importantes dans une situation qui le demande.
Le « nouveau » site du gouvernement, mis en ligne il y a trois ans à peu près, n’est pas très efficace : on n’y retrouve rien, l’information semble cachée…. Est-ce que vous allez l’améliorer ?
Nous nous sommes effectivement rendu compte que le site gouvernement.lu, tel qu’il se présente aujourd’hui, a deux problèmes : premièrement, il n’est qu’en français, ce qui est limitatif dans un pays multilingue, et deuxièmement, il est très complexe parce qu’il doit véhiculer beaucoup d’informations. Après une large consultation des responsables de communication des ministères, de responsables de la presse et des utilisateurs intéressés du grand public, nous sommes en train de développer un nouveau site, en collaboration avec le CTIE (Centre de technologies de l’information de l’État) avec lequel nous allons tenter de remédier à ces deux problèmes.
Ainsi, en ce qui concerne la question linguistique, nous irons vers le multilinguisme, en offrant aussi des versions luxembourgeoise, allemande et anglaise, surtout pour le « tronc commun », l’information durable sur le site. Nous allons aussi diffuser certains communiqués dans plusieurs langues, même si l’urgence et la technicité peuvent constituer des limitations à cette ambition. Car pour faire traduire un texte par un des partenaires spécialisés avec lesquels nous travaillons, il faut compter un décalage de 24 heures. Donc ce sera un développement asymétrique, mais ambitieux.
Ensuite, pour l’arborescence et la structure, nous avons un nouvel outil informatique et développons de nouveaux flux, qui doivent nous permettre d’améliorer la lisibilité du nouveau site. J’espère que nous pourrons le lancer d’ici la toute fin de l’année, voire au début de l’année prochaine, mon ambition étant toujours de produire rapidement des résultats, qu’on peut toujours adapter au fur et à mesure de son utilisation.
Quel est le lien (ou la différence) entre communication du gouvernement et nation branding ?
(Réfléchit.) La communication est une question de confiance, de transparence et d’ouverture. Le Sip est un partenaire et le porte-parole du gouvernement, son travail se base sur l’intégrité, la compétence et la transparence. Ce sont les qualités dont on a besoin pour gagner la confiance et des ministères et du public. Je vois la communication comme un échange qui est aussi factuel que possible. Le nation branding n’en est pas l’opposé, mais une déclinaison de ces concepts. Le Sip fait partie du groupe de travail nation branding, qui essaie de promouvoir une image positive du pays en insistant sur ses qualités, une image qui corresponde à ce que nous voulons être dans la concurrence internationale des nations.
Par une circulaire, le Premier ministre Xavier Bettel (DP) a essayé de structurer la communication des administrations avec la presse, en leur imposant un certain mode de fonctionnement : les journalistes devraient obligatoirement passer par l’attaché de presse du ministère pour toute demande de renseignement. Or, dans leur travail quotidien, les journalistes la ressentent comme une entrave à leur travail, car beaucoup de fonctionnaires ne veulent ou ne peuvent désormais plus leur parler, même pour expliquer un dossier technique… Quel est votre appréciation d’un bon déroulement de cette relation entre les journalistes et les politiques et/ou administrations publiques ?
La visée de cette circulaire était de faciliter le travail des journalistes en leur donnant les bonnes personnes de contact au sein des ministères. Les attachés de presse ont désormais l’obligation de répondre à toute requête. Cette manière de procéder, en passant par l’attaché de presse, constitue aussi une garantie pour les fonctionnaires, qui reçoivent l’aval de leur hiérarchie qu’ils peuvent s’exprimer vis-à-vis des médias. La mission du Sip et des attachés de presse doit toujours être de garantir un accès transparent à l’information ; nous aidons à canaliser une communication sans entraves. Car l’intérêt du gouvernement est de faire passer des informations claires sur ses décisions et de faire en sorte qu’elles soient aussi comprises.
Vous venez de la Fonction publique, la presse ne vous connaissait pas du tout lors de votre nomination… Quelle est votre relation aux médias ? Quel « consommateur de médias » êtes-vous ?
Je m’intéresse de près à la presse et je cherche à avoir une relation ouverte et de confiance avec les médias, parce qu’ils sont pour moi un acteur important de la démocratie dans une société moderne. Je cherche le contact à travers les organes représentatifs des journalistes, comme le Conseil de presse, avec lequel nous avons un échange régulier, par exemple dans le cadre des réunions du Groupe de Mondorf, où les responsables de la communication des ministères discutent avec les rédacteurs en chef sur leur travail au quotidien. Je veux garantir aux journalistes l’accès aux informations dont ils ont besoin pour travailler et j’espère avoir une bonne relation avec eux. Il m’importe peu d’être connu en tant que personne.
Est-ce que vous êtes membre d’un parti ? Autrement dit : est-ce que votre mandat est politique ?
Non ! (résolu). Je ne suis membre d’aucun parti. Et je ne me vois aucunement dans une mission politique ici. D’ailleurs, on ne me l’a ni demandé, ni suggéré, à aucun moment. Le Service information et presse est le porte-parole du gouvernement, quelles que soient sa composition et sa couleur politique. Nous devons faire un bon travail, transmettre l’information de manière aussi transparente que possible, et pour cela nous devons être idéologiquement neutres.