Édito

Les mains liées de Claude T.

d'Lëtzebuerger Land du 07.08.2020

Alors que Claude Turmes, ministre écolo de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire, avait l’image d’un eurodéputé (1999-2018) fichtrement compétent en matière d’énergie (et super-efficace pour le faire savoir au Luxembourg), tout semble lui échapper depuis deux ans. Après la trahison que lui a infligée son collègue François Bausch en juin, expliquant à l’antenne de RTL Radio Lëtzebuerg que son cadet avait mis la charrette avant les bœufs en voulant encourager le passage à la mobilité électrique pour les voitures de leasing, que rien n’avait encore été décidé au niveau du gouvernement, le voilà attaqué de front par le journal proche des Verts et une ancienne collaboratrice – alors même qu’il pensait bien faire. Dans son édition du 30 juillet, le Woxx reproche à Turmes de vouloir faire de l’aménagement du territoire en secret, alors que Pascale Junker, ancienne employée responsable du sujet au ministère, publie à son compte Le Luxembourg en 2050 – De l’aménagement au ménagement du territoire, un « essai » personnel qui se base sur les données collectées avec les équipes du ministère. Quoi qu’elle prétende, cette publication qui prône la décroissance, fait forcément de l’ombre au ministre. Le vocabulaire est d’ailleurs sensiblement identique : de décarbonisation à résilience, tout y passe. Or, au lieu de profiter de ce nouveau consensus, Turmes est mis au pilori.

Que s’est-il passé ? En 2018, le ministère de l’Aménagement du territoire lance une large consultation citoyenne pour imaginer le Luxembourg de demain. Dans ce processus participatif, plusieurs demandes s’imposaient, se souvient Marie-Josée Vidal, coordinatrice générale du ministère, comme la volonté de miser davantage sur la proximité ou de protéger les ressources existantes. Les conclusions de ce processus ont été coulées dans une consultation internationale lancée très discrètement fin juin sur les plateformes européennes de marchés publics sous le titre Luxembourg in transition. Les équipes pluridisciplinaires, qui se constitueront autour de binômes architectes/ingénieurs, voulant y participer peuvent soumettre leurs candidatures jusqu’à fin août. Quatorze d’entre elles seront retenues pour la première phase, puis sept pour la deuxième et quatre pour la troisième phase. Les gagnants seront connus en juin 2021. Sur le site luxembourgintransition.lu sont clairement explicités les contraintes de marché et l’énorme usine à gaz mise en place pour la sélection et l’accompagnement (comité interministériel, comité consultatif et comité scientifique, soit plus d’une trentaine de personnes). Le processus est inspiré de ceux mis en place pour imaginer le Grand Genève ou le Grand Paris. En plus, le Luxembourg implique volontairement la région transfrontalière. Une conférence de presse annoncée pour octobre devrait permettre de donner un coup de projecteur au projet.

Donc tout devrait aller parfaitement bien, l’approche participative n’a-t-elle pas été largement saluée pour la reconversion de l’ancien site industriel de Schifflange en ville nouvelle l’année dernière ? D’autant plus que l’avis du Conseil d’État sur les quatre plans sectoriels logement, transport, zones d’activités économiques et paysages est tombé en mai et que des amendements sont en cours d’élaboration pour que le tout puisse enfin être coulé dans une loi d’ici la fin de l’année. Les résultats de Luxembourg in transition et les plans sectoriels aboutiront au Programme directeur d’aménagement du territoire ou PDAT – un terme encore nettement moins connu que le fut l’IVL de Michel Wolter (CSV).

Mais au pays des Nimbys (not in my backyard), où la propriété privée est intouchable, les prix du terrain exorbitants et l’autonomie communale sacrée, vouloir déclarer des régions de développement, des possibilités de zones économiques ou, surtout, limiter le gâchis de ressources est perçu comme de l’économie planifiée (Planwirtschaft) d’inspiration communiste. Alors que de nombreux ministères, communes et ONGs veulent participer à la prise de décision, Claude Turmes a définitivement pieds et poings liés. Son enthousiasme juvénile est en train d’en pâtir.

josée hansen
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