Francis Firth est un acteur important des débuts de l’ère moderne : à la fois photographe important et commerçant avisé : voici des prises de vues exceptionnelles de précision et d’une rare qualité d’éclairage pour le 19e siècle. La Bibliothèque nationale du Luxembourg (BnL), présente Views of Luxembourg and the ‘Orient’, Francis Firth and Victorian Photographie. On peut tout simplement éprouver un grand plaisir à regarder les vues du site de Luxembourg à la fin des années 1870 et de sites égyptiens antiques dans les années 1850. On pourra interroger aussi la thématique de cette huitième édition de l’EMOP, Rethinking Nature / Rethinking Landscape.
La première partie de l’exposition est consacrée aux vues de Luxembourg. Le site en plateau de la ville haute et les villes basses s’y prêtant exceptionnellement bien, on regarde ces vues panoramiques de parties des murs d’enceinte aujourd’hui disparus (côte d’Eich, entre Clausen et les Trois Glands), le noble alignement des maisons bourgeoises déjà construites sur l’actuel boulevard Roosevelt, la maison natale de Robert Schuman, nouvellement bâtie à Clausen. Les photographies datent de 1879. Les villes basses de Grund, Clausen et Pfaffenthal, proximité de l’Alzette oblige, ont ce côté pittoresque qu’elles ont encore aujourd’hui, comme sur cette photo du Grund, avec des séchoirs pour les peaux de cuir. Ils existent encore. Une visite au Lëtzebuerg City Museum, nous rappelle que les familles des villes basses était ouvrières et que si les enfants étaient déjà scolarisés, ils travaillaient, après l’école avec leurs mères, gantières à domicile pour les manufactures dont on voit les cheminées sur les photos anciennes.
C’est à l’éditeur-imprimeur Pierre Bruck qu’on doit l’initiative d’avoir édité ces photographies sous la forme de deux jolis albums reliés en cuir bleu Souvenirs de Luxembourg ou disponibles séparément en trois formats, dont celui en carte postale. L’auteur des vues est un « anglais du nom de Simpson qui travaille pour Francis Firth ». La BnL possède ces ouvrages de l’époque où Francis Firth dirigeait la Francis Firth & Co. déjà depuis les années 1860. Sa propre entreprise d’imprimerie et d’édition, pour laquelle travaillaient nombre de photographes. Le tourisme de masse, aujourd’hui un fléau planétaire, en était à ses débuts, loisir prisé d’abord par l’aristocratie, puis la bourgeoisie naissante, justifiant la curiosité pour le jeune État luxembourgeois, sa capitale millénaire et son site géographique exceptionnel.
Un autre document, le carnet de voyage de Tony Dutreux présenté dans l’exposition, permet de faire le lien entre un Luxembourgeois et l’anglais Francis Firth. Tony Dutreux est né en 1838, fils d’Auguste Dutreux et d’Elisabeth Pescatore. (Pour mémoire, ingénieur de formation, c’est lui qui dessinera les plans de la Fondation Pescatore). Il embarque en 1867 pour « le grand tour », comme il est de mise pour un jeune homme, éduqué, de la bonne société. Comme Francis Firth, né lui dans une famille de Quakers en 1822 à Chesterfield, ils sont tous les deux très croyants et veulent documenter les lieux des origines religieuses de la civilisation occidentale. C’est dans l’album de photographies de Dutreux que l’on trouve une vingtaine de prises de vues de Mason Good, lequel travaillait pour la Francis Forth & Co. La BnL conserve la Correspondance et Journal de Tony Dutreux pendant son voyage en Orient.
Mais qui donc était Francis Firth, qui après avoir fait fortune dans le commerce alimentaire de gros, crée la « Liverpool Photographic Society » en 1853. Ce n’est alors qu’un photographe amateur, mais qui devient vite célèbre et donne des conférences. C’est un personnage entreprenant comme les aime ces débuts de l’époque moderne, qui va faire travailler d’autres photographes. Car son intuition est juste : « l’illustration photographique de livres sera le futur de l’imprimerie » cite la commissaire de l’exposition Nadine Abel Esslingen. Il créera d’abord la firme Firth and Hayward au retour de son premier voyage en Orient, puis seul, la F. Firth & Co., société d’impressions et d’éditions photographiques.
La grande aventure personnelle de sa vie, ce sont les trois voyages effectués en 1856 en Egypte avec son ami Francis Herbert Wenham, ingénieur en optique et mécanique, en Palestine en 1857-58, et, en 1859 dont il dit lui-même que c’est « une prouesse et une folie » : il remontera en effet, jusqu’à la troisième cataracte du Nil, en Nubie. En 1851, à l’exposition universelle du Crystal Palace à Londres, avaient été présentées les inventions techniques du processus de collodion humide sur plaques de verre par F. Scott Archer et le stéréoscope lenticulaire de David Bruster. Il faut imaginer la difficulté de la technique humide, quel que soit le climat et la température, les moyens de déplacement avec un matériel photographique lourd difficile à manier pour goûter pleinement l’entêtement de ces hommes, leur croyance dans le progrès, leur esprit d’aventure et les souvenirs photographiques que Francis Firth nous a laissés, dont notamment les photos orientales tirées du livre Egypt, Nubia and Ethiopia /illustrated by one hundred stereoscopic photographs présentées dans l’exposition.
Imaginons-nous, devant la grande pyramide de Gizeh la tête du sphinx émergeant seule d’une mer de sable, devant la colonnade du temple de Philae aux colonnes couvertes d’hiéroglyphes merveilleuses, mais au plafond effondré, dans l’allée centrale du temple de Karnak, à Abou Simbel, face à face avec la statue colossale de Ramsès. C’était longtemps avant la construction du barrage Nasser et le déplacement du temple de son site original aujourd’hui immergé, longtemps avant les labels Unesco dont le tourisme de masse est la partie sombre des sommes investies dans les restaurations, longtemps avant que le goût pour les costumes locaux soit une vue orientaliste occidentale contestée.